Après 5 ans et 8 mois de service à la tête de la Mano River Union, la Guinéenne, Hadja Saran Daraba, a récemment passé le témoin à sa remplaçante au siège de l’institution à Freetown (Sierra Léone) en présence d’imminentes personnalités. Dans cet entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, elle parle des acquis et des perspectives de ladite institution qui regroupe quatre Etats. Lisez !
Mediaguinee : Vous venez de quitter le Secrétariat général de la Mano River Union. Présentez-nous brièvement ladite organisation…
Saran Daraba : D’abord, je voudrais vous remercier et vous souhaiter la bienvenue à cette rencontre. L’Union du fleuve Mano est une organisation intergouvernementale qui a été créée le 3 octobre 1973 à Maléma, une ville du sud-est de la Serra Leone, pas très loin de la frontière avec le Liberia. C’est là où le président Tolbert et le président Siaka se sont rencontrés pour mettre en place les fondements de l’Union du fleuve Mano. L’objectif premier de l’Union a été de créer une union douanière pour permettre de faciliter le commerce entre les deux pays anglophones enserrés parmi les pays francophones. Donc, de 1973 jusqu’à 1980, ce sont ces deux pays qui étaient membres de l’Union du fleuve Mano. En octobre 1980, la République de Guinée a adhéré à l’Union du fleuve Mano, faisant de l’espace une union à trois Etats membres. Et en mai 2008, soit 28 ans plus tard, la Côte d’Ivoire aussi a rejoint l’Union du fleuve Mano et est devenue membre à part entière après une période d’observation. Je dois dire en passant qu’il y a trois pays voisins qui ont été observateurs depuis un peu plus de dix ans. La Guinée-Bissau, le Mali et la Côte d’Ivoire étaient tous observateurs au sein de l’Union du fleuve Mano, mais c’est la Côte d’Ivoire qui a sauté le pas en devenant membre à part entière de l’Union. Donc, depuis le mois de mai 2008, l’Union du fleuve Mano est composée de quatre Etats membres qui sont : la Guinée, le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire. C’est un espace qui couvre 750 mille kilomètres carrés et qui a environ un peu plus de 54 millions d’habitants. Il est caractérisé par une richesse exceptionnelle. Des ressources naturelles de très haute valeur et des forêts. On a 25% des ressources forestières du monde. C’est le troisième massif forestier mondial après l’Amazonie au Brésil et le Bassin du Congo. Nous sommes le troisième couvert forestier au monde. L’Union du fleuve Mano aussi c’est une richesse exceptionnelle du sous-sol. On a les plus grandes réserves mondiales de bauxite, de fer, d’or, de diamant, de pétrole et d’autres richesses. Mais nous avons aussi un peu plus de 2 mille kilomètres de côte maritime. Les quatre Etats membres de l’Union du fleuve Mano sont tous des pays côtiers. Donc, de Boké, au nord, à la frontière de la Côte d’Ivoire avec le Ghana, nous avons plus de 2 mille kilomètres de côte maritime sur l’océan atlantique. Ce qui est un avantage aussi certain. Mais l’Union du fleuve Mano aussi a des montagnes dont la plus haute de la sous-région, qu’est le mont Nimba qui est aujourd’hui classé au Patrimoine mondial par rapport à la diversité écologique exceptionnelle qui prévaut là-bas. Mais l’Union du fleuve Mano, c’est une diversité à la fois culturelle, sociologique, politique qui est unique en Afrique. Nous avons dans cet espace quatre régimes juridiques différents. La Côte d’Ivoire a son régime juridique hérité de la France (le fameux code de Napoléon). Le Libéria a hérité du droit américain. Vous savez que l’Etat libérien a été créé par les Etats-Unis d’Amérique pour donner une terre d’asile aux anciens esclaves libérés aux Etats-Unis qui sont venus créer l’Etat libérien en 1847. La Sierra Leone a hérité du régime juridique britannique. Et la Guinée a un self-made hybride qui était français au départ, mais à cause des circonstances dans lesquelles la Guinée est devenue indépendante et le rejet que son indépendance a occasionné vis-à-vis de la France, la Guinée a été obligée de façonner son propre système juridique qui est vraiment différent quelque peu du régime français pur. Donc, ce sont ces quatre systèmes juridiques différents qui constituent aussi la Mano River. Mais les quatre pays sont tous voisins. Ça aussi, souvent ce n’est pas très évident que vous trouvez dans les organisations. Tous les pays se touchent plus au moins dans la Mano River Union. Et ça fait que sur le plan sociologique mais aussi culturel, on a neuf groupes ethniques en commun dans la Mano River Union. Ça veut dire que ces groupes ethniques sont à cheval sur les quatre Etats membres de l’organisation. Vous pouvez parler l’une de ces neuf langues, vous êtes sûrs que vous avez une communauté apparentée plus moins de l’autre côté de la frontière. Ça rend les choses difficiles mais ça facilite aussi un certain nombre de choses. Quand vous arrivez dans une zone comme Pamelap dans Forécariah, c’est le pays soussou. C’est le Moriah qui continue et qui arrive à Balamouyah en Sierra Leone, qui continue jusqu’à Kambia et qui va pratiquement jusqu’à Sindou. N’oubliez pas historiquement que la Sierra Leone s’appelait avant la Guinée anglaise. Quand vous prenez la carte de l’Union du fleuve Mano, la Sierra Leone est taillée dans le ventre de la Guinée. Quand vous prenez les zones frontalières, le pays soussou en bas ; quand vous montez, vous avez le Foutah Djallon. A partir de Madina-Oula, vous continuez à Madina-oula du côté guinéen, Sagna du côté sierra-léonais ; vous remontez et vous arrivez à Mamou de l’autre côté, vous avez toute la zone qui va jusqu’à Makéni et qui monte un peu à