Pierre Benoit, directeur adjoint de l’Information à TV5 Monde; Nadir Djennad, journaliste pour l’agence Reuters ; Francis Kpatindé, journaliste indépendant et maître de conférences à Science Po Paris, étaient tous l’invité de Assane Diop de RFI dans la célèbre émission Afrique Presse (TV5/RFI) de cette semaine. Et l’actualité guinéenne s’est invitée dans le débat. Retour sur un débat.
Assane Diop : Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Lansana Kouyaté, trois anciens Premiers ministres de Guinée sont donc de nouveau réunis contre Alpha Condé , les trois opposants reprochent aux président sortant d’avoir fixé la présidentielle à octobre prochain et repoussé à 2016 les élections locales qui ne s’étaient pas tenues d’ailleurs depuis 2005. Hors le délai de convocation du premier scrutin c’est-à-dire de la présidentielle relève d’une obligation constitutionnelle, mais les municipales en fait sont convoquées sur la base d’une loi organique. Alors comment expliquer cette crispation de l’opposition ?
‘‘On va peut-être tout simplement déboucher sur des affrontements dans les rues et pas forcément avec un vrai projet politique’’
Pierre Benoit : Moi je pense que l’opposition elle a bondi sur un point de droit, mais elle n’a pas raison…Sauf que les structure administratives locales, les élections locales n’ayant pas eu lieu depuis 2005, elles sont à la fois illégales et illégitimes. C’est-à-dire que cet appareil politique est au-delà de tous les mandats constitutionnels. Donc je pense que le motif ? Peu importe ! Il fallait que l’opposition rebondisse sur quelque chose. Et c’était très intéressant de recevoir cette semaine sur le plateau de TV5 Monde, Cellou Dalein Diallo. Parce qu’on avait le sentiment ce n’était pas la question de l’inversion du calendrier électoral qui comptait pour l’opposition. C’était en fait une espèce de ras-le-bol de l’ensemble des députes, de l’ensemble des forces de l’opposition sur la gestion politique du pays par le président Alpha Condé. Une espèce de désinvolture, le mot n’a pas été prononcé comme ça sur le plateau de TV5, mais on avait le sentiment que le reproche principal c’est la façon dont le président Alpha Condé gère les institutions, gère le pays, sans consultation, etc. Le côté un peu petit potentat. Je crois que le coté mépris est très important dans l’explication de cette relance, parce que cette relance avec cette fronde de l’opposition qui a été créée à Paris, pourquoi à Paris d’ailleurs et pas à Conakry ? C’est une question. On va peut-être tout simplement déboucher sur des affrontements dans les rues et pas forcément avec un vrai projet politique.
‘‘Au lieu de s’opposer à un bilan, au lieu de s’opposer à un programme dans la perceptive de 2015, l’opposition conteste en tout cas officiellement le calendrier électoral’’
Assane Diop : Alors Francis Kpatindé, au lieu de s’opposer à un bilan, au lieu de s’opposer à un programme dans la perceptive de 2015, l’opposition conteste en tout cas officiellement le calendrier électoral, elle veut des élections locales avant la présidentielle, alors qu’on le sait quand même, les ressources du pays ont été en partie entamées par Ebola, alors est ce que dans ces conditions on ne peut pas comprendre que des élections locales puissent être repoussées parce que c’est de l’argent en plus qu’il faudra peut être épargné .
‘‘Quand bien même on aurait placé les élections locales avant les présidentielles; ils auraient trouvé matière à redire’’
Francis Kpatindé: Moi je pense qu’on assiste à un éternel recommencement avec l’opposition guinéenne c’est-à-dire tous les cinq ans on revient, on quitte l’Assemblée nationale, la loi, les discussions, les débats doivent avoir lieu à l’Assemblé nationale, chaque fois on déserte l’Assemblée nationale on retourne à la rue. Il y a eu l’épidémie d’Ebola en effet qui a retardé tous les programmes, je pense qu’il faut aller à des élections présidentielles ; d’ailleurs c’est l’objectif de la plupart des leaders de l’opposition et quand bien même on aurait placé les élections locales avant les présidentielles; ils auraient trouvé matière à redire. Je pense qu’il faut faire preuve de responsabilité, aller aux élections présidentielles et puis on organisera les élections locales. D’autant plus que contrairement à ce qui se dit, tous les membres des Assemblée locales ne sont pas désignés par le pouvoir c’est totalement faux, il y a une bonne partie qui est élue, c’est vrai que l’élection remonte à longtemps à plus de dix ans. Et que maintenant on a tout le temps après d’organiser les élections locales. Il faut que le débat revienne à l’Assemblée nationale et que l’opposition joue son rôle, qu’elle soit respectée et que le pouvoir aussi joue son rôle.
