Tibou Kamara: « Alpha Condé est devenu un danger pour la Guinée et pour la région »
Tibou Kamara, l’ancien ministre Secrétaire général à la présidence sous la Transition, a vivement réagi dans une interview qu’il a accordée la semaine dernière à un journal sénégalais (L’Observateur N°2393 du 13 septembre), aux accusations du président Alpha Condé qui l’a indexé comme un des cerveaux de la tentative d’assassinat perpétrée contre lui. Lisez plutôt!
L’Observateur : Monsieur le ministre d’Etat, vous êtes perçu comme l’âme de la transition guinéenne pour avoir été le tout puissant Secrétaire général de la présidence. Quel a été votre rôle ?
Tibou Kamara : Je crois que c’est le destin qui a voulu que je me retrouve à un poste stratégique dans le cadre de la transition que la Guinée vient de connaitre ses premiers pas. Nous estimons que nous n’avons fait qu’un premier pas et que l’essentiel restait à venir avec l’organisation des prochaines élections dans le cadre de la poursuite du calendrier électoral. En attendant l’arrivée des autres responsables pour consolider l’effort déjà fait avec l’installation des Institutions qui sont les caractéristiques d’un Etat de droit. Donc, je crois modestement avoir rempli la part qui me revenait. Je ne pense pas avoir une fierté particulière à cela, ni un mérite personnel. C’est une équipe qui a travaillé dans cette première partie de la transition. Tout n’est certes pas parfait, mais on aura à parfaire des choses pour finir le reste du travail pour que l’œuvre entamée puisse connaître un aboutissement heureux.
Le Président Condé vous accuse d’avoir tenu des réunions secrètes à Dakar pour attenter à sa vie. Que répondez-vous ?
Je pense que l’accusation d’être impliqué dans la tentative d’assassinat ou d’attentat dont il nous accuse relève d’un manque de discernement. En plus, lorsqu’on reçoit des informations qui engagent la réputation d’un établissement comme le Méridien et la crédibilité, sinon la moralité d’honnêtes citoyens que nous sommes, l’on doit éviter de se fonder sur des rumeurs ou de nourrir une suspicion sur les citoyens de son pays. Je trouve qu’à ce niveau de responsabilité, c’est regrettable.
Pourtant, il affirme que c’est du Méridien que tout est parti.
Lui seul peut l’expliquer. Mais en attendant, les premiers arguments qu’il a développés dans la presse sénégalaise n’ont convaincu personne. Au lieu des faits qu’on attendait, avant l’éclairage de la justice qui est à pied d’œuvre pour faire la lumière sur l’attaque du domicile privé d’Alpha Condé, lui-même a sa conviction déjà faite et désigne par avance et sans la moindre précaution des coupables. Lui, le professeur de droit devenu chef de l’Etat garant de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice en cette phase d’apprentissage de la démocratie et de l’Etat de droit devrait donner le bon exemple. Il n’est pas compétent pour juger quelqu’un, il n’honore ni sa fonction ni le pays à porter des accusations gratuites contre des citoyens et des pays amis.
Cependant, il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’un acte de maladresse ou d’une volonté d’orienter la justice ou simplement d’abuser de notre opinion publique. Tout cela est prémédité. J’ai rappelé sur les antennes de la radio Espace FM que lors d’une visite qu’il a effectuée à Dakar, le ministre de la coopération, au lieu de vaquer à ses activités officielles, déambulait dans les couloirs et le hall de l’hôtel pour tenter de comprendre ce que nous faisons. C’est ainsi qu’il a interrogé le personnel à propos de nos activités. Il voulait savoir aussi si c’est l’Etat sénégalais qui prenait en charge nos frais. Il a été plus loin en téléphonant à des notabilités et des leaders d’opinion proches du pouvoir à Conakry pour »dénoncer » l’ancien ministre de la sécurité Khouréissy Condé qui ferait partie d’une conspiration contre le nouveau régime. Et pourtant, l’ancien ministre qui revenait d’une visite de travail à Ouagadougou était seulement en escale à Dakar. Suite à l’alerte lancée par le ministre Koutoubou, jusqu’à son départ, le pauvre a été harcelé d’appels en provenance de Conakry pour lui rappeler qu’il ne doit pas pactiser avec »l’autre bord » pour des raisons faciles à deviner dans la Guinée ségrégationniste d’Alpha Condé. Comme lui, beaucoup de ceux qui étaient avec nous dans la transition dans le gouvernement et d’autres postes de décision et qui se retrouvent encore aux affaires et autour d’Alpha Condé ont joué un rôle dont il n’y a pas lieu d’être fier en se fondant sur le serment que nous avons tous fait de ne favoriser ou léser aucun candidat. J’ai promis de m’en expliquer au nom de la vérité, de la justice et du respect du peuple souverain de Guinée qui a subi la plus grosse escroquerie de son histoire.