cheval entre Kabala et Makéni. Vous montez du côté guinéen, vous allez sur Faranah, mais vous passez par Maréla, Sandenia et c’est le pays djallonké. De l’autre côté de la frontière, c’est exactement la même communauté, linguistique et ethnique. Quand vous arrivez dans Faranah, vous continuez vers Kissidougou, Djombiro et Guéckédou, vous avez la communauté kissi. Vous rentrez dans Koindoucoura, Fankamadou et Wendé jusqu’à ce que vous arrivez à la frontière entre Guéckédou et Macenta. Arrivé à Macenta, vous avez du côté guinéen Daro et du côté libérien, vous avez Foyah. Je vous donne tous ces exemples concrets pour vous dire comment nous sommes inter-liés. Et c’est ça aussi l’Union du fleuve Mano, avec ses liens qui peuvent faciliter une intégration réelle. Alors, pendant toute son existence jusqu’à maintenant, il a fallu d’abord qu’il y ait une volonté politique réelle pour permettre à quatre pays qui ont connu des passés plus ou moins différents pour se mettre ensemble. L’Union du fleuve Mano a quand même 44 ans cette année. Ce qui dénote de la volonté politique des différents gouvernements qui se sont succédé pour maintenir cette union. Alors, à partir de 2008, vous savez qu’en 1989, il y a la guerre du Libéria qui a éclaté. Je pense qu’on a tout dit sur cette guerre-là qui a été la plus violente du 20ème siècle dans l’espace oust-africain. Mais à partir de 2008, les Etats ont décidé non seulement de stabiliser les pays, mais aussi d’amorcer un développement économique intégré. Pourquoi intégré ? Ce n’est pas par hasard que je vous ai expliqué la transversalité des groupes ethniques et culturels, mais aussi la transversalité de nos ressources naturelles. L’espace Mano aussi voit la source de sept (7) fleuves internationaux. Il y a 7 fleuves oust-africains qui prennent leur source dans l’espace Mano dont le Niger, le Sénégal, la Gambie, la Mano. Ce sont des fleuves qui prennent leur source dans l’espace Mano et qui se jettent dans la mer. Il y a un réseau hydrique dans l’espace Mano qui est exceptionnel en Afrique de l’ouest et qui en fait un espace dont on peut se féliciter. Il y a un aspect que je voudrais souligner parce qu’à cause de l’histoire politique mouvementée de la sous-région, c’est une sous-région aussi qui a une diaspora exceptionnelle de très grande qualité. La diaspora de la Mano à l’extérieur, quand vous arrivez que ce soit en Amérique du nord, en Europe ou en Asie, on a une diaspora de qualité exceptionnelle. C’est ça aussi l’Union du fleuve Mano.
Quand on parle aujourd’hui d’intégration économique, l’intégration monétaire n’est pas en reste. Est-ce que cette situation est d’actualité à l’Union du fleuve Mano ?
Je pense que j’ai oublié un détail peut-être important. Les quatre pays membres de la Mano River Union sont tous membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Nous sommes le noyau en fait de la CEDEAO. Or, vous savez qu’au sein de la CEDEAO, cette réflexion est vieille de plus de 30 ans. Comment faire l’intégration monétaire parce qu’il y a une monnaie (la zone CFA) qui lie 12 Etats membres. Donc, il y a une certaine intégration économique avec tout ce que cela suscite d’ailleurs comme débat actuellement par rapport à la nature de cette monnaie. Mais vous savez, le géant nigérian qui est aujourd’hui la plus grosse économie du continent a sa monnaie. Il y a aussi d’autres monnaies. Le Ghana a sa monnaie, la Gambie a sa monnaie et la Guinée a également sa propre monnaie. Donc, la question de l’intégration monétaire est d’actualité. C’est pourquoi, on a créé une agence qui a son siège à Freetown. Cette agence s’appelle en français ‘’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest’’ (AMAO) dont le secrétaire général a été un moment M. Aboubacar Keita qui est Guinéen. Donc, la question de l’intégration monétaire est au cœur des discussions depuis 30 ans. C’est une chose de parler d’intégration monétaire, mais c’est une autre chose de la réaliser. N’oublions pas qu’une partie de l’Europe a eu une monnaie commune après plus de 50 ans de débats. L’objectif de l’AMAO, c’est de faire en sorte qu’on crée les critères de convergence des différentes économies et des monnaies pour qu’on puisse créer une monnaie. On ne décide pas du jour au lendemain de créer une monnaie, il y a tout un processus. Mais aussi il y a des critères qu’il faut remplir avant de créer une monnaie. Donc, le débat existe depuis plus de 30 ans, mais les Etats, avec leurs histoires politiques et leurs priorités de développement, ne sont pas arrivés encore à trouver des critères d’intégration ou à remplir les critères de convergence pour permettre la création d’une monnaie commune. Pour le moment, ça n’a pas été fait, mais ça ne veut pas dire qu’on n’y pense pas. Au contraire, on paye des fonctionnaires à la ZMAO actuellement pour qu’ils travaillent sur les questions de convergence afin de créer cette monnaie. Parce qu’une fois qu’on aura créé la monnaie, il ne faut pas qu’on revienne en arrière. Donc, il faut d’abord créer le soubassement, car on ne construit pas une maison sans soubassement. Le soubassement, ce sont toutes ces questions techniques et juridiques qui doivent être réglées avant qu’on crée cette monnaie.
Nous savons, comme vous l’avez dit, que la CEDEAO aussi existe et sa vocation aujourd’hui qui émerge beaucoup plus, c’est celle qui est économique. Elle passe aujourd’hui pour être l’une des organisations économiques les plus performantes du continent. Est-ce qu’à ce titre aujourd’hui il n’y a pas nécessité à réorienter la Mano River Union pour que son ancrage soit autre chose que l’économie ?