Assane Diop : Alors on connait les conséquences d’une radicalisation de ce type de bras de fer en Guinée Conakry, Nadir Djennad, c’est-à-dire ça va se traduire par des manifestations, des violences de la surenchère, des victimes et pour finir l’arbitrage international soit de l’ONU soit de la francophonie.
‘‘On peut s’interroger sur les motivations de l’opposition’’
Nadir Djennad : C’est vrai dans le passé on a vu des affrontements très très violents, vous parliez de la Francophonie, moi je me souviens, il y a deux ans, c’était en 2013. L’ancien secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, il s’était rendu sur place, il y avait déjà une crise politique à propos d’élections législatives et Abdou Diouf avait eu cette phrase ‘’Il y a un mur de méfiance entre les acteurs politiques de ce pays ‘’. Là, cette semaine, on a eu la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie qui a essayé d’arranger les choses, qui a discuté avec les acteurs politiques, on peut quand même émettre des réserves sur ces discussions. Est-ce qu’elles vont aboutir ? La crise est très difficile, on a vu dans le passé des violences. Et c’est vrai qu’on peut s’interroger sur les motivations de l’opposition. Parce que c’est vrai que s’arc-bouter sur la question de la tenue des élections locales avant l’élection présidentielle laisse quand même un peu sceptique.
‘‘C’est vrai que l’opposition, elle tourne en rond, elle donne l’impression de bégayer un petit peu dans le style’’
Pierre Benoit : C’est vrai que l’opposition, elle tourne en rond, elle donne l’impression, Francis le disait assez bien, de bégayer un petit peu dans le style, dans…etc., au lieu de faire un programme, de lancer une campagne électorale sur un programme avec des objectifs, ça serait peut-être plus intéressant pour l’opinion guinéenne. Moi je voudrais rebondir sur le fait que finalement même si c’est vrai comme ça de l’extérieur on peut dire…le président Alpha Condé, il a un peu une grande désinvolture dans sa façon de faire, sa gestuelle politique, il y a quand même quelques chose qu’il faut souligner autour de cette table c’est que l’affaire Ebola c’est une guerre, c’est une guerre tout simplement en terme de victimes, en terme de destructions de l’appareil de l’état qui était déjà fragile au plan économique, etc. Donc je pense au moins autour de cette table on peut dire peu importe cette gestuelle politique qui est critiquable, la vérité c’est que quand même l’appareil central, il a tenu la barque pendant les deux ans de cette crise Ebola et que ce n’est déjà pas rien.
‘‘Ils ont des leaders de qualité. Mais on ne sait pas pourquoi ils sont toujours arc-bouter sur leur communauté d’origine’’
Assane Diop : Francis kpatindé, vous partagez cet avis ? Et puis, on redoute toujours en Guinée, l’instrumentalisation du communautarisme.
Francis kpatindé: Eh bien ça, il est fort hein, je pense qu’en Afrique de l’ouest, il n’y a pas de comparaison. Et je pense qu’ils ont des leaders de qualité. Mais on ne sait pas pourquoi ils sont toujours arc-bouter sur leur communauté d’origine. Ce qui faudrait, c’est dépasser ça. Imaginer que Demain Cellou Dalein Diallo soit élu, ça va être la même chose de l’autre côté, on va l’empêcher de diriger. Ce qu’il faudrait c’est qu’ils signent une sorte armistice, un compromis historique pour passer à autre chose.
Assane Diop : Un débat politique civilisé…
Nadir Djennad : La population quand même aspire à autre chose de sa classe politique et on en a assez de voir ces disputes continuelles entre les responsables politiques. Il y a eu effectivement ébola, la Guinée Conakry est l’un des pays les plus touchés dans cette région. Il y a aussi des problèmes économiques et sociaux et là il y avait matière à consensus.
La rédaction