Henda Ayari est la première femme à avoir porté plainte contre Tariq Ramadan. Elle accepte aujourd’hui de nous expliquer ce qui l’y a poussée.
Henda Ayari a déposé plainte contre Tariq Ramadan pour viol. Elle revient sur l’agression dont elle dit être victime et raconte son combat pour « être une femme respectable et respectée ».
Comment avez-vous rencontré Tariq Ramadan ?
C’était courant 2010, sur Facebook, je vivais une séparation très difficile avec mon mari, un salafiste. J’avais perdu la garde de mes trois enfants, j’étais seule, sans argent, sans logement, sans travail. Une assistante sociale m’a conseillé de retirer mon voile pour trouver du travail. J’ai suivi ses conseils. Mais je culpabilisais de ne plus porter le voile, de ne plus faire mes prières à l’heure. C’est une salariée administrative du site de Ramadan qui m’a d’abord contactée, puis lui-même. Il m’a apporté les réponses que je cherchais.
Pourquoi cela a-t-il dérapé?
En juillet 2011, j’ai retrouvé la garde de mes enfants. J’étais très fière de moi, je me sentais une femme libérée. J’ai posté une photo de moi sans voile, avec un peu de rouge à lèvres. Tariq Ramadan m’a rappelée à l’ordre, sur Facebook. « Ce n’est pas bien ce que vous faites », m’a-t-il dit. Il me reprochait d’être maquillée, d’avoir les cheveux détachés. « Vous cherchez à susciter le regard des hommes. C’est un péché. » Je me suis excusée, je culpabilisais. Ensuite, il est devenu plus intime dans la discussion. Ce n’était plus le savant mais l’homme qui parlait. Je pensais ne pas parler au vrai Ramadan. Pour me prouver que c’était bien lui, il s’est mis sur l’application Skype, filmé par sa webcam. J’étais émerveillée. Je le trouvais séduisant, beau. J’étais tellement flattée qu’il s’intéresse à moi. Il m’a demandé mon numéro et m’a proposé de nous voir quand il viendrait à Paris.
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Quand et où a eu lieu ce rendez-vous ?
Fin mars 2012, dans un hôtel de l’est de Paris. Il m’avait demandé de venir en taxi, d’être la plus discrète possible pour éviter les équivoques. « On pourra discuter plus tranquillement », m’a-t-il confié.
Ce n’était pas neutre ?
Je ne me suis pas méfiée, j’étais en confiance, j’ai fait une erreur. C’était comme si j’allais voir un grand frère. J’étais sous son emprise, il m’a manipulée. Quand j’ai frappé à la porte, mon cœur battait. Il m’a accueillie avec un plateau de gâteaux orientaux et m’en a proposé, j’ai refusé. Quelques minutes plus tard, il m’a embrassée, et je me suis laissé faire, je n’ai pas honte de le dire. Puis il s’est littéralement jeté sur moi. Alors le conte de fée s’est transformé en cauchemar, le prince charmant en monstre. Il m’a étranglée très fort, si fort que j’ai pensé que j’allais mourir. Il m’a giflée, car je résistais. Il m’a violée. Je me suis sentie en extrême danger. Il m’a insultée : « j’étais venue pour ça, je méritais ça, je l’avais cherché ». Je n’avais qu’à porter le voile, sinon j’étais une prostituée.
Vous avez passé la nuit avec lui ?
Oui, mais malgré moi. Cela a été la pire nuit de ma vie. Le matin, il s’est douché et a glissé un billet dans mon sac pour le taxi. Mais je ne voulais pas de son argent, je n’étais pas une prostituée. Il a quitté la chambre avant moi et m’a demandé de partir après lui. Toujours pour la discrétion.
Avez-vous eu d’autres contacts avec lui ?
J’étais traumatisée, honteuse. Je culpabilisais. Je me sentais fautive d’être montée dans sa chambre. Il a cherché à rester en contact avec moi et m’a encore plus culpabilisée. Soi-disant, je ne savais pas m’occuper d’un homme. « Il va falloir apprendre », m’a-t-il dit. Je sortais du salafisme, je n’avais eu qu’un homme dans ma vie. Et encore, je n’avais eu des relations sexuelles avec lui que pour mettre au monde des enfants. Je voulais comprendre, revoir Tariq Ramadan pour comprendre. « Je vais m’occuper de toi », m’a-t-il déclaré. Je voulais lui montrer que j’étais une femme qui assurait. Nous avions des échanges sexuels épistolaires. Il voulait que je sois son esclave sexuel. « Tu viendras à Paris, je te donnerais de l’argent pour tes trajets. On pourra se voir tous les quinze jours. J’aime les filles qui ont du caractère, cela m’excite. Avec ma femme, il ne se passe plus rien, c’est comme une sœur. Je vais demander ta main à tes parents », m’a-t-il écrit, par exemple.
L’avez-vous revu ?
Non, jamais. On devait, mais comme j’ai refusé de lui envoyer une photo de moi dénudée, cela l’a énervé. On s’est insulté. Quand je lui ai fait part de ma volonté de porter plainte, il m’a menacée de représailles. J’étais sous son emprise mentale. Il disait avoir en sa possession des photos compromettantes. Il a menacé de s’en prendre à mes enfants. J’ai consacré un chapitre dans mon livre à cette histoire, mais j’ai remplacé le nom de Ramadan par un pseudo.
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Pourquoi porter plainte aujourd’hui ?
C’est la campagne contre le harcèlement sexuel #BalanceTonPorc qui m’a poussée à dévoiler le nom de Ramadan. Je me suis dit : « Qu’est-ce que ces femmes ont de plus que moi ? Je dois aussi dénoncer ce qui m’est arrivé. » J’ai reçu beaucoup d’insultes et de menaces. Soi-disant je voulais faire du buzz. Franchement, j’aurais préféré faire du buzz avec des choses plus positives, être connue autrement. J’ai reçu aussi beaucoup de soutien. Ce qui me donne de la force.
A travers cette plainte contre Ramadan, certains vous reprochent d’attaquer l’islam…
Je me considère comme une femme musulmane. Et j’en suis fière. Une musulmane qui respecte les lois de la République. Je devrais me taire parce que Tariq Ramadan utilise l’islam pour assouvir ses pulsions sexuelles ? Non. Pour lui, soit vous êtes voilée, soit vous êtes violée. Il y a beaucoup de musulmans qui respectent les femmes et les droits à l’égalité entre hommes et femmes. Ce sont eux qu’il faut valoriser. Pas ceux qui instrumentalisent l’islam pour asservir les femmes. On peut porter une jupe et être une femme respectable et respectée.
« Avec lui soit vous êtes voilée, soit vous êtes violée »