Pour exiger la tenue des élections communales, l’opposition menace de reprendre les manifestations de rue. Le vice-président exclu de l’UFDG estime que c’est une piètre stratégie. Bah Oury évoque également l’affaire du Massacre du 28 septembre 2009 avec des révélations sur Toumba en détention et Tiégboro des services spéciaux. Toutefois, il considère que la question d’un 3è mandat d’Alpha Condé n’est pas d’actualité.
Les élections communales étaient prévues au cours du premier trimestre de cette année. D’après votre analyse de la situation, seront-elles organisées en 2017 ?
C’est difficile de se prononcer puisque je ne suis pas maitre du calendrier. Mais, ce dont je suis sûr, le Code électoral voté le 23 février dernier ne fait pas encore l’unanimité. Beaucoup d’acteurs politiques et de la société civile ont déposé de recours auprès de la Cour constitutionnelle pour contester le texte. Nous attendons la réaction de la Cour pour savoir si cette loi ne reviendra pas au niveau de l’Assemblée nationale pour faire l’objet d’amendement pour qu’elle soit en conformité avec la Constitution. J’ai fait une proposition d’ores-et-déjà pour aller dans le sens de la confirmation de la violation de certaines dispositions constitutionnelles dans le Code électoral et montrer que la nomination des chefs de quartiers et de districts par des conseils communaux élus ne correspond pas du tout à ce que la Constitution prévoit. De l’autre côté, le texte présente un des dangers extrêmement importants, parce que ça contribue à mettre en place des oligarchies politiques qui risquent de prendre en otage le vote des électeurs. Par conséquent, au lieu que la démocratie soit le système politique pour que l’écrasante majorité des citoyens puissent s’exprimer, ça sera une forme purement de façade où le vote n’aura plus d’effet. C’est extrêmement dangereux pour la stabilité du pays et pour l’enracinement de la démocratie en Guinée. Il y a une proposition alternative qui correspond aux dispositions du Code des collectivités du Séné- gal qui prévoit la mise en place des conseils consultatifs dans les quartiers. Ces conseils consultatifs sont composés de différentes associations du quartier y compris les sages, les femmes, etc. Donc, l’ensemble des forces vives du quartier peuvent être représentées dans le Conseil consultatif. Et ce sont ce conseil consultatif qui, en son sein, élit des représentants. Dans cette approche, les questions constitutionnelles seront respectées et les difficultés de la CENI seront prises en compte puisqu’elle ne peut pas organiser, au suffrage universel comme elle a dit pour des raisons financières et logistiques, des élections dans l’ensemble des quartiers et districts. Je pense, à partir de ce moment-là, ça nous permettra de repartir sur une autre base. Ceci dit, il y a des notifications dans le dispositif du processus électoral comme le Pacte de convergence de la CEDEAO sur la gouvernance qui recommande qu’il y ait un délai de six mois entre l’adoption d’une nouvelle disposition et une élection qui doit prendre en compte ce changement du dispositif. On est au mois d’avril, bientôt mai. Dans le meilleur des cas, les élections pourraient se tenir dans la forme légale vers la fin de l’année, soit en début d’année 2018 pour ne pas accumuler encore un retard alors qu’on aura les législatives en septembre 2018.
Est-ce que vous avez fait cette proposition à la Cour constitutionnelle ?
La Cour constitutionnelle est indépendante. Ma proposition circule, mais ce n’est pas à elle de prendre une décision. La Cour constitutionnelle doit examiner la validité et le respect des lois au regard de la Constitution. La nomination des chefs locaux au prorata des voix viole le suffrage direct. En plus, lorsqu’ils ont dit que les chefs de quartiers et présidents de districts peuvent être nommés par les conseils élus, ils ont enlevé les prérogatives des collectivités locales aux quartiers et aux districts. Ce qui est une aberration au sens institutionnelle et au sens administratif du terme, parce que les quartiers, qui sont des composantes de la commune, doivent remplir les critères pour être des collectivités locales. Par exemple, si on considère qu’on peut faire un découpage d’une commune pour en faire deux et si le quartier n’a pas une personnalité morale donc juridique pour être qualifié de collectivité locale et érigé en une commune, comment pourrons nous découper par exemple le quartier de Sonfonia? Si on dit que le quartier de Sonfonia est une commune, qui pourra dire que ce n’est pas une commune si on procède à ce découpage? C’est pour vous dire que la manière dont ils ont considéré les quartiers et les districts est une violation de la Constitution.
