Dans cette interview qu’il a bien voulu accorder à la rédaction de Médiaguinée, Mohamed, fils du premier président de la Guinée indépendante Ahmed Sékou Touré et actuel secrétaire général du Parti démocratique de Guinée-Rassemblement démocratique africain (PDG-RDA), est revenu sur le retard accusé par la Guinée…
Mediaguinee : Récemment en Chine, le président de la République a accusé la France, la Côte d’Ivoire et le Sénégal d’être vraiment à la base du retard de la Guinée. Vous, en tant que parti qui a dirigé ce pays, est-ce que vous partagez cet avis ?
Mohamed Touré : J’ai le regret de dire que je ne partage pas du tout cet avis. Ça peut être très flatteur pour nous autres. Mais ça beau être flatteur, ce n’est pas vrai. Il faut le dire. C’est vrai que le développement qu’on aurait connu, aurait été exponentiel si ces facteurs de frein n’avaient pas été. Nous aurions été une économie émergente depuis. Malgré ça, nous avons connu un développement certain. Et puis dans les années ‘’75’’ déjà, le lien entre la Guinée et la France était rétabli. Ainsi, le passif des relations franco-guinéennes avait été épongé. Et on avait repris sur les bases sincères et sur les bases de coopération loyale et égalitaire nos relations. Par la suite, les relations entre le Sénégal, la Côté d’Ivoire et la Guinée ont été portées au comble de l’amitié et de la fraternité.
C’est le coup d’État de 1984 et l’effort de déstructuration systématique de ce qui avait mis en place qui nous ont emmenés à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui
En fait, sur la question, le Président de la République a désigné des personnalités. Il a parlé de de Gaule, mais il n’a pas parlé de la France. Il a parlé de Senghor et il a parlé de Houphouët. Mais les relations entre Senghor, Houphouët et le président Ahmed Sékou ont été bel et bien rétablies à Monrovia sous les auspices des présidents TOLBERT du Libéria, Diawara de Gambie et Eyadema du Togo.
Nous estimons au PDG que cette page était tournée, et définitivement. Revenir là- dessus, et revoir en ces termes la vie de résistance du Peuple en ce temps où nous devons regrouper nos forces et renforcer nos capacités en termes de relations africaines et en termes même de relations internationales et même avec la France n’est pas productif.
Bâ Mamadou, l’actuel président Alpha Condé ont conseillé les militaires putschistes en 1984
Deuxièmement, c’est faux parce qu’en 1984, à la suite du coup d’État militaire, toutes les forces liguées contre le PDG sont venues ici en première ligne. Ils [Alpha Condé, Bâ Mamadou, etc., ndlr] ont conseillé ces militaires putschistes. Et de ces conseils, beaucoup de décisions ont été prises et qui ont remis en cause systématiquement tous les acquis que le premier régime avait engrangés. Nous avions combien d’industries réparties dans le pays et qui appartenaient à la Guinée et aux Guinéens. Quand on fait le rapport entre ce qu’il y avait ici et ce qu’il avait en Côte d’Ivoire et ailleurs, on se rend bien compte que même s’il y a avait quelques industries en Côte d’Ivoire, ces industries n’appartenaient pas nécessairement aux Ivoiriens même pas à l’État ivoirien. Elles appartenaient à des groupes et à des consortiums étrangers. Tandis que tout ce qu’il y avait en Guinée nous appartenait en propre. Je vous ai dit tout de suite comment la CBG avait été négociée, qui nous permettait déjà à l’époque d’engranger 260 millions de dollars par an. Les infrastructures minières qu’il y avait (chemin de fer, port, cité, etc.) revenaient de droit à la Guinée après que la Guinée ait payé le crédit qui avait permis leur réalisation. Je crois c’est la Société financière internationale qui avait financé ces infrastructures-là. C’est le coup d’État et l’effort de déstructuration systématique de ce qui avait mis en place qui nous ont emmenés à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Ainsi, dire que le retard de la Guinée, en général, est dû à l’action du Président de Gaulle et des Présidents Houphouët et Senghor, nous nous opposons à ça. Nous nous ne disons pas qu’ils ont été toujours des amis de la Guinée, l’histoire atteste le contraire. Mais l’histoire atteste aussi qu’à un moment donné après tous ces conflits nous sommes arrivés à un point d’entente et nous avons progressé à partir de là. Nos relations étaient au beau fixe avec la France. Allez au côté de l’ambassade de France, il y a un service de l’enseignement qu’on appelle ‘’CEDUST’’. C’est le produit de la coopération française à l’époque. Allez à Faranah, l’université ‘’Valéry Giscard d’Estaing’’, qui existait déjà parce que la faculté d’Agronomie existait à Faranah. Mais, elle a été baptisée lors de la visite historique du Président français, consacrant l’amitié recouvrée. De ce moment, les Français se sont impliqués, ils ont mis des moyens pour améliorer les capacités de cet institut. Beaucoup de choses se sont produites dans cet institut. Il y a eu des inventions par des scientifiques guinéens qui ont produit beaucoup de choses. C’est un fruit de la coopération française. Il y a beaucoup d’autres aspects positifs de cette coopération. Je ne suis donc pas du tout de l’avis qui limite le retard économique de la Guinée de façon si caricaturale et erronée de surcroît.
Ce n’est pas un pays moribond qu’on avait en 1984
La Guinée, en 1984, était un pays qui ne se plaignait pas en Afrique. Des milliers et des milieux de cadres, de tous les niveaux, sortaient de toutes les écoles supérieures. Au point qu’on envoyait des cadres à l’extérieur pour aider les autres frères africains.
Ce n’est pas un pays moribond qu’on avait en 1984. C’est un pays prêt à l’émergence et toutes les conditions à cet effet étaient réunies.
Nous avions eu des négociations avec le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale. Ces négociations ont permis de trouver un consensus et le Syli devrait être dévalué de 25% à l’époque. Ça été pour le Fonds monétaire et les institutions de Breton-Woods.
Propos recueillis par Mamadou Savané et Kélètigui Rabah Camara