Il ne sera pas facile de réorienter l’Union du fleuve Mano sur d’autres axes. Pourquoi ? Parce que l’économie est à la base de tout. Nous avons des pays qui sont classés parmi les plus pauvres au monde. Il est impératif aujourd’hui que les gouvernements des Etats membres, aussi bien de l’Union du fleuve Mano que de la CEDEAO, arrivent à baisser le taux de pauvreté dans leurs Etats respectifs. On ne peut pas être dépositaires de tant de ressources naturelles et que nos populations restent pauvres. Ce n’est pas acceptable et ce n’est pas explicable. Ça ne s’explique que par des mauvais choix que nous avons faits dans le passé. Il faut absolument qu’on fasse de l’axe principal de notre action le développement économique de nos Etats. Parce que si on n’augmente pas le revenu du citoyen, si on n’a pas une majorité de citoyens qui sort de la pauvreté, vous ne pourrez pas parler de développement culturel, social et politique. Quand les gens sont pauvres, ils ne sont pas sujets, ils sont objets parce qu’ils sont manipulables. Et c’est pourquoi c’est important que le socle économique soit bien solide afin que le culturel serve à améliorer. Ce à quoi je me suis employée durant le temps que j’ai passé à la tête de la Mano, c’est de multiplier les rencontres parce que dans toute chose il faut d’abord se rencontrer pour se connaître. Au moment où j’arrivais, c’était la période post-conflit immédiat. Sierra léonais, Guinéens et Libériens n’étaient pas tellement comme ça. Nous principalement, nous avons été victimes de guerre civile que nous n’avons pas créée. On a abrité dans notre pays plus d’un million de réfugiés pendant 15 ans. Le coût que la Guinée a payé pour des guerres des pays voisins est un coût élevé en termes humain, écologique, social, éducationnel et financier. Parce qu’on a dû financer des troupes pour aller rétablir la paix dans ces pays. Mais nous avons perdu une partie de notre forêt, nous avons perdu des espèces végétales et animales dans les zones frontalières. Nous avons reçu les réfugiés sur notre sol pendant près de 15 ans, des dégâts et destructions massives. Les Guinéens sont morts pour rétablir la paix dans les pays voisins. Alors, ça c’est notre responsabilité en tant que pays voisin aussi en tant que nation sœur vis-à-vis de nos voisins. Mais immédiatement, après la guerre, on n’était pas à l’aise avec nos voisins, tout comme eux n’étaient pas à l’aise avec nous d’ailleurs, parce que leur refuge n’a pas été que bien. Moi, je connais des réfugiés qui sont aigris contre la Guinée et qui disent qu’on les a maltraités. Mais il y a des Guinéens également qui ne veulent pas entendre parler de nos voisins. Donc, il a fallu qu’on rétablisse le dialogue pour faire comprendre à tout le monde que ce qui est passé est passé, mais il faut créer les conditions pour que cela ne se répète pas. Nous avons multiplié les rencontres et aujourd’hui vous avez l’administration guinéenne qui parle à l’administration libérienne, sierra-léonaise et ivoirienne. On essaye d’avoir aujourd’hui des discussions, notamment les services de sécurité, les forces armées militaires et paramilitaires, l’administration du territoire mais aussi les finances. Et tout récemment, vous avez vu qu’on a eu des réunions sous-régionales ici en Guinée. L’OHADA était là et bref, ça a facilité un peu la participation de nos Etats membres dans ces institutions régionales ou sous-régionales africaines.
Durant le mandat que avez eu à la tête de cette organisation, quelles sont les activités politiques que vous avez menées ?
Sur le plan politique, comme je l’ai dit, nous avons multiplié les rencontres au niveau des experts, des ministres et des chefs d’Etat. En six (6) ans, on a fait cinq ou six sommets des chefs d’Etat dans la Mano. Aujourd’hui, les chefs d’Etat de la Mano se téléphonent, ils sont à tu et à toi les uns avec les autres malgré la barrière linguistique. Ils se parlent, ils se rencontrent. Et même quand ils vont aux réunions de la CEDEAO ou de l’Union Africaine, ils se rencontrent entre eux en tant que Mano River. Ça, c’est nouveau. Même au sein des Nations unies parfois, quand un des Etats membres a une position sur une question, il consulte les autres. C’est un grand acquis des 5 et 6 dernières années. Les chefs d’Etat des quatre pays se parlent régulièrement, les ministres se parlent, ils se fréquentent et ils vont les uns chez les autres. Nous avons décrispé l’atmosphère sur le plan politique et cela se répercute même sur le terrain. Dans le domaine sécuritaire par exemple, nous avons mis 33 unités conjointes sur les frontières terrestres. Sur chaque frontière, là où nous pensons qu’il y a des problèmes, on a mis ces unités qui étaient recommandées par le 15ème protocole de la Mano qui a été signé à Conakry le 8 mai 2000. Ce protocole-là était un protocole qui dérivait de la situation sécuritaire qui avait prévalu dans la Mano. Parce que vous savez, la guerre a été comme un vase communicant. En 2000, les Etats ont décidé qu’aucun des Etats ne devrait autoriser que son territoire soit utilisé pour déstabiliser son voisin. Et pour cela, il y a une série de mesures et de décisions qui ont été prises. L’une des décisions prises au cours de la réunion de Conakry, c’est de mettre en place les unités conjointes. On a aussi mis en place un programme d’interconnexion routière pour faciliter le mouvement des personnes et des biens entre les Etats membres. On a fait un réseau routier d’interconnexion sur lequel la BAD s’est engagée. Et j’espère qu’après mon départ, d’autres bailleurs le feront, comme la Banque mondiale et l’Union Européenne. Aujourd’hui, nous avons un financement ferme de 750 millions de dollars sur les routes. Sur un total d’un milliard 800 millions de dollars, il nous reste encore un milliard 100 millions de dollars qu’il faut mobiliser pour que le réseau routier que nous, nous avons identifié et qui est constitué de routes à caractère économique. Je précise que la BAD a déjà mis à disposition en 2017, 300 