Et comment ?
La Constitution dit que les collectivités locales s’administrent autrement par des conseils élus représentant les populations. C’est pour contourner cette difficulté et faire comme s’ils ont respecté le processus de décision institutionnelle qu’ils ont fait cette alchimie qui ne reflète pas du tout la réalité.
Est-ce qu’il y a de la chance que votre proposition soit un jour débattue à l’Assemblée ?
Déjà, le point 2 de l’Accord politique présente des entorses graves à la Constitution. Et ça ne va pas dans le sens de la démocratie, de la décentralisation. Pis, ça crée des risques sérieux de troubles dans certaines régions où la coexistence ethnique est relativement récente. Et par rapport à l’intérêt supérieur du pays, sur le plan constitutionnel, l’obligation de respecter la Constitution et par rapport aux impératifs politiques d’aller dans le sens de la stabilité dans le pays, il faudrait éviter des décisions qui risquent de créer de sérieux problèmes à la Guinée.
Pourquoi n’aviez-vous pas fait votre proposition pendant le dialogue ?
Le dialogue, c’était quoi ? Il y avait des arrangements. Vous croyez que ceux qui ont signé le point 2 ne sont pas conscients de ceci ? Ils veulent que les délégations spéciales qu’ils dirigent déjà soient celles qui seront réélues à travers des réseaux de clientèle et en faisant des propositions à certaines personnes ressources dans les quartiers. C’est un réseau pour étouffer le processus démocratique et influencer négativement les électeurs. Ils veulent se maintenir pour satisfaire leurs propres intérêts qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général.
Donc le peuple est pris en otage par l’UFDG et le RPG ?
Ceci prouve qu’il y a des personnes, quels que soient leurs bords politiques, opposition ou mouvance, qui ont peur du processus démocratique et de cette nouveauté qui est en train d’évoluer. La société guinéenne veut le changement. Les jeunes veulent s’impliquer davantage. Les deux bords politiques se sont partagé les délégations spéciales. Il y va de soi que la Guinée ne va pas avancer. Bien au contraire, elle va reculer.
L’opposition menace de reprendre les manifestations de rue. Est-ce qu’elles sont opportunes ?
Non, pas du tout ! Déjà, ceux qui ont organisé cette façon de violer la Constitution ne vont pas dans le sens de l’intérêt national. Ceci veut dire quoi ? Si vous ne faites pas ce que je veux, je vais sortir les gens et les prendre en otage. Non, je pense que c’est enfantin, puéril et c’est même irresponsable.
Qu’est-ce qu’il faut alors ?
Il faut aller dans un sens de dialogue profond, ne pas faire une loi ou un accord pour satisfaire ses propres intérêts seulement. Il faut voir l’intérêt du pays pour garantir un renouveau démocratique.
A qui imputer la responsabilité ?
Il y a une génération politique héritière des pratiques depuis l’indépendance qui sent que son temps est en train de finir et qui veut s’agripper coûte que coûte pour imposer à la société guinéenne sa marche et son empreinte. La société guinéenne veut bouger, les gens veulent prendre des responsabilités, mais il y a certains qui veulent tenir la barre pour que cela n’arrive pas. Malheureusement pour eux, la vie étant ce qu’elle est, on assiste à la fin d’un cycle politique et au démarrage d’un nouveau. Celui du renouveau où la société guinéenne avec une génération plus impliquée dans la vie sociale née dans les années 80 qui a grandi avec Facebook. Cette génération n’est pas à l’image de celles formatées par le PDG et le PUP. Ces deux cultures politiques sont totalement différentes.
Faites-vous allusion aux anciens ministres sous Sékou Touré et Conté ?
Pas simplement ceux qui ont été ministres. C’est la culture, la manière de faire, le mode de pensée unique. Aujourd’hui, ils peuvent dire qu’ils sont de l’opposition, mais ils fonctionnent comme un parti-Etat. Ils ont peur du débat. Ce sont des partisans du culte de personnalité. Alors que de nos jours, la société guinéenne aspire à plus d’ouverture.
Votre exclusion de l’UFDG a été annulée par le tribunal de Dixinn. Comment se prépare votre retour ?