Pour revenir au Méridien, c’est là aussi que l’homme d’affaires Diallo Sadaka et Alpha Condé avant que celui-ci ne soit déclaré président, avant même qu’il ne fasse acte de candidature à l’élection présidentielle, ont eu une vive altercation. Tous les deux à l’époque m’en avaient parlé. De quoi s’agit-il ? Alpha Condé qui écoute beaucoup et est toujours à l’affût des délateurs a appris par l’un d’entre eux que Diallo Sadaka a déclaré que jamais il ne dirigera la Guinée. Au hall du Méridien, le professeur Alpha Condé a rencontré par la suite l’homme d’affaires qu’il a apostrophé en ces termes : » Tu as dit que je ne serai jamais président, tu n’es pas Dieu, ni le peuple de Guinée, on verra ». Il a fallu de peu pour qu’ils en viennent aux mains. Cet incident, Alpha Condé l’a relaté souvent.
Donc, il n’y a jamais eu de réunions publiques, ni secrètes à l’Hôtel Méridien ?
Il n’y a jamais eu de réunions publiques, ni secrètes au Méridien. Je peux affirmer, avec une force conviction, qu’il n’y a pas eu de rendez-vous de Guinéens au Méridien. À plus forte raison pour une cause aussi douteuse que celle d’attenter à sa vie, comme il le prétend. Mais, il est évident que le Sénégal comme le Méridien ont leurs portes ouvertes et n’importe qui, s’il en a les moyens ou l’envie, peut y venir sans que cela ne nourrisse une quelconque suspicion ou ne ressemble à une menée subversive contre un régime. Donc toutes ces accusations relèvent du domaine du fantasme et du mensonge d’Etat, destinés à distraire les Guinéens des préoccupations essentielles qui sont les leurs et de trouver un bouc émissaire aux débuts difficiles d’un régime qui avait promis monts et merveilles.
Par-delà le Méridien, votre personne, c’est l’Etat du Sénégal qui a été accusé de complicité d’attentat dans cette affaire. Est-ce que cela vous paraît raisonnable ?
Je regrette l’accusation portée aussi bien contre le Sénégal que contre la Gambie. Dans la mesure où ces deux pays sont des pays d’accueil pour de nombreux Guinéens vis-à-vis desquels ils ont toujours observé la règle et la tradition d’hospitalité africaine. Il y a près de deux millions de Guinéens qui vivent au Sénégal, mais il y a aussi des milliers de Guinéens qui vivent en Gambie. Je regrette donc qu’on accuse ou incrimine un Etat sur la base de rumeurs ou même d’humeurs d’un chef d’Etat qui estime… (il ne termine pas sa phrase). Cela, je dois vous le dire, l’accusation contre le Sénégal part d’une suspicion qui remonte à avant même l’avènement d’Alpha Condé au pouvoir. Je vais vous raconter une anecdote. Lorsque le président Abdoulaye Wade, qui s’est énormément impliqué dans la recherche de solutions pour une transition apaisée dans notre pays, tout comme le président Yaya Jammeh, car une partie de la transition s’est discutée à Banjul (capitale de la Gambie), et je le dis aujourd’hui solennellement, donc, il s’agit de deux chefs d’Etat qui par rapport à leur vision d’intégration africaine, ont estimé à un moment donné que la Guinée qui était confrontée à une épreuve avait besoin d’être aidée pour retrouver la sérénité et la stabilité qui règnent dans ces deux pays. Donc, le président Abdoulaye Wade, qui est venu pour s’impliquer dans une solution de blocage que nous avions à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui à l’époque était l’enjeu des élections, le président Abdoulaye Wade, lorsqu’il est venu pour faire la médiation a eu une violente altercation avec le professeur candidat Alpha Condé, à l’époque, qui a estimé que le président Wade apportait un soutien à son concurrent Cellou Dallein Diallo. Le président Wade a estimé que c’était un acte d’ingratitude de la part du professeur Alpha Condé, parce que lorsque celui-ci était en prison, il était intervenu auprès du défunt président Lansana Conté pour obtenir sa libération. Le président Wade a rappelé cette fresque de l’histoire pour exprimer son étonnement face à l’accusation de parti pris qui avait été portée contre lui par le professeur Alpha Condé. C’est en ce moment que celui-ci s’est ravisé et qu’il y a eu un climat apaisé.
Est-ce que le président Alpha Condé a causé un tort au Sénégal en l’accusant de complicité d’attentat ?