millions de dollars. Pour ce qui concerne la Guinée, c’est la route par exemple Lola-Danané. Lola en Guinée forestière et Danané en Côte d’Ivoire. Cet axe-là est un axe de commerce majeur. Il y a la route Coyah-Pamelap. Quand vous prenez la route d’ici Freetown, vous vous rendrez compte qu’il y a une grosse partie des importations aujourd’hui sierra-léonaises qui passe par Conakry. Il y aura en 2018 Kankan-Madiana-frontière Côte d’Ivoire, il y aura Guéckedou-Kénéma ; ça, ce sont des routes internes. Il y a des routes externes qui, bien qu’elles ne soient pas dans l’espace Mano, sont importantes pour les pays membres. C’est la route Boké-Gabou, c’est la route Koundara-Tambakounda. Ce sont des routes qui nous lient aux pays qui ne sont pas membres de la Mano, mais qui sont frontaliers immédiats de la Mano. Il y a un autre projet que je n’ai pas initié mais sur lequel on a pris une avance rapide. C’est le programme de sécurité alimentaire. La Guinée plus ses trois pays voisins (Sierra Leone, Libéria et Côte d’ Ivoire) dépensaient jusqu’en 2014, 800 millions de dollars pour acheter le riz à l’extérieur. Ce qui était une honte avec tout le potentiel qu’on a. Et je crois que le Président de la République, Alpha Condé, n’hésite pas à nous rappeler que sur trois peuples qui sont réputés bons producteurs de riz dans le monde, deux (2) sont en Guinée. Dans le monde entier, les Vietnamiens sont champions pour la culture du riz, les Kissiens sont champions en toutes catégories et les Bagas constituent le troisième groupe. Donc, j’ai trouvé un programme qui s’appelait Programme de productivité en Afrique agricole de l’Ouest (PPAO). Ce programme est un programme financé par la Banque Mondiale et le gouvernement du Japon. La composante Mano River, comme je l’ai dit, puisque la Mano est le noyau de la CEDEAO, nous avons pris notre PPAO et nous avons notre priorité, c’est la production du riz. Puisqu’il y a d’autres pays en Afrique de l’Ouest pour lesquels le riz n’est pas l’aliment de base. Si vous prenez un pays comme le Ghana, l’aliment de base n’est pas le riz. C’est l’igname, le manioc. Le Bénin et le Nigéria la même chose. Mais nous, nous avons dit que dans notre espace Mano River, nous voulons que ce soit le riz, le maïs, le manioc et plus tard, on a ajouté l’igname et la banane plantain. Cette composante Mano River de ce programme PPAO a été un succès. Aujourd’hui, nous avons presque multiplié par deux la production du riz. Ce programme PPAO a fait quoi ? Il a trouvé des variétés de riz adaptées au sol de la Guinée. Nous n’avons aujourd’hui pas besoin d’importer les semences de riz. Si nous importons des semences de riz, ça doit être des semences particulières que nous n’avons pas, mais que nous voulons domestiquer en Guinée. Parce qu’on a la capacité de s’auto-suffire. Si vous allez sur le marché, toutes les ménagères vous le diront qu’aujourd’hui le riz du pays est presqu’au même prix que le riz importé. C’est-à-dire entre 5000, 5500 et 6000 francs guinéens le kilo. Il y a dix (10) ans ce n’était pas ça. C’est pour vous dire que la production a été boostée et il est vrai que le gouvernement guinéen a eu une attitude volontariste parce qu’il a massivement investi dans l’agriculture. On a des centres de recherche. Nous avons aujourd’hui des espèces variétales qui permettent d’avancer. Le complément de ça va venir et nous allons y travailler au plan national, c’est-à-dire mettre des informations métrologiques à la disposition des paysans. Parce que 90% de nos paysans ne sont pas lettrés. Donc, eux, ils attendent qu’il pleuve. Il faut donc mettre des services radiophoniques pour que nos paysans sachent un mois ou deux mois à l’avance que cette année les pluies seront précoces. Par conséquent, qu’il faut cultiver tôt. Le deuxième aspect de la performance agricole, ça sera l’aménagement des sols. Il faut qu’il y ait la maîtrise de l’eau. Et j’espère qu’en Guinée, nous réussirons à susciter cela avec le secteur privé et mettre en place les circuits de commercialisation qu’est le troisième volet. Donc, améliorer les services qui sont offerts aux paysans. Deuxièmement, aménager les sols. Et troisièmement, mettre en place des circuits de commercialisation appropriés pour que là où il y a un surplus de production, qu’on puisse commercialiser et qu’on puisse ravitailler la partie qui est en déficit. Ça, c’était par rapport à la sécurité alimentaire. Le troisième c’est vraiment dans le domaine de l’intégration des services de santé. La crise Ebola n’a pas été qu’un mal. Ça nous a permis de prendre conscience de nos insuffisances. Aujourd’hui, il y a une grande coopération entre les pays membres par rapport non seulement à l’échange des informations, mais aussi à la création des services qui permettent d’éviter ce qui est arrivé lors de la crise Ebola. Nous venons de terminer une étude que vous pouvez vous approprier d’ailleurs. Ça se trouve sur le site de la Mano. Nous avons aujourd’hui exactement la cartographie des infrastructures sanitaires sur des milliers de kilomètres terrestres dans l’espace Mano. On sait exactement combien de centres de santé il y a à construire. On connaît exactement la situation. Cette étude a été faite et je suis heureuse que cela soit disponible et mis à la disposition du gouvernement pour une prise de décision par rapport à l’investissement mais aussi le secteur privé. Parce qu’encore une fois et c’est l’une des choses que j’ai tirée de la Mano comme expérience. Il est impératif que le secteur privé s’implique dans le développement du pays. Les gouvernements seuls ne pourront pas. Nulle part au monde les gouvernements ont réussi à développer des pays. Le système libéral même, que nous essayons d’imiter, la base, c’est le secteur privé. Le système libéral repose sur le secteur privé et il est impératif donc de nous aider à structurer et à organiser le secteur privé. Il faut que le secteur privé guinéen s’organise et qu’il se structure, qu’il soit fonctionnel et qu’il soit opérationnel.