Sur le plan judiciaire, l’autre camp a interjeté appel à la décision du tribunal. C’est tout à fait conforme au droit. Mais, ils ont récidivé en utilisant la méthode et la logique qui ont été condamnées par la justice pour nommer quelqu’un d’autre. En ce qui me concerne, je laisse le processus judiciaire suivre son cours. Au-delà de ça, il y a la lutte politique que nous menons sur le terrain. Nous allons conquérir l’UFDG.
Il se trouve que votre remplaçant par intérim, Chérif Bah, est originaire de Pita comme vous. Comment jugez-vous cela ?
La mentalité du parti unique, les expériences antérieures, la manière dont le PDG et le PUP ont gouverné, c’est toujours cette mentalité qui domine. Diviser pour régner fait partie des méthodes autoritaires connues partout dans le monde. Mais au-delà, je suis né à Pita et je suis un des ressortissants, mais la personne à laquelle vous faites allusion a dit que son père est de Pita, mais que lui, il ne l’est pas.
Il y a aussi la Cour suprême qui a annulé le processus judiciaire dans l’affaire 11 juillet qui vous concerne. Comment vous vous êtes senti en apprenant cette nouvelle ?
J’ai communiqué en félicitant les magistrats de la Cour suprême d’être allés dans le sens de la cassation du jugement prononcé lors des assises de 2013 concernant l’affaire 19 juillet de l’attaque contre le domicile d’Alpha Condé. C’est une attitude responsable qui va dans le sens du renforcement d’une certaine dynamique de décrispation pour tourner la page d’une période assez triste de la vie politique nationale.
Vous vous en félicitez alors que cette cassation ne signifie pas forcément qu’il n’y aura plus condamnation dans un nouveau procès.
Imaginez la décision d’une Cour suprême de casser l’arrêt d’une Cour d’assises dans le cadre d’une affaire intitulée atteinte à la sûreté de l’Etat ! C’est un geste extrêmement fort et je ne pense pas que les autorités judiciaires, et même politiques au plus haut niveau, puissent voir dans le sens de votre question. Au contraire, l’idée qui prédomine, c’est d’aller dans le sens de l’apaisement, de décrispation et de pouvoir tourner la page de cette triste période.
Certains parlent de manipulation des magistrats qui ont jugé l’affaire 28 septembre. Êtes-vous de cet avis ?
Ce n’est pas une question de manipulation. Ce qui est plus important, les magistrats de la Cour suprême ont eu le courage de le faire. Bien entendu, je ne peux pas penser que cela puisse se faire sans l’aval des autorités politiques au plus haut niveau dans ce pays.
Après avoir été condamné, vous avez bénéficié d’une grâce présidentielle, mais certains comme AOB et Fatou Badiar sont toujours en détention. Est-ce que vous êtes en contact avec eux ?
Ils savent que je suis solidaire d’eux, que je ne vais pas les abandonner et, que je fais tout pour qu’ils puissent obtenir leur liberté le plus rapidement possible. Un peu de patience, tout le monde recouvrera sa liberté dans très peu de temps.
Parlons de l’affaire 28 septembre qui vous concerne également en tant que victime. Toumba est en prison, mais il se trouve que d’autres inculpés sont en fonction. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que la justice a ses raisons. Je ne suis pas dans les secrets du juge, ni des magistrats. Je pense que l’essentiel est que l’instruction se passe dans le respect des règles y compris pour Toumba que pour les autres et que toute la vérité puisse être dite dans cette tragédie. Il faut, le moment venu, que le procès se passe dans notre pays et que ça soit un moment de vérité, de responsabilité pour l’ensemble des acteurs, et que cela puisse servir de pédagogie pour demain.
Il se trouve que certains acteurs politiques avaient, au lendemain du massacre, déclaré avoir été sauvés par Toumba. Comment se peut-il qu’aujourd’hui aucun d’entre eux ne lève son petit doigt pour rappeler cela ?
Peut-être qu’ils en ont parlé, je n’en sais rien. Peut-être que le moment n’est pas venu d’en parler publiquement. Je sais que c’est de notoriété publique que Toumba a encadré la sortie des certains responsables comme Sidya Touré, Jean Marie Doré, Fall, Aboubacar Sylla, Mouctar Diallo et d’autres. Mais, Cellou était déjà couché et je l’ai pris au risque de ma vie, aidé par Abdoulaye 3, un de nos gardes, pour le sortir du stade. C’est Tiègboro qui nous a interceptés et conduits dans sa jeep au camp Samory Touré pour les premiers soins.
