Dans un entretien accordé à notre reporter, le journaliste et écrivain Mohamed Salifou Keita évoque les préparatifs de la commémoration des 32 ans de l’émission papier-plume-parole. Notre interlocuteur parle aussi de la littérature guinéenne et africaine.
Vous projetez un grand évènement pour célébrer les 32 ans de l’émission « Papier-plume-parole. » Parlez-nous un peu de cet évènement ?
Mohamed Salifou Keita : A l’occasion des 32 ans de l’émission de « Papier-plume-parole », nous faisons à Conakry, ce qu’on appelle le forum des medias et du dialogue interculturel. L’objectif est de venir réfléchir sur le métier de journalisme culturel. Comment un écrivain rencontre son public. Donc c’est au tour de ça que nous allons réfléchir. Et pour se faire, nous allons inviter des sommités littéraires du continent. Les Grands critiques littéraires comme Makhily Gassama, qui fut ministre de la Culture au Sénégal en même temps ambassadeur, et haut fonctionnaire de l’agence de la francophonie à l’époque, la CCT et l’Unesco. Il y a aussi d’autres invités qui viennent de France et qui vont réfléchir sur le sujet. Donc, cela se réalisera sur 3 jours du 08 au 10 novembre 2017 ici à Conakry. Nous nous activons sur ce colloque. C’est un colloque international qui permettra aux étudiants et aux lycéens d’avoir un contact, des échanges avec ceux qui écrivent.
Il y a dans ce lot un grand écrivain guinéen qui ne participe pratiquement pas aux colloques littéraires qui s’appelle Alioune N’Fantouré qui a écrit ce grand livre en 1972 qui s’appelle le « Cercle des tropiques ». Il a fait aussi d’autres trilogies. Il y a aussi le premier invité de cette émission Alain Borer qu’on appelle le rimbaldien voyageur puisqu’il est le spécialiste des Rimbaud en Abyssinie. Il y a aussi M. Alimou Camara qui est un professeur d’université qui est le président du comité scientifique. Il y a Tierno Monénembo et tant d’autres noms. Donc, on veut faire Conakry du 08 au 10 novembre la capitale de l’intelligentia africaine et francophone.
Qu’attendez-vous de ce forum ?
L’objectif aussi est d’éditer un livre. Ceux qui viennent, ce sont des professeurs d’université qui sont des chefs de CR, dans les universités comme à la Sorbonne. Ils viennent, ils discutent avec les jeunes et après le comité scientifique va mettre en parallèle c’est-à-dire va avoir une croix de transmission transversale entre les différentes communications pour en faire un livre. Donc c’est un livre qui est à la fois littéraire et qui va être à la fois journalistique et qui sera profitable aux étudiants en journalisme et en littérature. Donc, c’est bien pour la jeunesse guinéenne, pour les universités guinéennes, pour les lycéens guinéens.
32 ans depuis que cette émission a été créée. Vous avez reçu une panoplie d’écrivains. Quel souvenir retenez-vous de tout cela ?
J’ai beaucoup d’anecdotes. Par exemple j’ai une anecdote d’un écrivain Ivoirien qui est mort, qui a écrit la carte d’identité qui s’appelle Jean-Marie Adiafi. C’était à Brazzaville en 1987 quand j’ai fait une émission avec lui et que la poétesse sénégalaise qui ne vit plus aussi Fatou N’Diaye Sow, tous les deux sont morts. Fatou N’Diaye Sow, Jean-Marie Adiafi a pleuré, Kaba 41 a pleuré, ils sont tous morts. Ils se sont mis à pleurer et j’étais très ému. Deuxièmement, c’était toujours à Brazzaville, c’est quand j’ai vu Sony Labou Tansi venir me dire Mohamed, je sais que tu es à Brazzaville, que tu fais un plateau de télé, je suis convalescent, je veux passer dans ton émission. Sony Labou Tansi qui était un grand écrivain africain d’origine congolaise et ça m’est allé droit au cœur. C’est aussi Amadou Kourouma quand il a publié son deuxième roman. Les journalistes ont voulu le prendre en France, il a dit non, j’ai promis à mon jeune frère en Guinée et que je lui donnerai l’exclusivité pour faire une émission avec lui. Et quand il a publié Moné, j’ai été le premier journaliste à l’interviewer. Il a pris son avion, il est venu à Conakry parce qu’il a un ami ici qui était patron de l’UGAR, qui s’appelle Touré. M. Touré m’a appelé à la RTG pour me dire qu’Amadou Kourouma était là, il est venu pour 72 heures. On a fait une grande émission. Ce sont des choses que je n’oublie pas. Il y a tellement d’anecdotes dans le parcours aussi, ce sont des difficultés que vous rencontrez et par la jalousie des uns et des autres. C’est aussi par moi et par vous que nous sommes arrivés à 32 ans de parcours de cette émission.