En venant à la tête de la Mano River Union, vous avez eu à cœur de développer ou de relancer la compagnie ‘’Air Mano’’. Où l’on en est aujourd’hui ?
Je ne suis pas venue à la Mano avec l’idée de relancer ‘’Air Mano’’. Je vais vous dire ce qui a fait relancer ‘’Air Mano’’. En 2013, on a eu un sommet à Monrovia et la question qui devait faire l’objet de débat, c’était justement la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Mano et la rapide circulation. Il y avait deux facteurs. Les routes, il fallait les faire et c’est ce qui a accouché le réseau routier dont je vous ai parlé tantôt. La seconde chose c’était comment joindre les capitales entre elles. En 2013, il y avait ‘’Air Côte d’Ivoire’’ qui faisait Conakry-Abidjan. Sur les quatre capitales, il n’y avait que deux qui étaient connectées directement. Il n’y avait aucun vol qui quittait directement Abidjan sur Monrovia directement, aucun vol Abidjan-Freetown, aucun vol Conakry-Freetown et aucun vol Conakry-Monrovia. Donc, qu’est-ce qui s’est passé à ce sommet ? Des ministres guinéens ont mis 12 heures pour joindre Monrovia. Même ceux qui sont partis par route sont arrivés plus tôt. Parce que l’avion les a pris ici pour Abidjan. A Abidjan, on les a pris pour Lomé. De Lomé on les a ramenés à Accra. Et d’Accra, on les a emmenés enfin à Monrovia. Quand ils sont arrivés, ils étaient épuisés. Ceux qui étaient à Abidjan ont fait le même trajet. Alors, moi qui ai fait la route et qui devais faire l’état de nos routes, je suis arrivée avant eux (les ministres, ndlr). Moi, j’arrive et puis la présidente du Libéria me dit mais Saran où sont les ministres ? J’ai répondu qu’ils sont en train d’arriver. La Guinée même était obligée d’envoyer un avion spécial, avec le ministre Koutoubou Sanoh à bord, pour participer au conseil des Ministres. Donc, la présidente du Libéria, Mme Ellen qui était la présidente en exercice du sommet des chefs d’Etat à l’époque m’a dit Saran écoute : Tu me remets ‘’Air Mano’’ en place immédiatement parce que je ne veux plus que mes ministres passent des journées à se promener avant de nous rejoindre ici à Monrovia. Quand on m’a instruite en ce moment-là de relancer la compagnie ‘’Air Mano’’, c’est en ce moment que nous avons recruté la compagnie qui a fait l’étude de faisabilité de Sky. C’est cette compagnie que nous avons recrutée pour faire l’étude de faisabilité pour la relance d’Air Mano. Ils ont fait une étude de faisabilité qui a été présentée par un comité d’experts, mais aussi qui a été validée par le conseil des Ministres et ils ont fait un business-plan. C’est-à-dire un plan pour la mise en place effective et l’opérationnalisation de ce projet. Alors, entre-temps, il y a eu Ebola. Quand il y a eu Ebola, il a fallu mettre tous les projets d’abord en stand-by pour pouvoir s’occuper de cette maladie. Et, on n’a fini Ebola qu’en fin 2015. 2016, on a commencé à parler de post-Ebola, de reconstruction ou de relance post-Ebola. Et c’est comme ça que les projets comme ‘’Air Mano’’ sont passés à la trappe. Mais il y a eu des mesures qui ont été prises par les Etats. Des chefs d’Etat ont demandé à Air Côte d’Ivoire de combler ce déficit en attendant qu’on mette en place ‘’Air Mano’’. Aujourd’hui, vous pouvez aller d’Abidjan à Monrovia directement. Vous avez des vols directs Abidjan-Freetown, vous avez des vols Monrovia-Freetown. Mais vous n’avez pas de vol encore Conakry-Freetown, Conakry-Monrovia. C’est un peu la situation aujourd’hui. ‘’Air Mano’’ existe, son étude de faisabilité est disponible et le business-plan est disponible également. Ce que j’ai fait avant de quitter le secrétariat général, c’est de demander qu’on laisse le secteur privé prendre ce projet pour aller chercher le financement et le mettre en œuvre. Parce que même la BAD nous avait encouragés à lancer ‘’Air Mano’’. Mieux, le président Alpha Condé, en tant que président en exercice du sommet des chefs d’Etat de la Mano, avait personnellement écrit au président de la BAD pour que nous ayons le soutien de cette institution afin de mettre en place la compagnie. Et la BAD a mis à notre disposition une équipe de juristes, de techniciens en matière d’aéronautique pour que ce projet soit opérationnel. Et l’actuel président de la BAD est très positif par rapport à ce projet d’Air Mano. Donc, c’est où nous en sommes aujourd’hui. J’espère que ma remplaçante, qui est arrivée, va pouvoir faire prendre une décision par les chefs d’Etat pour qu’on remette à des privés afin de lancer ‘’Air Mano’’.
Vous avez parlé dans le temps du bilinguisme systématique au niveau de l’espace Mano. Où ce projet se trouve actuellement ?
