EXCLUSIF. L’ancien ministre guinéen de l’Habitat Elhadj Mansour Kaba -par ailleurs président du PAG-Dyama- est un leader révolté parce que, dit-il, « j’apprends qu’un groupe de Guinéens sont encore esclaves » dans leur propre pays. Sans détours, il pointe le Foutah Djallon, la région montagneuse de la Guinée où, soutient-il, « il y a des séquelles de l’esclavage ». Dans un entretien exclusif accordé à Mediaguinee, il signe : « je trouve ça scandaleux que ça se pratique au Foutah ou partout où des Guinéens se trouvent. Je le combattrai toujours. » Lisez !
Mediaguinee : vos détracteurs vous accusent d’être le défenseur ardent du concept Manden-Djallon. Que leur répondez-vous ?
Mansour Kaba: « Je suis venu en Côte d’Ivoire en tant que militant politique. C’est incidemment que j’ai fait tout ce que je viens de vous étaler. Mon travail était un travail politique. Un jour, nous étions en réunion de regroupement des Guinéens de l’extérieur avec Siradiou Diallo, Ibrahima et d’autres. Nous avons dit qu’on ne peut pas continuer à parler d’opposition contre le régime du PDG en restant en Europe. Qu’il faut que certains d’entre nous se sacrifient et partent en Afrique pour organiser les Guinéens qui sont dans les pays voisins. C’est comme ça que j’ai été affecté politiquement à Abidjan. Je me suis endetté pour aller à Abidjan. Le mouvement ne m’a pas donné un centime. J’ai toujours été militant et j’ai lutté contre la dictature du PDG, contre Lansana Conté et c’est arrivé ici que j’apprends qu’il y a des séquelles de l’esclavage. Les séquelles sont souvent dures à supporter que l’esclavage lui-même parce que leurs grands pères étaient esclaves. Mais ceux qui, même s’ils sont milliardaires, ils sont traités en moins que rien, cela fait mal. Moi, je me suis battu pour la liberté en Guinée et quand j’apprends qu’un groupe de Guinéens sont encore esclaves, je me bats contre ça. Cela n’a rien à voir avec les ethnies. Ça à voir avec le manque de liberté de ces gens-là. Lorsque je suis venu, j’ai dit à un ami qu’il y a encore des séquelles de l’esclavage du Foutah. Il me dit que je ne suis au courant de rien et que ces gens-là sont organisés dans Manden-Djallon. Ceux qui critiquent Manden-Djallon ne savent rien de Mandén-Djallon. Manden-djallon a été créé des années et des années avant notre arrivée en Guinée. Ce sont les gens qui ont vécu ce système-là et qui sont encore sous les séquelles de l’esclavage qui ont créé Manden-Djallon. Au lieu de Foutah-Djallon, ils ont voulu Manden-djallon. Si tu prends les Djallonkas, ou ils sont Malinkés ou Soussous, ils ne sont pas Peulhs. Ils ont voulu tout simplement rappeler leur origine mandingue. Pour moi, la liberté est précieuse. Qu’on te dise pour tes baptêmes, tu dois tuer un bouc noir. A quel titre on doit t’interdire de tuer un bélier blanc ? Au cimetière, tu dois être enterré là. Tu as un cimetière à toi. Tu n’as pas le droit d’épouser mes filles mais tes filles sont à moi, je ne les épouse même pas. Je les prends de force. C’est ce système inégalitaire que je combats. On ne peut pas parler de démocratie et accepter cette différentiation. Je vous donne un autre exemple qui est le suivant : Chez mon oncle Pr Lanciné Kaba à Chicago aux USA, il y a des professeurs guinéens qui étaient en séminaire là-bas. Pr Lanciné a invité ces Guinéens à diner ou à déjeuner chez lui. Son épouse finit de préparer la table et elle vient dire aux invités de son mari que la table est prête et qu’ils peuvent venir manger. Tout le monde se lève et puis tout d’un coup on entend quelqu’un dire : tu oses passer devant moi ? Le Monsieur a fait marche arrière, l’autre est passé, s’est assis et c’est après que le premier est venu s’asseoir. Vous trouvez cela normal dans un pays démocratique entre citoyens égaux du même pays ? Et le premier qui s’était levé est d’origine d’esclave djallonka et l’autre peulh noble. Je trouve ça scandaleux que ça se pratique au Foutah ou partout où des Guinéens se trouvent. Je le combattrai toujours. Il ne faudrait pas qu’ils pensent que comme je ne suis plus dans le RPG Arc-en-ciel, je vais m’entendre avec eux. Je ne m’entendrai jamais avec eux tant que ce système