D’où est venue l’idée de créer cette émission ?
Je me suis retrouver à la RTG par la force des choses et j’ai observé il n’y avait pas d’émission littéraire. D’abord, j’ai commencé à travailler avec Boubacar Yacine Diallo dans Poésie littérature qui m’a d’ailleurs donné le micro, il faut le dire. Nous étions en 1984. Après il y a des difficultés. Vous savez la radio, la télévision, c’est un monde des artistes. Entre temps, j’ai eu une bourse que les Allemands m’ont accordée pour l’Allemagne fédérale. A mon retour, j’avais déjà vu Bernard Pivot à la télé. Donc j’ai dit pourquoi ne pas créer l’émission littéraire à la télévision. Donc j’ai vu Siaka Sylla paix à son âme et je lui ai proposé le concept. Il a accepté le concept. Donc l’émission s’appelait d’abord Expression. Ce n’est que 2 ans après et que Justin Morel Junior en 1986 quand il est devenu directeur général de la RTG, il a trouvé le mot Papier-plume-parole. Parce qu’il m’a dit oui mais Expression c’est trop nuancé, c’est trop blanc, on va trouver un truc africain. Donc le titre de l’émission n’est pas de moi, il est de Justin Morel Junior.
Comment vous vous êtes retrouvé dans ce métier de journalisme ?
J’ai tout le temps aimé le journalisme. J’ai une vocation littéraire très tôt à l’âge de 18 ans j’écrivais des poèmes. Vers la vingtaine, j’avais déjà un recueil de poésie. J’ai commencé à écrire très tôt, j’ai commencé à aimer les écrivains très tôt et je me suis retrouver dans le journalisme parce que j’aimais le journalisme. Et j’ai commencé dans le tas. Et j’ai eu la chance d’aller faire des grandes écoles de journalisme en France en Allemagne et à Tunis. J’ai fait de très grandes écoles de journalisme.
32 après, est-ce qu’aujourd’hui vous avez préparé la relève ?
J’ai tenté par plusieurs fois de préparer la relève dans mes émissions, mais les jeunes ne sont pas arcboutés à la lecture. C’est une émission très rigoureuse. Quand vous la faites, vous êtes obligés de lire, lire à tout moment. Et ce n’est pas évident pour la nouvelle génération. J’aimerais bien avoir un remplaçant.
Quelle place occupe la littérature dans un pays où la jeunesse s’intéresse de moins en moins à la lecture ?
La littérature en Guinée progresse parce qu’il y a des productions littéraires. Il y a des productions de livres qui se font à l’Harmattan, Tabala. Je suis le président de l’ASSEGUI. Je sais que les éditeurs Guinéens publient des ouvrages. Il faut aussi publier des ouvrages de qualité. Moi-même, je suis un romancier. Donc la littérature est importante, elle a sa place dans ce pays. Il y a une communauté de lecteurs Il y a une communauté de littérateurs qui produisent des livres de qualité pour le public guinéen. Je pense qu’il y a une évolution lorsque je commençais en 1984, ce n’était pas comme ça. Mais aujourd’hui les Guinéens s’intéressent à la littérature, les jeunes gens s’intéressent à la littérature. J’en veux pour preuve les lundis de l’Harmattan, vous avez beaucoup de jeunes gens qui viennent. Et quand il y a des conférences littéraires, vous avez beaucoup de gens qui viennent au centre culturel. Je pense qu’avec le colloque, le forum que j’organise, il y aura du monde qui viendra.
Est-ce que Conakry capitale mondiale du livre a été un atout ?