C’est vrai qu’en juin 2012, la décision avait été prise d’enseigner l’anglais et le français à partir de l’école primaire. Vous savez, cette question est très facile à prendre mais la mettre en œuvre prend du temps. Pourquoi ? Parce qu’il faut mettre un processus qui permette l’enseignement systématique de ces langues au moins pendant 5 à 10 ans pour qu’on forme une génération de citoyens de quatre pays qui sont bilingues. Si on commence à l’école primaire avec des enfants, de la 1ère année jusqu’en terminale dans les deux langues, ils deviennent des bilingues. Pendant la même période, ceux qui ne sont pas à l’école primaire, il faut les former aussi, notamment les administrations. Donc, il y a un ensemble d’actions simultanées qui sont à prendre et qui coûtent de l’argent. Or, on sait que nos Etats ne sont pas en mesure de financer tout ça. Alors qu’est-ce que j’ai fait ? Nous avons adressé une demande à la fédération mondiale des enseignants de la langue française dans ce sens. Cette fédération existe et je crois que son président actuel est un Belge. Et notre compatriote, Ahmed Tdiane Traoré, qui a été secrétaire général de la Ligue islamique, fait partie de cette fédération. Il y a aussi la Francophonie qui a été contactée. J’ai été reçue par le conseiller spécial de Madame Michaël Jean qui est très positif parce que comme il le dit lui-même, il a été aux heures de la gloire de la Guinée. Nous avons suggéré que la Francophonie nous sponsorise un groupe de volontaires guinéens qui vont aller en Sierra Léone pour enseigner le Français. J’ai été à Londres pour discuter avec l’agence britannique de coopération internationale. Leur département a été sollicité pour faire la même chose en sens inverse. C’est-à-dire que les Britanniques puissent sponsoriser un groupe de volontaires sierra-léonais pour qu’ils viennent en Guinée pour enseigner. Les Américains, avec l’USAID, vont envoyer les gens du Corps de la paix pour enseigner l’anglais ou sponsoriser des Sierra-léonais et des Libériens pour venir enseigner en Guinée. C’est là où nous en sommes aujourd’hui et nous sommes en train de préparer techniquement et financièrement le lancement de ce processus pour qu’il soit effectif dans toutes les écoles des quatre pays.
Vous avez mené des actions qui concourent à développer la production agricole, notamment le riz, le mais… Nous voyons tout un enchaînement qui donne certainement des résultats. Mais, il y a un point qui n’a pas été touché. Je ne sais pas si vous y avez pensé. Il s’agit des pistes rurales pour désenclaver les zones de production.
Le projet des pistes rurales relève des programmes nationaux. Ce qui est de la responsabilité de la Mano, c’est tout ce qui est transnational et c’est pourquoi, nous avons fait le réseau routier. Quand vous prenez l’axe Kénèma-Gueckédou, chaque semaine, ce sont des milliers de tonnes de café, de cacao, d’huile de palme, de cola, de patate douce et d’haricot qui sont échangées entre les marchés de Koindou, de Foindou et de Nongowa. Entre ces trois marchés, il y a 7 kilomètres de chaque côté. Chaque semaine, il y a 9 pays qui se rencontrent sur cette zone qu’on appelle le ‘’Bec de Perroquet’’ : la Guinée-Bissau, le Sénégal, la Sierra Léone, le Mali, le Burkina Faso, le Ghana, le Libéria, le Niger et la Guinée. Je voulais faire un pont sur le fleuve Makona à Nongowa. Quand j’ai soulevé la question, certains diplomates m’ont demandé pourquoi je fais le pont là-bas, de faire d’abord le pont sur la route nationale. J’ai répondu que c’est plus important que nos routes nationales. En janvier 2012, j’étais là-bas mais, bien avant 2012, mon mari a enseigné à Guéckédou et j’y étais. Donc, je connais le marché de Koindou et il est connu dans la sous-région. Cela fait plus d’un siècle, c’est un petit pont qui ne fait même pas 100 mètres. Si on met un pont sur le fleuve Makona, cela va faciliter la circulation dans cette zone. Je les ai invités à venir visiter. Ils sont venus et au retour ils m’ont dit combien de fois j’ai raison pour me battre pour ce pont. C’est un petit coin où il y a des euros, des dollars, de la livre sterling, le dollar libérien, le franc CfA et le franc guinéen. C’est la meilleure bourse de la sous-région. Tout le monde s’entend sur le taux d’échange, tu peux acheter tout sans aucun souci avec la monnaie que tu détiens. Le carburant est vendu également sans aucun problème lié à la monnaie. Je donne ces exemples pour que vous compreniez combien de fois il est important qu’on colle les populations à la réalité des mécanismes qui sont en place et qui marchent…. C’est pourquoi, on dit que la CEDEAO et la MANO sont en retard par rapport à leurs populations. C’est vrai, les institutions d’’intégration sont un peu en retard par rapport à la réalité du terrain. J’étais gosse quand je mangeais les poissons séchés de Mopti à Kouroussa à plus de 2000 kilomètres. Les commerçants de chez moi allaient aussi à Koumassi. Je me rappelle la fierté pour les femmes d’avoir dans leur valise de mariage les pagnes tissés de Koumassi. C’était vraiment le Top. C’est pourquoi, il faut coller la population à la réalité. Il ne faut pas vouloir réinventer la roue.
Quand vous passiez la charge à votre successeur récemment à Monrovia, vous lui avez certainement donné des dossiers qui vous tenaient à cœur et qu’elle doit poursuivre. Est-ce qu’on peut connaître les contenus de ces projets.
