Une grande joie m’anime d’être parmi vous cet après-midi à l’occasion de la présente Conférence annuelle africaine sur la Paix et la Sécurité.
Le lieu même inspire : Rabat, capitale historique du Royaume chérifien, dont le cœur palpite à l’unisson de l’Afrique mère, chantre de l’Union et de l’unité, en avant-poste de la coopération sécuritaire en général, de la lutte antiterroriste mondiale en particulier.
Le sujet aussi inspire, car le concept d’autonomie stratégique exprime un besoin essentiel de nos peuples et préfigure un changement profond de l’Union Africaine en ce sens.
Pour toutes ces raisons, le Pr Alpha CONDÉ, Président de la République de Guinée et Président en exercice de l’Union Africaine me charge de vous transmettre ses salutations et de vous adresser ses remerciements et ses encouragements dans la voie difficile, exaltante et si profondément propre et unique à l’homme, celle de la réflexion mais plus encore, de la réflexion partagée. À coup sûr pense-t-il, votre vision et vos visées seront à la hauteur des enjeux planétaires et ceux de notre continent.
L’Afrique est un continent de trente millions de kilomètres carrés avec près de sept cent millions d’habitants.
Cependant, en dépit de son étendue, elle a pu se doter relativement tôt après les indépendances, d’une représentation globale, en l’occurrence l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) créée dès 1963.
Preuve de sa puissance synergique, ce grand ensemble géopolitique a pu intégrer et faire accepter par l’opinion internationale aussi bien la grande île Madagascar que les Comores, les Seychelles tous États insulaires de l’océan indien quoique d’origine africaine, à la différence de Madagascar dont l’enracinement culturel tient de l’Indonésie, comme a fait remarquer Yves Lacoste.
Ainsi dès le départ, l’éthique de l’OUA ne s’est pas entachée d’un nombrilisme ombrageux et a donné la preuve d’une stratégie d’ouverture. Et même, selon certains auteurs, l’idée et la volonté d’autonomie des États alors combattant l’apartheid étaient constitutives de la création de la SADCC.
Cependant, le continent africain a des problèmes structurels et pas seulement, susceptibles de freiner son autonomie stratégique. Ce sont autant d’écueils à identifier, sans tomber dans le nihilisme toujours idéologiquement motivé.
La situation d’ensemble se trouve compliquée par des conflits de leadership internes et inter étatiques et même par des acteurs extérieurs.
Ce phénomène, malheureusement, a un impact terrible sur la situation politique, économique et sociale du continent. L’illusion identitaire est devenue un piège qui enchaîne l’Afrique, alors qu’elle subit encore les conséquences de la vidange de la traite des esclaves et celles déstructurante du colonialisme.
À ces maux s’ajoutent de nos jours les mécanismes de l’échange inégal et de l’accentuation de la pauvreté ; prosaïquement la configuration des échanges au détriment des matières premières et au profit des produits manufacturés ; la déconnexion croissante entre la sphère financière spéculative et la production et l’échange.
Pour tout cela effectivement, l’intelligence d’élaboration et d’applicabilité des principes qui fondent l’ordre international africain est d’actualité.
Il y a donc nécessité et urgence d’explorer de nouvelles formes de souveraineté et de représentation politique à même de garantir efficacement la sécurité collective, la gestion équilibrée et autonome des territoires, la répartition des ressources qui ne fasse pas le lit du terrorisme, de l’injustice économique et sociale.
En effet, la mondialisation ne peut pas par elle faire disparaître comme par enchantement les effets nuisibles du renfermement identitaire nationaliste. Les logiques transnationales ne s’opposent pas au développement du nationalisme étriqué. La mondialisation n’est pas une panacée. Il nous faut innover. Vous y êtes conviés.
L’Union Africaine s’y met depuis quelque temps. La désignation des Chefs d’États champions d’un domaine précis à l’avantage de coller aux réalités, de façon coordonnée pour leur transformation. Et la création du « G5 Sahel » est une initiative à encourager et soutenir.
Comme vous le savez, le budget de l’Union Africaine repose à soixante-treize pourcent sur l’apport extérieur. Aucune stratégie d’autonomie politique économique ou sécuritaire ne pourra être viable tant que demeurera cette triste réalité. C’est pourquoi, la taxe de 0,2 pour cent sur les importations est salutaire.
Nous espérons qu’elle sera appliquée comme les propositions qui seront issues de vos travaux, une fois décidées et acceptées. En effet, l’applicabilité des décisions est le défi majeur qui se pose à notre continent.
Intégrer les couches déshéritées et assurer la formation des hommes ; créer de grandes écoles régionales d’excellence ; penser de nous-mêmes nos critères de développement et de gouvernance comme nos propres plans de développement ; vouloir réaliser l’unité pleine et entière de l’Afrique ; trouver quelle devra être la place de notre continent dans la coopération internationale contre le terrorisme en terme de coordination, d’échange d’expériences et d’informations mais aussi et surtout de financement, sont quelques modestes éléments que je proposerais à votre réflexion, parmi tant d’autres que vous aurez certainement à déterminer dans le sillage.
Vous avez raison de le souligner : l’autonomie stratégique de l’UA pourrait être un véritable vecteur pour le positionnement de l’institution sur la scène internationale. Nous devons y travailler pour construire une paix durable permettant à nos Etats de se concentrer sur le développement économique du continent.
En tant que Ministre de la Défense de mon pays, je vous proposerais pour terminer, d’avoir à tout moment à l’esprit dans vos travaux que, comme l’a dit Tom Clancy dans un entretien publié par l’Express et qu’a noté dans sa magnifique publication « Le livre gris du terrorisme » Jean-Cyrille, « le terrorisme est avant un acte politique, il cherche à provoquer un effet politique ». Je vous remercie.