C’est un atout pour la Guinée. Parce que ça permet d’organiser au cours de l’année 2017-2018 beaucoup d’activités dont le forum des medias et du dialogue interculturel. Il y a guineenews qui va fêter ses 20 ans. Il y a eu plein de choses qui se font. Et beaucoup de conférences qui se tiennent dans le cadre de Conakry « capitale mondiale du livre. » Il y a des bibliothèques qui sont en construction dans les communes. Je pense que c’est une année salvatrice pour le secteur du livre et je crois que cela a des répercussions. Ça a des répercussions en ce sens que nous avons des équipements culturels qui se mettent en place dont les bibliothèques et c’est très important pour la jeunesse et c’est très important pour le pays que les gens aient accès au livre.
Est-ce qu’il y a une politique du livre en Guinée ?
Quand j’étais directeur national à la culture, j’avais travaillé sur une politique nationale du livre. Et quand il s’est agi de lancer Conakry capitale mondiale du livre, paix à son âme, mon confrère et directeur du livre de l’époque Idrissa Camara et autre ont dépoussiéré ce document. Ils ont retravaillé, il y a eu un financement de l’ADA. Les experts ont fait leur boulot. Ils ont soumis le document au ministère de la Culture. Je ne suis plus à la culture, je ne sais pas comment ça évolue. Pour le moment, la politique nationale du livre n’est pas promulguée dans notre pays.
Est-ce que le gouvernement se bat aujourd’hui pour la promotion du livre ?
Le gouvernement assiste « Conakry capitale mondiale du livre. » On essaie de mettre les choses en place. Le gouvernement est toujours là. Mais la question à poser, est-ce que le gouvernement redouble d’effort, d’ardeur pour que la culture soit au centre de sa politique, c’est ça le problème.
Vous êtes écrivain aussi. Combien d’ouvrages peut-on mettre à votre actif ?
J’ai travaillé dans les ouvrages collectifs. Je suis publié dans l’anthologie universelle de la poésie. J’ai écrit un livre sur la littérature guinéenne d’expression française. C’est une sorte d’anthologie. J’ai écrit dernièrement un roman qui s’appelle « Les enfants du quartier sombre», qui est publié en France. J’ai un autre roman qui sort qui s’appelle « Les mystères de Carlabaye. »
Selon vous, qui est le meilleur écrivain guinéen de tous les temps ?
Une colle. Parce que moi j’adore tous les écrivains guinéens, mais j’ai beaucoup plus de penchant pour les œuvres de Tierno Monénembo, qui est un ami, qui est un frère. Il a écrit de belles choses, et il représente bien la littérature guinéenne d’expression française dans le monde. Il est aujourd’hui incontournable et incontestable qu’il est le meilleur écrivain francophone qui existe. Puisqu’il vient de remporter le prix de l’académie française. Il a déjà le prix Renaudot, il a beaucoup de prix. Je pense que c’est un écrivain qui est au summum de son art, qui est déjà arrivé à la plénitude de son art, qui écrit des livres fabuleux et qui chaque deux ans a un livre sur le marché. Nous avons tous lu Camara Laye, qui est un précurseur du roman guinéen. Il y a Alioune N’Fantouré. J’ai le penchant pour mon ami et père feu Kaba 41 qui était mon mentor, ça c’était un grand poète guinéen. Donc, généralement en tant que critique, en tant que journaliste de terrain, je n’ai pas assez de penchant, mais j’ai beaucoup de penchant pour les œuvres de ces auteurs guinéens.
Votre message à l’endroit des Guinéens ?
Du 08 au 10, il faut que les jeunes guinéens se mobilisent, participent à ce forum. C’est fait pour eux, c’est fait pour les journalistes guinéens. On va se comparer à d’autres journalistes. Vous avez une brochette d’intellectuels qui va faire le déplacement à Conakry. Comme François Durpaire, Makhily Gassama, Alioune N’Fantouré et puis des professeurs comme Jacques Chevrier. Donc vous aurez du monde pour vous enseigner, pour enseigner les jeunes gens pendant trois jours. Et Conakry sera la capitale de l’intelligentsia africaine et francophone. Et c’est ce qu’on peut faire pour les 32 ans de cette émission, pour qu’on puisse fêter cette émission en apothéose. Ce qu’il y a c’est que Bernard Pivot a fait 20 ans avec Apostrophe, Sada Kane à Dakar a fait 20 ans avec Regard, moi j’ai 32 ans, je pense que c’est important, et que tout le monde pense que c’est important de venir fêter cette émission, fêter le courage que nous avons eu pour mener cette émission pendant 32 ans.
Entretien réalisé par Sadjo Diallo (L’Indépendant)