Parmi les projets sur lesquels j’ai beaucoup insisté, figure le projet de construction d’un centre d’excellence. Le développement, c’est une question de ressources humaines de qualité. On a vu que chaque pays à ses atouts. La Guinée a la plus ancienne et plus grande école des Mines en Afrique de l’Ouest. On a demandé à la Guinée de former tous les métiers de mines et de la géologie pour l’ensemble des Etats membres. Donc, Tamakénè, dans Boké, va être érigé en centre d’excellence pour l’ensemble de la sous-région. Cela contribue à atteindre l’objectif de bilinguisme. Parce que si Boké reçoit les étudiants de Sierra Léone, du Libéria et les études sont faites en français, à la fin de leur cycle, ils seront bilingues. La Sierra Léone a la meilleure école de Télécommunication, elle va former tous les métiers des technologies de la communication pour l’ensemble des Etats membres. Le Libéria a la plus ancienne et la plus grande école de foresterie et de sciences environnementales. C’était un projet de Mano River d’avant d’ailleurs mais, la guerre l’avait stoppé. Donc, on a dit, étant donné maintenant que les questions d’actualité relatives à la climatologie, changement climatique, désertification, environnement, c’est bien que cette école forme tous les métiers relatifs à l’environnement et à la préservation de nos ressources. La Côte d’Ivoire a la meilleure école d’ingénieurs de la sous-région, dans les domaines des travaux publics et de l’énergie. C’est l’école polytechnique Houphouët-Boigny à Yamoussoukro. Donc, on a demandé à la Côte d’Ivoire de former des cadres… j’ai demandé à mon successeur de faire en sorte que les premiers étudiants qui sortent de ces quatre écoles commencent déjà l’année scolaire prochaine. Et personnellement, de retour en Guinée, je vais m’investir pour que les étudiants guinéens qui doivent aller puissent aller. Qu’ils soient boursiers si l’Etat a des ressources ou bien que leurs parents paient. Il y a des parents qui payent pour que leurs enfants partent aux Etats-Unis. La Côte d’Ivoire, c’est la porte d’à côté ainsi que la Sierra Léone et le Libéria. Ce sont des métiers qui ne chômeront pas. Quand ils seront formés, ils ne vont pas chômer et en plus, ils seront bilingues. Ce sont des choses que nous encouragerons et nous avons insisté là-dessus. J’ai insisté pour que la question d’Air Mano soit définitivement réglée. Que le secteur privé qui doit pendre le projet s’en saisisse. Nous avons tous les contacts nécessaires afin que ce projet devienne une réalité…. Un autre aspect sur lequel j’ai beaucoup insisté avant de quitter la Mano, c’est la participation des femmes en politique. Durant le temps que j’ai fait à la Mono, malheureusement, le taux des femmes dans les instances de prise de décision a diminué, notamment dans les élections, qu’elles soient locales ou parlementaires. Le nombre a diminué.
Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?
La Mano peut se vanter d’avoir fait élire la première femme chef d’Etat en Afrique, mais nous sommes restés sur nos lauriers. Nous n’avons pas compris qu’est-ce qui a pu permettre cela et en tirer les conséquences pour pouvoir mettre un véritable programme d’appui de promotion politique des femmes. Il faut que cette dynamique soit absolument obtenue. Il n’y a pas à se lever du jour au lendemain pour dire qu’il faut que les femmes soient au haut niveau. Pour qu’elles soient là-bas, il faut qu’elles travaillent aussi. Deuxièmement, il faut l’environnement qui le permet. Et troisièmement, il faut que la société comprenne qu’elle n’a pas d’autre choix que d’impliquer les femmes… Moi je me réfère toujours à la charte de Kouroukanfouga. Il est écrit noir sur blanc, qu’on doit associer les femmes à la gestion de la cité en plus de leur responsabilité domestique. C’est un article de la Charte de Kouroukanfouga en 1.235 au 13ème siècle… Le développement culturel a été le dernier volet sur lequel j’ai beaucoup insisté. Quand vous prenez le Japon, qui a été vaincu en 1945, agenouillé, bombardé, humilié, 50 ans plus tard, il fait partie des trois premières puissances financières du monde. Vous croyez qu’est-ce qui a fait cela ? C’est sa culture. Ils mangent japonais, ils vivent japonais et ils pensent japonais. Ils vont prendre ce qui est bien chez toi, ils emmènent, ils mangent à la sauce japonaise…L’Allemagne a été occupée, non seulement vaincue et jusqu’à présent il y a des forces de l’Otan en Allemagne. C’est la plus grande puissance financière de l’Europe aujourd’hui après avoir causé des millions de morts chez eux et chez les autres. Ils sont la première puissance de l’Europe. C’est la culture allemande. On mange pour vivre mais on vit pour travailler. C’est ça l’Allemand. Jusqu’à récemment, il n’y avait pas de grève en Allemagne… Ils ont reconstruit leur économie, ils sont devenus forts parce qu’ils ont appliqué leur valeur de base à la lettre… Si on veut aller de l’avant, d’abord il faut qu’on identifie où on veut aller. Parce que si tu veux aller à Boké et que tu prennes la direction de Forécariah, tu n’arriveras jamais à Boké. Donc, il faut que les Guinéens se fixent un objectif dans dix ans ou vingt ans en tant que nation et pays. Qu’est-ce nous voulons devenir.
Nous comprenons bien que vous avez une maîtrise de la Mano River Union. Alors, est-ce que vous avez pensé à écrire un livre ou encore à transmettre votre savoir en enseignant dans les universités ?