Je pense plutôt qu’il a fait tort à la Guinée. Car, quand on est chef d’un pays comme le nôtre qui a connu une forte immigration, surtout dans un contexte difficile pour la Guinée, ce sont des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Gambie et beaucoup d’autres pays qui ont servi de terre d’accueil à des millions et millions de Guinéens qui étaient à la recherche de terre d’accueil, donc, qu’un pays comme le Sénégal qui a une tradition d’hospitalité vis-à-vis de la Guinée soit accusé par le chef d’Etat guinéen d’abriter une base arrière de déstabilisation de la Guinée, c’est faire une insulte à l’histoire et c’est compromettre l’avenir d’une relation ouverte et mutuellement avantageuse pour les deux pays. Ensuite, quand un chef d’Etat accuse un autre chef d’Etat, je pense qu’on devrait le faire avec moins d’enthousiasme, moins de légèreté. Je crois qu’on doit le faire sur la base d’actes irréfutables. Alpha Condé a toujours pensé que le Sénégal lui était hostile et il n’a pas réussi à faire la mutation.
Je suis très surpris. Alpha Condé lui-même a demandé à ce qu’on laisse la justice faire son travail et a recommandé que l’on fasse confiance au pouvoir judiciaire qui s’est saisi de cette affaire, puisse situer les responsabilités. Je pense que la justice a la volonté et les ressources pour situer les responsabilités dans cette affaire en établissant la part de chacun. Mais au moment où nous parlons, il y a des gens qui sont interpellés et à qui on reproche des choses. Si la justice veut faire un travail, mais que le Chef de l’Etat s’érige en procureur, ou se considère comme un tribunal en prononçant des peines, cela est particulièrement inquiétant.
C’est d’autant plus inquiétant, qu’en dehors de nos personnes, que des Etats amis et frères qui ont toujours été ouverts et hospitaliers pour les Guinéens, qu’un Chef d’Etat nouvellement installé dans ses fonctions, avant de porter une accusation aussi grave, je pense qu’il faut avoir la conviction et la preuve de ce que l’on dit en les soutenant par des faits, des faits irréfutables. Ce qui n’est pas le cas ! Car, en lisant la déclaration, vous vous rendez compte que c’est son humeur qu’il exprime plus que les faits. Donc, je trouve que c’est une grave accusation de nature à créer des incidences diplomatiques. Mais, heureusement que ces pays ont à leur tête des Présidents qui ont de l’expérience et qui ont une vision panafricaniste. Sinon, imaginez qu’ils se sentent vexés, réagissent pour envenimer les relations entre les pays, cela aurait pu être très grave.
Soupçonnez-vous la main d’un pays étranger qui soutiendrait ces sorties du Président Condé ?
Je connais aucun pays, ni démocrate et encore moins de républicain qui soutiendrait de tels actes synonymes d’arbitraire. Un régime issu d’une élection démocratique et qui agit en posant des actes contraires à la démocratie, contraires à la liberté des citoyens. On ne peut que le déplorer surtout pour quelqu’un qui se dit avoir passé cinquante ans de sa vie à se battre pour l’idéal de la démocratie, instaurer un Etat de droit dans notre pays, je ne peux que condamner de tels actes. C’est ce qui explique également la condamnation du régime guinéen et de l’isolement de Condé. Car tout le monde s’inquiète aujourd’hui de ses dérives et de ses pratiques qui entretiennent les germes de la violence.
Alpha Condé vous a personnellement accusé, en précisant que votre épouse est la sœur de l’épouse de Yaya Jammeh. Cette accusation vous parait-elle fondée ?
Heureusement que je ne me suis pas marié à l’avènement d’Alpha Condé au pouvoir, je me suis marié longtemps avant et j’ai commencé à aller en Gambie avant son accession au pouvoir. Et puis, quel lien on peut faire entre ma vie de famille, ma relation amoureuse et un complot d’Etat ? Ce n’est pas sérieux. Je crois que c’est un faisceau de mensonges et un amalgame dangereux. Je pense que c’est un manque de sérénité, cela montre la panique et la peur qui règnent au sommet de l’Etat guinéen.
Cette peur est due à quoi, selon vous ?
Cette peur est due à l’échec prématuré d’une politique de promesses, d’illusions qui a été entretenue par un opposant transitionnel ou historique qui a pensé que son avènement au pouvoir allait transformer la Guinée. Il se prenait comme un messie pour le pays. Maintenant, il est confronté à la réalité de l’exercice du pouvoir, à la demande sociale, aux contradictions politiques, au défi d’un Etat. Lui, son premier travail, c’est d’être président de la République. Auparavant, il n’a exercé aucune fonction dans l’administration, dans l’Etat. Donc c’est un homme sans expérience de l’Etat, de l’administration, de la gestion des hommes qui se retrouve à la tête de l’Etat guinéen. Cela en soi-même constitue une menace et un risque majeurs pour la stabilité du pays. C’est comme si vous donnez un avion à quelqu’un qui n’a jamais piloté. Si l’avion arrive à bon port, ce serait un miracle, mais si l’avion fait un crash, ce serait simplement logique. L’autre chose, c’est que la politique menée par Alpha Condé, depuis qu’il s’est retrouvé à la tête de l’Etat guinéen, est une politique d’exclusion, de discrimination qui entretient les germes d’une confrontation intercommunautaire dans notre pays où le tissu social est durement éprouvé. Le commun vouloir de vivre ensemble n’est plus une réalité. Chacun pense que le bonheur, la sécurité, c’est le repli sur soi.