Croyez-vous réellement à la tenue de ce procès cette année et en la capacité de la justice guinéenne à pouvoir juger cette affaire ?
2017 sera une année judiciaire d’une extrême importance. Il n’y a pas simplement la tenue du procès du 28 septembre 2009. Déjà, le procès du journaliste Mouhamed Koula et la tentative sur ma personne doivent se tenir avant celui du massacre du 28 septembre. C’est un test pour voir si la justice, dans certaines de ses composantes, montrera une capacité et une neutralité pour juger des responsabilités dits politiques qui se sont illustrés par des activités criminelles. Le tribunal de Dixinn doit programmer le procès Mohamed Koula. Je pense que le jugement se fera parce que les journalistes, la famille de la victime et moi-même sommes partie civile. Il faut que le procès se tienne dans les meilleurs délais parce qu’il y va de l’intérêt de la justice dans notre pays.
On sent de plus en plus des velléités de modification constitutionnelle de la part du chef de l’Etat qui fait des déclarations publiques polémiques sur un éventuel 3e mandat. A votre avis, qu’est-ce qu’il faut pour empêcher cela ?
Je n’ai pas entendu qu’il ait dit qu’il veut un 3e mandat. Il ne faut pas lui prêter des propos qu’il n’a pas tenus. La Constitution guinéenne est claire : c’est 2 mandats. Toutes ces supputations ne devraient pas être à l’ordre du jour. En Guinée, on aime créer des débats qui mobilisent pendant des mois pour ne pas s’intéresser aux vrais problèmes. On va encore continuer à se poser des questions. Nous voulons aller dans le sens du renforcement des institutions démocratiques. Nous ne devrons pas être de ceux qui, insidieusement, déstabilisent nos institutions. En plus, l’Afrique de l’ouest est en train d’évoluer dans une dynamique de respect des dispositions constitutionnelles. Il y en a eu au Burkina, et récemment en Gambie. Partout la tentative de modification constitutionnelle a échoué. Les présidents de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Libéria rentrent dans le cadre de la normalité démocratique. Le président Alpha Condé ne peut être que dans le sillage d’une Afrique qui bouge et qui se démocratise.
Qu’est-ce qui empêche Alpha Condé de se prononcer sur cette question pour taire les rumeurs comme l’ont fait ses homologues que vous venez de citer ?
Chaque pays a ses réalités. Peut-être que le président Alpha Condé a ses raisons que j’ignore.
Alpha Condé a demandé de couper le cordon ombilical avec la France. Partagez-vous cette opinion ?
Je pense qu’il a raison de le dire. L’Afrique est majeure. Donc, elle doit s’assumer. C’est une revendication tout à fait normale. Il l’a dit dans le sens qu’il est inadmissible que l’UA soit financée à près de 70% par l’UE. Il faudrait, de ce point de vue, que prenions notre destin en main pour financer notre organisation continentale. Nous devrons voir nos problèmes par nous-mêmes et pour nous-mêmes. C’est à partir de ce moment qu’on devra être plus représentatif pour défendre les intérêts de nos pays tout en sachant que nous avons des partenaires stratégiques privilégiés. Pour la Guinée, la France est un partenaire stratégique privilégié. Ça, c’est le fruit de l’histoire et la géopolitique mondiale.
En 2016, vous aviez participé à un congrès sur l’avenir de l’enseignement supérieur en Afrique francophone organisé à Dakar par le journal Le Monde. Alors, que pensez-vous des réformes envisagées par le nouveau ministre de l’Enseignement pré-universitaire notamment la suppression des notes de cours aux examens nationaux ?
Cette décision est liée à certaines délibérations de la commission que M. Alpha Condé a mise en place pour faire le diagnostic du système éducatif guinéen. Ce sont des mesures qui peuvent être prises d’ores-et-déjà pour les prochains examens. Il y a manque de transparence au niveau des notes de cours qui pondéraient les notes à l’examen. Il s’est avéré qu’il y a un commerce illicite de distribution des notes comme si l’objectif est de tromper les enfants. Il faudrait que la note reflète le niveau de l’élève. C’est par ce billet qu’on pourra évaluer les efforts à mettre en place pour améliorer notre système éducatif. Donc, c’est une mesure tout à fait compréhensible pour éviter un trafic de notes constaté par-ci par-là.
Source : Le Populaire
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