(Par Mamadouba Diakité ) Cette année aussi, le verdict du gouvernement est tombé ! Pour envoyer ses parents visiter les lieux saints de l’Islam, ou s’y rendre soi-même, il faut réunir deux conditions : être âgé de 70 ans au maximum et débourser, vaille que vaille, plus de 40 millions de francs guinéens.
Si la première condition peut avoir un fondement «acceptable», la seconde est inadmissible. Les 40 millions ne sont pas justifiés. Pourquoi ? Immersion dans un océan aux eaux pas très claires !
Pour les agences de voyages et les compagnies aériennes, le transport des pèlerins constitue une opération toujours attendue en début d’année : ça leur permet de faire grimper leurs chiffres d’affaires en flèche. Cela n’a rien de mauvais. Faire du lucre, c’est l’essence du secteur privé. La compétition que se livrent donc les opérateurs pour décrocher le service public d’accompagnement des fidèles musulmans à la Mecque, cette compétition est juste et judicieuse.
L’autre effet positif de la compétition entre les acteurs du transport aérien réside dans cet apport : elle fait baisser considérablement les coûts pour les familles des pèlerins.
Comment ? Explication !
D’abord un bref rappel historique ! En 2011, pour se rendre à la Mecque, les pèlerins guinéens déboursaient un montant de 24, 5 millions. En 2017, le montant a grimpé de près de 40%. Cette hausse exponentielle du tarif du voyage à la Mecque à une explication. D’abord, l’inflation. Oui, l’inflation ! Mais pas seulement ! Notre pays n’a pas connu un taux d’inflation de 40 % en moyen de 8 ans. L’autre explication, la plus plausible, est la suivante : le manque de transparence dans la négociation des contrats avec des compagnies aériennes et tours opérateurs !
Si en 2011 et 2012 les montants à débourser étaient respectivement de 24 et 28 millions, c’est qu’à cette période, une règle d’or était respectée dans la négociation des contrats : le lancement d’appels d’offres ! Cependant, depuis cette période, cette bonne pratique a plié bagage : en 2016 et 2017, aucun guinéen lambda ne connait comment les tarifs sont-ils négociés. Aucun appel d’offres n’est lancé, aucune publication des principaux éléments des contrats liant l’Etat aux opérateurs privés, n’est faite. C’est l’omerta totale !
Pourtant, en la matière, la loi est extrêmement claire : la passation d’une convention de délégation de service public doit faire objet d’une procédure de sélection compétitive, c’est-à-dire, d’un appel d’offres régulièrement publié (voir les articles 45 et 77 du Code des Marchés Publics).
L’organisation du transport de pèlerins à la Mecque étant une activité de service public, sa délégation au secteur privé doit donc logiquement faire l’objet d’une procédure de sélection compétitive. L’égalité de traitement des opérateurs économiques oblige !
C’est raté ! Cette année aussi, comme l’année dernière, les Guinéens ne sauront pas comment le contrat liant l’Etat à la compagnie aérienne en charge du transport des pèlerins aura été cuisiné. Dommage ! Mais, pas totalement raté ! On va s’efforcer à lever un coin du voile épais jeté sur ce dossier par les redoutables businessmen du hadj.
En début de l’année 2017, conscient de la nécessité de lancer un appel d’offres pour le recrutement de la compagnie aérienne et le tour opérateur devant aider au transport des pèlerins guinéens aux lieux saints, le Secrétariat Général des Affaires Religieuses a élaboré, en bonne et due forme, un dossier d’appel d’Offres, qu’il s’apprêtait à lancer. Mais soudain, un coup de fil mystérieux retentit : le Secrétaire Général des Affaires Religieuses (SGAR) est sommé de ne pas lancer l’appel d’offres !
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le SG des Affaires Religieuses obtempère. Il abandonne le lancement de la compétition et attend les instructions. Quelques jours plus tard, il est sommé de se présenter à la Primature avec ses services techniques, accompagnés du Dossier d’Appel d’Offres qu’il envisageait de lancer.
Après quelques conciliabules, le dossier du SGAR est rangé dans les tiroirs. Place au plan de la Primature ! Au pied levé, un « petit dossier » est cuisiné par les services du Premier Ministre. Pourquoi, pour servir de base à l’appel d’offres ? C’est ce que croyaient les cadres des Affaires Religieuses. Mais erreur !
Le dossier élaboré sous la « Direction de la Primature », ne servira jamais à un appel d’offres. Il est établi pour entamer des négociations directes avec un opérateur déjà identifié ! Ces négociations ont-elles eu lieu finalement ? La réponse est oui, puisqu’un appel d’offres n’a jamais été lancé, pourtant le tarif du pèlerinage a été fixé à plus de 40 millions !
Que justifie l’approche de la Primature ? On ne saurait le dire, puisque les services du Premier Ministre n’ont jamais communiqué autour de cette question. Peut-être cette justification existe-elle ? Nous attendons de voir !
Cependant, une chose est sûre, ce comportement a occasionné plusieurs conséquences fâcheuses pour nos concitoyens :
- Première conséquence : privation des finances publiques et des familles des pèlerins, des gains qui auraient pu être induits par une procédure de sélection compétitive : étant donné qu’il est mondialement admis qu’un appel d’offres ouvert peut entraîner une réduction des coûts des prestations pouvant aller jusqu’à 40%, il n’est pas erroné d’affirmer que, si un appel d’offres avait été lancé, les guinéens auraient pu payer moins de 30 millions pour se rendre à la Mecque au titre de l’année 2017.
- Double violation de la Loi régissant la commande publique : en intimant le SGAR d’abandonner le lancement d’un appel d’offres, la Primature a violemment méconnu les dispositions de l’article 3 de la Loi/ 2012/020. En effet, ces dispositions érigent le SGAR, en tant qu’organisme d’Etat, en Autorité Contractante, c’est-à-dire en Institution capable seule de passer ces commandes. Par ailleurs, en négociant directement une convention de délégation de service public, les Services du Chef de Gouvernement, ont gravement agressé les lois de la République : les dispositions du Code des Marchés Publics interdisent formellement cette façon d’agir !
Conclusion
Certes, cette année il est matériellement difficile de revenir sur cette décision de fixer le tarif du hadj en violation du Code des Marchés Publics et Délégations de Service Public, mais il y a une chose qui n’est pas trop tard : la sanction des responsables de cette violation.
Nous demandons donc :
- La publication des principales clauses du contrat liant l’Etat aux opérateurs du secteur privé auxquels la mission été confiée cette année 2017 ;
- L’ouverture d’une enquête administrative et judiciaire sur les modalités de dévolution de cette délégation de service public de transport des pèlerins guinéens ;
- L’application éventuelle des dispositions de l’article 135 du Code des Marchés Publics sur les sanctions pouvant être prononcées contre les agents publics responsables de la violation de la réglementation en matière de commande publique
A suivre
Par Mamadouba Diakité