de discrimination persistera au Foutah. Et si ça existait ailleurs comme ils le disent en Guinée, je mènerais le même combat. On me dit souvent qu’il y a des griots chez nous. Je dirai à ces gens-là que le griot est noble. Chez nous, le griot ne fait pas la guerre parce que c’est un groupe qui ne doit pas disparaître. C’est le groupe qui parle de l’histoire du Manding. Je préfère envoyer mon fils à la guerre que mon griot. Parce que c’est lui qui peut dire demain qui je suis, qui a été mon père et qui a été mon arrière grand-père. Les griots sont des nobles dans le travail, c’est des historiens et c’est un groupe qu’on cherche à sauver. Quelqu’un qui ne fait pas la guerre, ça veut dire qu’on le met au-dessus de tout le monde. On ne peut pas comparer la situation des griots au manding à l’esclavage. Il y a des gens qui me combattent en disant oui, vous savez aussi des griots et des artisans chez vous. Le métier d’artisan et de forgeron sont des castes. Ils sont des spécificités qui doivent être préservées. Alors, cela n’a rien à avoir avec l’esclavage. Je précise que l’esclavage a été introduit au Foutah après la bataille de Talansan en 1728 et Samory est venu un siècle après dans le but de les sauver (les poullos). Vous savez comment ? D’abord chez nous. Alpha Kabinet Kaba a participé à cette bataille qui a donné la victoire à Karamo Sambégou. Alpha Kabinet Kaba de Kankan a participé à la conférence qui a créé l’Etat Théocratique du Foutah. Les peulhs ne voulaient même pas qu’il (Alpha Kabinet Kaba) retourne à Kankan, mais Kankan les avait fait sortir parce que Condé Bréma avait combattu Kankan. On dit vous, vous sortez pour aller ailleurs. Si Condé Bréma détruit Kankan, vous reviendrez plus tard pour reconstruire la ville. C’est comme ça exactement que Alpha Kabinet Kaba est sorti et il est tombé au Foutah sur la guerre des peulhs contre des Djallonkés. C’était une guerre d’islamisation. Mais une fois que les gens sont islamisés, je n’ai jamais vu dans un pays au monde où une guerre d’islamisation a fini par être une guerre de fabrication d’esclaves. Et c’est ce qui s’est passé au Foutah au 18ème siècle. Samory est venu au 19ème siècle, un siècle et quelque après. Alors, ceux qui disent qu’il n’y avait pas d’esclavage chez eux et c’est Samory qui a introduit les esclaves au Foutah est archi-faux parce que Samory est venu après Alpha Kabinet Kaba. Les houbous c’étaient des peulhs musulmans qui se sont révoltés contre l’esclavage et contre les Almamy. Ils ont tué l’Almamy qui régnait à l’époque et autres de ses enfants. Et les peulhs ont fait appel à Kankan et c’est Kankan qui a demandé à Samory de venir libérer les Almamy. Samory a fait le siège pendant neuf (9) mois la capitale des houbous et les gens exterminés. Il a remis les peulhs à leur place. Naturellement quand il y a une guerre, il y a des gens qui viennent et qui restent. Mais ces gens-là, ce sont vos libérateurs. Par conséquent, vous ne pouvez les traiter en esclaves. C’est au Foutah qu’on a traité ces libérateurs en esclaves. Et la deuxième intervention de Samory, c’est la guerre contre les Français. Et ça aussi c’est Samory qui a envoyé des sofas pour aider Bocar Biro Barry [dernier grand Almamy du Foutah] contre les Français alors que Alpha Yaya l’avait trahi. Alpha Yaya Diallo a trahi Bocar Biro et ce sont les sofas de Samory qui sont venus au secours. Le grand-père de l’actuel ministre de l’Enseignement Technique s’appelle Damantang qui a été président de l’Assemblée nationale. Le grand-père de celui-là est mort comme sofa de Samory à la bataille de Porédaka pour empêcher la colonisation du Foutah. Ça veut dire que nous sommes liés par l’histoire mais ceux qui n’ignorent prennent les malinkés comme adversaires ou même des ennemis. Je me suis amusé à dire à deux de mes amis peulhs de la BAD [Banque africaine de développement] ceci : mes amis, on vous a sauvés trois fois. On vous a aidés à vous installer au Foutah avec les Sambégou, Samory est venu vous sauver des mains, des griffes des houbous. Samory est venu encore pour aider Bocar Biro contre les Français. La quatrième fois, nous ne serons pas là. »
Réalisé par Youssouf Keïta