Après neuf mois au pouvoir, Alpha Condé a-t-il épuisé son état de grâce ? Quel jugement portez-vous sur son style, ses hommes et ses projets ?
Pour moi, malheureusement, le professeur Alpha Condé n’a jamais eu un état de grâce. Car, une fois installé dans ses fonctions, il a tenu des propos et posé des actes qui ont constitué dès le départ, une source d’inquiétude. Pour la plupart des Guinéens, des partenaires et des observateurs, et des acteurs de la scène politique guinéenne. Si vous vous rappelez, lors de son investiture qui était un moment solennel pour un homme comme lui qui s’est battu pendant tant d’années pour accéder à la magistrature suprême, chacun aura remarqué la légèreté avec laquelle il a abordé cette étape, pourtant importante de sa vie. L’on s’attendait plutôt à un discours rassembleur d’un Président élu, mais l’on a plutôt continué à entendre le candidat Alpha Condé. Et, jusqu’à maintenant, il n’arrive pas à faire la mutation entre le leader d’opposition qu’il fut, et le Chef d’Etat qu’il est devenu, à tel point que le leader politique continue à développer des stratégies électorales, d’hégémonie électorale. Au lieu de se concentrer sur l’unité des Guinéens surtout après une campagne électorale atroce qui a conduit à un effritement du tissu social, émaillé par des conflits ethniques.
Cette situation s’est par la suite aggravée avec les actes posés par le nouveau régime qui ne regarde que d’un seul côté. Aujourd’hui, la situation de la Guinée est particulièrement préoccupante, alors que nous, nous avions travaillé pour que vainqueur et vaincu se donnent la main pour construire ensemble la «nouvelle» Guinée. Vous aurez remarqué que les résultats des élections sont tellement étriqués, que la majorité électorale et politique, forcément une majorité sociale, ne souhaite que la reconstruction d’une paix sociale et matérielle de la Guinée. Donc, il n y a pas eu d’état de grâce, mais pire que cela, il y a eu dès le départ un sentiment de déception, qui aujourd’hui se traduit par une certaine amertume.
A votre avis, qu’est-ce qui a poussé le Président Alpha Condé à agir de la sorte ?
C’est d’abord l’inexpérience. Alpha Condé s’est mieux illustré dans la conquête que dans l’exercice du pouvoir. Dans sa tâche quotidienne, à la voir, j’ai l’impression qu’il a beaucoup plus réfléchi et travaillé à la conquête du pouvoir qu’à son exercice. Donc, il a un pouvoir dont il ne sait quoi trop faire. C’est cela la vérité, car, il se considère toujours comme candidat, il se considère toujours comme leader de parti politique, alors que sa fonction de Chef d’Etat lui impose un certain nombre de hauteur de vue, d’ouverture et de dialogue pour que les Guinéens retrouvent leur unité. Mieux encore, pour que chacun ait le sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Car, une fois de plus, avant d’être Chef d’Etat, il n’a jamais été appelé à occuper des fonctions importantes au sein de l’administration ni au niveau de l’appareil d’Etat. Son premier job, est Chef d’Etat. Dans ses conditions, il y a un peu d’amateurisme, surtout à la compréhension du poste de Chef d’Etat. J’ose espérer qu’il y aura un sursaut, même tardif, qui pourrait éviter à la Guinée, une autre transition.
La Guinée fonctionne par décret. N’est-ce pas là un cas atypique ? Pourquoi les autorités guinéennes ne se conviennent pas d’une date pour l’organisation des législatives ?
Le professeur Alpha Condé était de ceux qui étaient les plus pressés pour que l’on organise l’élection présidentielle. Il avait même estimé qu’on aurait pu le faire dans un délai de quatre mois. Finalement, les accords de Ouagadougou ont fixé six mois pour l’organisation de la présidentielle. Et, constitutionnellement, il a été dit que six mois après l’élection du Président de la République, les élections législatives devraient suivre avec la mise en place d’une nouvelle Assemblée. Car, nul ne pouvait imaginer qu’un Président qui est élu, puisse continuer de gouverner par décret et par ordre, alors qu’il fallait mettre en place le contre-pouvoir que constitue le Parlement, pour contribuer à limiter les excès de l’exécutif auxquels nous assistons présentement. Mais, Alpha Condé veut rééditer l’exploit entre guillemets de la présidentielle en faisant retarder le processus électoral pour se donner les moyens de gagner ces consultations législatives. Mieux, il veut s’assurer dans ce jeu d’avoir toutes les bonnes cartes pour ne pas perdre la majorité au Parlement.
