La suspension déjà levée de la radio Espace FM par la Haute autorité de la Communication (la HAC) pour publication d’informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité de la nation et la procédure judiciaire engagée contre le Directeur Général du même média pour atteinte à la sécurité nationale, montrent à quel point le choc est désormais vif entre le droit à l’information et les questions de sécurité nationale.
Saisie par Espace FM d’une demande d’annulation de la décision de suspension, la Cour suprême a rejeté la demande pour vice de forme. Le non examen de cette affaire au fond prive le public d’une occasion rare de savoir la démarche qui aurait été celle de la Cour dans le délicat arbitrage entre la liberté de la presse sans laquelle on ne saurait parler de démocratie et les impératifs de sécurité nationale sans lesquels l’anarchie se substitue à l’ordre. Un arrêt de fond de la Cour suprême était d’autant plus attendu que le la Guinée n’a pas encore de jurisprudence connue qui fait tache d’huile en matière du rapport complexe entre les exigences de la sécurité nationale et la liberté de la presse. La confrontation entre ces deux valeurs n’est ni nouvelle ni inhabituelle. Si elle est méconnue dans les régimes dictatoriaux à cause de l’inexistence sinon de l’intolérance en leur sein de la liberté de la presse, les régimes démocratiques ou en voie de démocratisation sont en revanche confrontés à des degrés divers à l’audace des journalistes de susciter le débat autour des questions qui fâchent. Il en est ainsi de celles qui touchent la sécurité nationale et le secret d’État.
La Guinée est dotée des lois qui proclament vivement la liberté de la presse et qui lui fixent des limites. Et la sauvegarde de la sécurité nationale est une de ces limites. Toutefois, les medias, les gouvernements, l’armée et le public ont souvent des perceptions contradictoires des informations qualifiées de confidentielles pour la sécurité nationale. Ce type d’information est en réalité polysémique et prête à controverse.
La mise en balance du droit à l’information du public et du droit à la sécurité nationale est souvent effectuée par les tribunaux. Pour qu’un droit puisse prendre le dessus sur l’autre dans une circonstance donnée, les juges examinent attentivement si derrière la confidentialité alléguée par les gouvernements, ne se cache pas une raison d’Etat, une volonté de maintenir le public dans l’ignorance des informations d’intérêt général dont il doit légitimement avoir connaissance.
Dans l’affaire des « Papiers du Pentagone » aux Etats-Unis, la Cour suprême fut saisie par le gouvernement aux fins d’interdire le journal New York Times de publier en 1971 des milliers de documents confidentiels du département de la défense sur la guerre au Vietnam. Classés Top-secret, ces documents exposaient sur la place publique la stratégie militaire et politique du gouvernement américain au Vietnam. Prenant le contre pied de la position gouvernementale, la Cour a jugé qu’en l’espèce, l’intérêt du public d’en savoir plus sur l’engagement du gouvernement au Vietnam justifiait la publication desdits documents.
Si le droit à l’information l’a emporté sur les impératifs de sécurité nationale dans l’affaire des Papiers du Pentagone, c’est une position inverse qui sera adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Stoll contre la Suisse dans les années 2000. Journaliste suisse, Martin Stoll a publié un rapport confidentiel rédigé par l’ambassadeur de la Suisse aux Etats-Unis à propos de la stratégie de son pays dans le contexte des négociations entre les banques suisses et le Congres juif mondial. Les négociations étaient en lien avec les demandes d’indemnisation des victimes de l’holocauste. Après une première condamnation par les tribunaux suisses, c’était au tour de la CEDEH de juger que la divulgation de ce rapport par le journaliste était de nature à causer un préjudice considérable aux intérêts des autorités suisses.
En plus des journalistes, les extrémistes de la liberté d’expression (les lanceurs d’alerte), font de la divulgation des informations confidentielles et stratégiques des Etats toute une philosophie de vie. Ils sont soutenus par les medias de réputation internationale qui relaient leurs informations mais aussi par des Etats qui ont intérêt à ce que les vulnérabilités de leurs concurrents soient exposées.
Des journaux comme le Monde, New York Times, The Guardian n’ont pas hésité de collaborer avec le site lanceur d’alerte WikiLeaks, dont le fondateur est Julian Assange pour donner une large diffusion à plus de 250 000 documents de la diplomatie et de l’armée américaines, tous classés Top secret.
Les Etats et leurs forces de défense et de sécurité sont aujourd’hui confrontés à d’importants défis sécuritaires au niveau local, régional et international. La sauvegarde adéquate de leurs informations stratégiques sur le plan militaire diplomatique et économique demeure toujours comme dans le passé un excellent moyen de prévention et d’action pour assurer la sécurité de leurs nations. Mais ils devront aussi apprendre à vivre avec des menaces d’exposition de leurs secrets les mieux gardes par les journalistes audacieux qui chercheront toujours à voir si derrière le sceau de confidentialité de certaines informations ne se cache pas une raison d’Etat, avec les lanceurs d’alerte, partisans idéologiques du droit illimité et absolu d’expression sur les secrets d’Etat et avec le développement des technologies intelligentes, capables de pénétrer des systèmes d’informations des Etats pour y soustraire des informations sensibles.
Un pays comme la Guinée n’échappe pas à ces défis et la meilleure façon d’y briser la glace entre l’Etat détenteur d’informations confidentielles pour la sécurité nationale et les journalistes, informateurs du public, consiste à inciter les uns et les autres à descendre des sommets de leurs certitudes pour se regarder a travers de nouvelles paires de lunettes.
Pour y parvenir, une organisation comme la HAC devrait prendre de fortes initiatives et rendre possible un rapprochement entre les medias et les forces de défense et de la sécurité à travers des rencontres de vulgarisation des instruments juridiques nationaux et internationaux qui consacrent la liberté de la presse et ses limites face aux véritables exigences de sécurité nationale.
Le recours à ces moyens préventifs est une garantie efficace contre les abus et la dérive des médias dans le traitement d’informations confidentielles pour la sécurité de l’Etat. Il évite aussi d’en arriver aux mesures extrêmes de suspension des medias et de poursuite des journalistes pour atteinte à la sécurité nationale.