J’ai été sollicitée par deux écoles, une sur ma propre proposition et l’autre m’a contactée. Je veux enseigner dans une Académie militaire parce que mon expérience des vingt dernières années est basée sur les questions de conflits. Les facultés de Sciences politiques, je veux y enseigner. Je ne viendrais pas leur donner des cours théoriques mais, ce que j’ai vécu. Il y a une chose que j’aimerais bien faire, c’est parler aux femmes en général. J’ai une expérience et y compris mon âge de parler de cela. Ma vie de famille, ma vie professionnelle et ma vie politique que j’ai menées parallèlement. Je me suis mariée, j’ai fait des enfants que j’ai élevés, j’ai travaillé pendant onze ans pour l’Etat guinéen, je suis allé au secteur privé, j’ai fait des missions de très grande importance pour le pays. Donc, aujourd’hui, je peux parler aux jeunes femmes pour leur dire voilà comment j’ai fait. Voilà des erreurs que j’ai commises qu’il ne faut pas faire. Et voilà ce que j’ai fait et qui a réussi. Pour cela, il y a des jeunes femmes qui m’ont proposé de construire un centre d’encadrement familial. Je vois aujourd’hui des divorces qui sont généralement malheureux, des jeunes gens qui se marient et deux ans après, ils ne sont plus ensemble. Ça me fait beaucoup de peine. C’est parce qu’il n’y a pas d’encadrement des jeunes avant le mariage….
Vous avez été candidate à l’élection présidentielle de 2010. La Guinée compte plus de 52% de femmes et votre score n’a pas été honorable. Dans quel état d’esprit vous avez accueilli ce résultat. Avez-vous pensé que les femmes ne vous ont pas soutenue?
Je ne suis pas d’accord quand vous dites que mon score n’était pas honorable. Il y avait 24 candidats en compétition et j’ai été quinzième. Cela veut qu’il y a neuf hommes que j’ai dépassés (rires). La deuxième remarque : c’est à la dernière minute que ma candidature a été annoncée et c’est un reproche que les femmes m’ont fait. Elles m’ont dit Hadja pourquoi tu ne nous as pas dit un peu plus tôt parce qu’elles étaient engagées avec d’autres candidats à qui elles ont donné leur parole d’honneur. Troisième remarque : les élections coûtent cher. Rien que la caution de 2010 qui était à 400 millions de francs guinéens, presqu’un demi-milliard. C’était un facteur limitant. Quatrièmement : on sortait d’une période de transition militaire. Pendant plus d’un an, il n’y a pas eu d’activités politiques, les partis politiques étaient suspendus. Aujourd’hui, nous sommes en train de voir les limites du code électoral qui a été adopté par le CNT. Même la Constitution, si on discute sérieusement, on peut dire que notre Constitution de 2010 n’est pas légitime. Elle n’est pas légitime parce que personne n’a été consulté pour cette constitution. En un mot, le peuple n’a pas été consulté. Le CNT a été constitué sur une base légale ? Je suis désolée, on a compté des gens venus des ONG, de la société civile, des partis politiques, les mettre ensemble pour dire que c’est le CNT. On se demande sur quelle base, toi on a choisi et moi on m’a laissé. Sur quelle base ? Aucun critère de sélection des membres du CNT. Ça déjà, ça a posé problème. Mais, on sortait d’une période de crise et tout le monde s’est entendu en se disant d’accord, ce n’est pas parfait mais nous allons quand même partir. On l’a adopté par consensus et ça a passé. Après, dans sa mise en œuvre, on rencontre des blocages, des insuffisances. Aujourd’hui, le code électoral, on est en train de le déverrouiller. La CENI a des problèmes. Sur les 24 candidats, je peux dire que je suis parmi les 7 et 8 qui ont fait toutes les préfectures. Sur les 33 préfectures, j’en ai visité 26. Et vous pouvez vous renseigner, tous les candidats n’ont pas fait toutes les préfectures. Beaucoup sont restés à Conakry dans les alentours. Je suis très contente du score que j’ai fait quand je le compare au score des candidats hommes qui ont eu beaucoup d’argent, dix fois plus riches que moi, qui ont une audience beaucoup plus grande que la mienne et la majeure partie ont été portés par les anciennes formations politiques. C’est d’ailleurs, à ce niveau que j’ai découvert la première lacune de notre constitution. Aujourd’hui, notre constitution n’accepte pas les candidatures indépendantes. C’est antidémocratique et c’est ce qui fait que notre débat politique est pris en otage par les partis politiques. Si tu n’es pas dans un parti politique, tu ne peux pas te présenter à une élection. Les partis politiques ont fait exprès et la société civile aussi a suivi.
Quel est votre plus beau souvenir de la Mano River Union ?
Le plus beau souvenir, c’est le jour où j’ai vu des femmes qu’on a aidées pendant la période Ebola. Ça peut paraître anodin. Quand vous prenez la carte de la Sierra Léone, vous verrez Falaba, pas Kabala. C’est juste à la frontière guinéenne et vous regardez la carte guinéenne, vous verrez Hèrèmakönö qui se trouve à Faranah. Les deux sous-préfectures ne sont pas distantes de plus de 28 Km. Pendant la crise Ebola, on avait fermé les frontières. La Sierra Léone avait demandé qu’on ferme ses frontières et cet endroit est une zone rizicole. Les gens y produisent beaucoup de riz, ils avaient des productions qu’ils n’arrivaient pas à écouler. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai ordonné aux hommes en uniforme qu’on avait déployés (un policier, un de l’armée de terre, un douanier et un de la marine) d’autoriser les femmes de Falaba d’aller à Hèrèmakönö vendre leurs produits contre la décision du gouvernement sierra-léonais. Sinon, c’était la mort pour ces communautés qui ne vivent de que ça. Le fait que j’aie ordonné l’ouverture des frontières a suscité un soulagement au sein de cette population.
Quel est votre regret ?
Mon regret est de n’avoir pas vu les étudiants des quatre pays rejoindre les écoles d’excellence avant que je ne quitte la Mano River Union. Parce qu’avec ça, j’aurais voulu accompagner un groupe d’étudiants à Abidjan parce que leur école est prête pour devenir des ingénieurs et des aides ingénieurs en Travaux publics et en électricité. Ensuite, c’est de n’avoir pas pu voler dans ‘’Air Mano’’.
Propos recueillis par Youssouf Keita
+224 666 48 71 30
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