C’est ainsi que tout naturellement, il a dissout les conseils municipaux pour mettre en place des délégations spéciales, alors que l’on s’attendait au choix d’une personnalité de consensus pour présider aux destinées de la CENI. Plus grave, en dehors de l’UFDG qui est aujourd’hui contesté par l’ensemble des autres protagonistes du processus électoral, l’actuel président de la CENI qui est également contesté, est maintenu à son poste par Alpha Condé. Tout ce monde est très proche du professeur Condé. L’autre chose concerne les recensements. En effet, personne ne comprend pourquoi Alpha Condé s’acharne à vouloir changer un fichier avec lequel, lui-même a été élu. Donc, s’il doit changer le faire en estimant qu’il n’est pas bon, et en dehors de la suspicion qui a entouré les résultats de l’élection présidentielle, il va créer une autre source de contestation des résultats. Car, en affirmant lui-même que le fichier est entaché d’irrégularités, à mon avis, il remet en cause sa légitimité. Donc, il y a beaucoup de manœuvres dilatoires et électoralistes qui sont en train d’être opérées. Il cherche à donner la majorité à son parti le RPG. Ce qui est impossible pour qui connaît le paysage politique guinéen.
Vous êtes régulièrement à Dakar. Avez- vous des contacts avec les autorités sénégalaises ?
Le plus souvent, je viens à Dakar, mais c’est dans un cadre privé. J’ai commencé à venir régulièrement au Sénégal après avoir quitté les affaires. Mais, à aucun moment, je n’ai sollicité des rencontres avec les autorités sénégalaises à quel que niveau que ce soit, alors que je suis légitimement habileté à le faire, ne serait-ce que par courtoisie et par respect à ces autorités qui ont énormément contribué au succès de la transition en Guinée. Aussi, vous avez vu la déclaration d’Alpha Condé basée uniquement sur des conjectures et des rumeurs pour incriminer aussi bien des citoyens que des Etats. Et, pour éviter que des rencontres avec les autorités sénégalaises ne soient interprétées comme une connivence, Que je me suis réservé à donner à mes visites à Dakar un caractère officiel de quelque nature que ce soit.
Parlons de votre départ de Conakry. Votre passeport a été confisqué. De ce point de vue, peut-on considéré que vous êtes en situation d’exil politique à Dakar ?
Non ! Je ne suis pas en exil. Je rentrerai dans mon pays où j’ai ma place, où j’ai mes droits. Il est vrai que c’est étonnant, que c’est davantage troublant surtout pour ceux qui ne peuvent pas connaître les raisons profondes de ces visites. Et, lorsque l’on quitte les affaires avec le sentiment de n’être coupable de rien du tout, tout le monde est indigné, après que nous ayons rendu de bons et loyaux services à notre pays. Nous avons, à mon avis, droit à la tranquillité. Les nouvelles autorités choisissent ce moyen pour essayer de nous harceler en nous confisquant nos droits les plus élémentaires. Nous ne pensions pas qu’il puisse s’agir d’une démarche et d’une politique pour réduire au silence des citoyens qui ont œuvré par la concorde nationale. Mon problème avec Alpha Condé, c’est d’avoir refusé contrairement à beaucoup de gens dans cette transition, comme les faits et le temps le révèlent aujourd’hui, refuser de faire son jeu.
Alpha Barry, le correspondant de RFI à Ouagadougou est venu me voir, pour me demander de le rencontrer entre les deux tours. Car, Alpha Condé, candidat à l’élection présidentielle aurait besoin d’être rassuré quant à l’égalité des chances entre les différents candidats et d’observer la neutralité entre les différents acteurs. Naturellement, j’ai dit que c’était tout à fait normal de le rencontrer. J’ai été à son domicile et il m’a, à cette occasion, demandé de l’aider pour gagner l’élection avec en contrepartie, ma reconduction dans le gouvernement. Je lui ai dit que ce n’était pas mon rôle d’aider un des candidats. Tout en lui faisant savoir que toutes les autorités de la transition étaient tenues par une obligation de réserve. Donc, je crois que la rupture est peut-être venue de là. Mais, par la suite, à la demande du général, nous avons parlé au téléphone. Par la suite, il a dit au général que je ne l’avais pas félicité après son élection et par la même occasion, je ne reconnaissais pas sa légitimité. J’ai trouvé que c’était puéril, parce que moi, j’ai estimé que c’était important pour nous de la transition, d’éviter de faire les yeux doux à un candidat pour s’attirer ses faveurs et son estime comme certains l’ont justement fait. Et, je me dis que c’est ce qui a, sans doute, poussé Alpha Condé à croire que tous ceux qui n’avaient pas cédé à ses avances, étaient forcément contre lui. Ce n’est pas mon cas. J’ai promis que le moment venu, j’apporterai mon témoignage pour expliquer qu’Alpha Condé éprouve des complexes devant certains et a des doutes par rapport à son poste, parce que confronté à une crise de légitimité aux conditions de son avènement au pouvoir. Pour le moment, je sors partiellement de ma réserve, car, je considère que les accusations qu’il porte contre ma personne sont assez graves pour continuer à rester dans le silence. Je ne suis pas pressé, mais, j’ai promis aux Guinéens que le moment venu, je dirai toute la vérité sur la transition et les conditions dans lesquelles l’élection présidentielle a été organisée.
Expliquez-nous ce que le Général Konaté et Alpha Condé se sont-ils dit peu avant votre départ de Conakry ?
Le président Alpha Condé a confié au général Sékouba Konaté avec lequel il s’en est expliqué que c’est le secrétaire général à la présidence avec rang de ministre d’Etat François Fall qui lui a recommandé de me consigner à Conakry parce qu’ils auraient des questions à me poser. Il n’a donc pas assumé. D’une manière générale, quand on sait que l’entourage du professeur Alpha Condé est composé de tout, y compris de personnes qui dans un passé encore récent théorisaient sur la suprématie ou la séparation ethnique, n’ont pas hésité dans les régimes précédents à préconiser la violence, on n’est moins surpris par les actes posés par le nouveau régime et on ne peut s’attendre qu’au pire.
Quels sont vos rapports avec les Présidents Blaise Compaoré, Amadou Toumani Touré et Abdoulaye Wade ?
Ce sont des Présidents pour lesquels j’ai de l’estime et pour lesquels j’éprouve un profond respect. Particulièrement, j’ai rencontré tous ces présidents au moment de la transition. Car, ils ont également contribué à son succès. C’était des moments importants pour notre pays qui se trouvait dans un tournant historique. Donc, en tant que pays amis, ils se sont directement impliqués avec beaucoup de détermination et de bonne foi dans la réussite de notre processus de transition. Donc, nous avons pour eux, un sentiment de reconnaissance. Le succès de la transition est un travail collégial réussi aussi bien par les Guinéens que par les pays frères.
Quand avez-vous vu le général Sékouba Konaté pour la dernière fois ?
Le général fut le président de la transition dont je fus le plus proche collaborateur. Il y a eu entre nous par la force des choses une relation d’amitié. Nous nous parlons et échangeons sur beaucoup de choses. Moins sur la situation actuelle, car le rôle que nous avons joué et les fonctions que nous occupions, nous nous sommes imposé un devoir de réserve et de retenue pour éviter de gêner les nouvelles autorités. D’ailleurs, c’est pourquoi nous avons décidé de quitter volontairement toutes fonctions, parce que lorsqu’un nouveau régime arrive, tous ceux qui étaient là peuvent être considérés comme une menace. Donc, nous avons voulu donner toute la latitude au nouveau régime de pouvoir s’installer. Et, ce que certains confondent aujourd’hui à un exil, d’autres l’interprètent comme étant une action contre le régime, nous le regrettons et le déplorons. Car, nous estimons qu’au-delà de nos personnes, il faut préserver la République et ses valeurs.
Vous étiez très lié à Alpha Condé, ensuite à Dadis Camara, puis très proche du général Konaté qui vous a rendu un vibrant hommage lors de la passation du pouvoir et de Cellou Dalein. Quels sont vos relations actuelles avec ces personnalités ?
Je suis passé par la presse avant d’être appelé à occuper des fonctions d’Etat. Et, comme vous le savez, la première chose chez un journaliste, c’est d’avoir un bon carnet d’adresses et de travailler avec l’ensemble des acteurs qui comptent dans le pays. C’est à ce titre que j’ai rencontré Cellou Dalein, Alpha Condé et beaucoup d’autres. Entre eux et moi, je veux dire entre certains et moi, une relation d’amitié est née. Moi, je n’ai pas de complexe pour revendiquer mon amitié d’avec certains d’entre eux. J’apprécie l’idéal qu’ils portent et le combat qu’ils mènent. Alpha Condé, lorsqu’il était encore banni de la République, alors que personne n’osait le fréquenter, nous avons osé le faire au vu et au su de tout le monde. Et même, défendre parfois sa cause lorsqu’il a été arrêté et emprisonné. Je ne suis prisonnier que des valeurs et des principes. Mais, j’estime que la voie empruntée par Alpha Condé est incompatible avec mes convictions personnelles. Plus grave, incompatible avec la paix et la stabilité de la Guinée.
Donc, je ne peux pas, pour cette raison être avec lui. Et, avant qu’il ne m’accuse, j’avais déjà pris du recul pour continuer à observer cette réserve que je me suis imposé. Mais, il faut maintenant faire comprendre à cet homme qui prend en otage le pays que nous ne le laisserons pas faire, car l’époque de petits dieux à la tête des pays est terminée. Nous sommes dans l’ère de la République et il va faire face à des Guinéens qui vont se battre avec des moyens démocratiques pour lui empêcher de ramener le pays cinquante ans en arrière.
Quels sont vos rapports avec l’homme d’affaires Diallo Sadakadji ?
C’est un ami. Pour moi, je pense que c’est un homme honnête qui n’a jamais été intéressé par le pouvoir. Il ne s’est jamais engagé dans le combat politique et aspire, comme tous les Guinéens à vivre dans un pays stable et en parfaite sécurité. Je suis assez surpris qu’on l’ait impliqué dans cette entreprise criminelle étant loin du pays. Il est profondément croyant, donc, il ne saurait s’engager dans une entreprise visant à attenter à la vie de quelqu’un.
Vous pensez que la rupture entre les deux personnalités vient de là ?
Bien sûr, car Alpha Condé en a gardé une profonde rancune. Ce n’est pas à cause seulement de cela ou du soutien que Diallo Sadaka aurait apporté à son concurrent Cellou Dalein que l’actuel chef de l’Etat guinéen veut bouffer du Diallo Sadaka. Le conflit remonte à avant l’élection présidentielle ou la récente tentative d’assassinat invoquée par Alpha Condé. C’est pourquoi, je parle de règlements de comptes sélectifs d’ailleurs car parmi les nouveaux collaborateurs d’Alpha Condé d’autres ont dit et fait pire. Il y en a même un à la tête d’une direction générale qui, au moment de son arrestation, était tout près du défunt président Conté, qui n’a pas hésité à demander au ministre de la sécurité d’alors de faire disparaitre l’opposant. Il y en a un autre dans le cabinet qui avait juré de se donner la mort avec son sabre accroché au mur de son bureau si Alpha Condé accède au pouvoir tant il était certain que c’était impossible. Que dire de cet autre qui, même à ses cotés aujourd’hui, continue dire du mal de lui comme un opposant même ne le ferait pas, encore et encore ?
Monsieur le ministre, dites-nous concrètement, qu’est- ce qui vous oppose à Alpha Condé ?
J’ai dit que je m’exprimerai sur la question. Si conflit, il y a, c’est autour d’abord de la transition essentiellement. Au sein des autorités et institutions de la transition, beaucoup de choses se sont passées que moi, personnellement, je sais. Pour Alpha Condé quand on n’est pas avec lui, on est contre lui. Pour lui, il n’y a pas de neutralité ni de souci d’équité. Alors, tous ceux qui ne l’ont pas rejoint ou agi selon sa volonté et ses intérêts sont des ennemis à abattre surtout maintenant qu’il a été porté au pouvoir. Ce sentiment a été suscité et entretenu aussi par des gens que les guinéens ont le droit de connaître qui en notre sein démarchaient les acteurs de la transition à tous les niveaux pour leur demander contre de nombreuses promesses de faire le jeu du candidat Alpha Condé. Lorsqu’ils rencontraient de la résistance, ils concluaient automatiquement à un lien de complicité avec l’autre candidat. Or, il y en a comme moi, rare du reste, qui ont cru au discours officiel et ont décidé de faire confiance en notre capacité à garder la distance avec tous les candidats. Je l’ai fait, moi, et je le prouverai. Si je ne l’avais pas fait, Alpha Condé ne serait pas allé au second tour pour des raisons que j’expliquerai. Quand j’arbitre, mon souci ce n’est pas d’aider ou léser mais de défendre l’équité et la transparence.
Que savez-vous du protocole d’accord secret que Condé aurait signé avec le général Konaté dans lequel il est dit que l’un devait donner des moyens financiers colossaux au second, tout en le nommant à la Défense en plus de trois de ses proches qui devaient également entrer dans le gouvernement. En faisiez-vous partie ?
Il y a beaucoup de choses qui se disent, qui s’écrivent sur la transition. En ce qui me concerne, j’estime que nous étions tous retenus par un devoir de réserve. Je comprends l’arrogance de certains et la frustration d’autres à l’issu de la transition. Mais, je demande à chacun et à tous de garder la sérénité et d’avoir confiance en l’avenir de notre pays. Personnellement, je me suis engagé à la manifestation de la vérité dans le cadre de cette transition. Mais, je n’en dirai pas davantage pour le moment. Alors, un peu de patience et le moment venu, nous ferons la part des choses entre ce qui est accusation gratuite et faits. La transition n’a pas fini de livrer tous ses secrets.
Le Président Alpha Condé a dit qu’il prend la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissé. Et, le régime de Sékou Touré a brillé par la culture et la pratique du complot. Vous savez, il y a un livre célèbre d’un ancien détenu du camp Boiro, un ancien ministre que l’on appelle Portos. Le livre porte le titre « la part de vérité du ministre ». Il expliquait dans ce livre, que lorsqu’il a été interpellé lors d’interrogatoires horribles dans ledit camp, dans un lieu qu’on appelle la « cabine technique », ce qui était important pour les tortionnaires, ce n’était pas la manifestation de la vérité, ni les faits.
De la même manière, aujourd’hui, Alpha Condé, s’illustre de la même manière en ne voulant faire croire à tout le monde que ses propres vérités. C’est-à-dire, les vérités du Président. C’est là une volonté d’incriminer des personnes ou des pays qu’il estime hostile pour son régime, qu’il fait de la diversion en parlant du Sénégal et de la Gambie. Mais, en privé, il parle d’autres pays comme le Mali, la Côte-d’Ivoire. En fait, il a quelques préjugés sur certains pays qu’il estime accueillir des opposants à son régime. Ce ne sont que des informations erronées. De véritables rumeurs qu’il distille dans le cadre d’une démarche clientéliste du pouvoir.
Vous êtes journaliste de formation, ancienne plume du général Konaté. L’écriture vous manque certainement. Songez-vous à écrire un ouvrage ? Quels sont vos projets ?
Je n’ai jamais cessé d’écrire et je n’ai jamais renoncé à la presse que je considère comme mon métier. C’est par la porte du destin que je me suis retrouvé à un poste étatique que je n’ai jamais démarché, ou sollicité. Donc, moi, comme je l’ai dit aux Guinéens, j’ai un devoir de vérité dans la transition qui n’a pas livré tous ses secrets. Donc, pour faire comprendre la démarche d’Alpha Condé, il est impératif de retracer l’histoire de la transition. Alpha Condé se comporte comme un monarque à qui on doit une allégeance totale. Peut-être que ce n’est pas de sa faute, parce qu’il est arrivé trop tard et trop vieux au pouvoir. Il n’est pas le Président qu’il faut pour la Guinée.
Il nous revient que vous êtes un parent par alliance au Président Yaya Jammeh. Vos deux épouses sont des sœurs. Alors, envisagez-vous de jouer un rôle entre Dakar et Banjul ?
Tout le monde a observé qu’entre Dakar et Banjul les relations s’améliorent convenablement. Car, il s’agit de deux peuples amis et frères avec des Chefs d’Etat qui ont une vision panafricaniste. Vous avez également vu ces derniers temps, le balai politique et diplomatique entre Dakar et Banjul. La vice-présidente de la Gambie vient de séjourner à Dakar et le Premier ministre du Sénégal vient de quitter Banjul. Le plus important est de travailler à l’unité africaine. Et, je pense que la majeure partie des conflits en Afrique naissent de la mauvaise qualité dans l’organisation des élections. Si nous avons à la tête de nos pays des dirigeants illégitimes, avec des Institutions dans lesquelles les citoyens ne se reconnaissent pas, il est évident qu’il y aura une crise de confiance. Et cela ne favorise pas la stabilité dans les pays. La Guinée en donne malheureusement le plus mauvais exemple. Car, il y a encore et toujours des méthodes et des habitudes qui n’inspirent pas confiance. Et, cela se fait dans l’intérêt exclusif d’un clan.
Y a-t-il risque de conflit ethnique en Guinée, si l’on n’y prend pas garde ?
Alpha Condé mène en Guinée une politique fondée sur la haine, sur le rejet des autres, l’exclusion. C’est la première fois, dans l’histoire de la Guinée, qu’un chef d’Etat, dans les actes de nomination à des postes de responsabilités, dit ouvertement ne pas avoir pour souci de tenir compte de l’équilibre ethnique. Vous pensez qu’il est normal de penser qu’une seule ethnie, Malinké en l’occurrence, est compétente pour diriger la Guinée ? Vous pensez qu’on ne peut pas retrouver des compétences dans les autres communautés ou au sein des autres ethnies ? Alpha Condé fait des pratiques d’un régime manifestement liberticide.
Et il est devenu un danger pour la Guinée et pour la région, à cause d’abord des accusations graves portées contre la Gambie et le Sénégal, ensuite des rapports difficiles avec la Côte d’Ivoire et le Mali. Aujourd’hui, c’est toute la région qui est menacée.
L’Observateur (Sénégal)