Réalisatrice du documentaire « L’arbre sans fruit » sur les difficultés des femmes qui ne peuvent pas procréer, Aïcha Macky témoigne.
C’est sa 41e récompense. Cette fois, c’est une étoile, celle de la SCAM (Société civile des auteurs multimédias), qui distingue chaque année les 30 meilleurs films documentaires et les auteurs qui brillent par leur « audace » et par leur « courage ». Aïcha Macky, 35 ans, yeux noirs perçants et gestes graciles, ne boude pas son plaisir. Elle est la seule Africaine à figurer dans le palmarès 2017 des étoiles de la SCAM. Sous son long manteau noir, elle porte une tenue traditionnelle blanche ornée de motifs géométriques oranges et verts : les couleurs du Niger. La jeune femme, originaire de Zinder, s’apprête, ce 4 novembre, à aller à la rencontre de son public à l’occasion du festival Les Étoiles de la Scam au Forum des images à Paris, et à se délecter durant deux jours des films documentaires qu’elle a sélectionnés. La liste est longue. « Je ne sais pas comment je vais faire pour tout voir », sourit-elle.
Trois jours plus tôt, au festival de Blitta au Togo, son film L’arbre sans fruit a remporté le prix de l’intégration. Un succès bienvenu pour celle qui s’est emparée d’un sujet tabou dans son pays : l’infertilité. L’arbre sans fruit, c’est ainsi qu’on désigne les femmes sans enfants au Niger. C’est l’histoire d’Aïcha Macky. Mais ce documentaire de 52 minutes est surtout une histoire de femmes, dans un monde où les hommes peinent à endosser leurs responsabilités quand se pose le problème de l’infertilité dans le couple. Le film nous plonge dans l’intimité de ces femmes. Chez le médecin, chez l’imam, en famille, entre amies. Les longs plans durant lesquels elles s’enveloppent de leurs foulards, face caméra, comme elles se regarderaient dans le miroir, sont saisissants. On peut y lire tout le combat pour rester digne, se tenir droite. « J’ai rencontré des femmes qui m’ont dit qu’elles n’arrivaient plus à marcher normalement car elles ne se sentaient plus femmes », raconte Aïcha Macky, qui a mené des entretiens durant trois ans pour écrire son projet. « Quand je vois mes règles arriver, je considère que c’est un avortement », dit l’une d’elles dans le film. « Quand un être meurt sans descendance, on considère que sa vie n’a pas été accomplie », entend-on plus loin. Rencontre sans détour avec Aïcha Macky, jeune réalisatrice prometteuse.
L’Arbre sans fruit est-il votre premier film ?
Aïcha Macky : C’est mon premier film professionnel. Après des études de littérature et de sociologie au Niger, j’ai eu une bourse de la région Rhône-Alpes pour faire un Master 2 de réalisation de documentaire de création à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal. J’avais fait deux films à l’école. Le premier, intitulé Moi et ma maigreur, était un autoportrait. C’était une façon d’interroger la prise de médicaments de rue qui favorisent le gavage. C’est ce que font beaucoup de Nigériennes pour devenir grosses et répondre à la norme sociale. Le second, Savoir faire le lit, était une étude comparative entre le Sénégal et le Niger sur la perception du corps de la femme et sur l’éducation sexuelle transmise par les parents. L’Arbre sans fruit est mon premier film professionnel. Le tournage a commencé en 2016. Je suis la réalisatrice et c’est Julien Bossé qui a filmé. Il m’a beaucoup apporté, car quand on signe son premier film, on a besoin d’un chef opérateur qui fait plus qu’appuyer sur la touche « REC » (enregistrer, NDLR.).
Comment est née l’idée d’un film sur l’infertilité ?
Au début je voulais faire un film sur la mortalité maternelle, sur l’histoire de ma mère. Pendant mes études au Sénégal, j’ai aussi appris qu’une amie était morte en couches. Cela m’a touchée. Et quand je suis rentrée au pays, j’ai senti la pression sociale par rapport à l’enfant qui ne venait pas dans mon couple, après plusieurs années de mariage. C’est ainsi que l’idée du film a évolué.
Vous dites, au début du film, en vous adressant à votre mère : « En donnant la vie, tu as perdu la tienne, et moi, je meurs à petit feu en ne la donnant pas. »
Oui, je vivais une sorte de mort sociale parce que je n’arrivais pas à donner la vie. Donc, j’ai commencé à rencontrer des femmes qui m’ont raconté leur vécu. Je me souviens que l’une d’elles m’a dit : « On est des femmes incertaines ; j’ai perdu de l’assurance même dans mon foyer tellement j’ai honte de moi. » C’est le genre de témoignages qui m’ont marquée. J’ai commencé à écrire sur le regard social posé sur ces femmes. Il y a par exemple une chanson au Niger qui dit qu’une femme qui ne peut pas donner la vie ne mérite pas d’avoir un foyer.
C’est une situation qui détonne dans un pays comme le Niger, où le taux de fécondité est très élevé.
Quand vous voyez qu’il y a 7,6 enfants par femme au Niger, c’est un paradoxe. On se dit qu’il suffit presque de toucher les femmes pour qu’elles soient enceintes. Au Niger, vous allez trouver des femmes qui ont jusqu’à 18, voire 20 enfants. Cela existe. Donc, c’est incompréhensible pour la société que certaines femmes ne parviennent pas à procréer. Et souvent, c’est perçu comme étant tout simplement un refus de leur part. Surtout si ce sont des femmes dites « intellectuelles » qui sont concernées, ou des femmes qui travaillent.
Une femme qui n’a pas d’enfant n’est-elle pas dans la norme ?
Non, en effet. Quand j’expliquais que je n’avais pas d’enfant après cinq ans de mariage, on me posait beaucoup de questions. C’est difficile car on rentre dans ton intimité. On me dit par exemple que c’est à cause de mon métier, ou on me reproche de vouloir faire comme les Occidentales. Parfois les gens me disent aussi : « Tu ne veux pas avoir d’enfants pour ne pas grossir et garder la ligne. » Donc ce film, c’est un carnet de vie mais je me suis aussi inspirée du vécu d’autres femmes, dont la parole est enfouie. À travers ma situation personnelle, je pouvais mettre en lumière cette situation inconfortable, et évoquer plus largement la question de la condition féminine.
À quoi s’exposent les femmes qui ne parviennent pas à avoir d’enfants au Niger ?
Elles s’exposent à la réprobation sociale, à la répudiation, au divorce… Sur le plan personnel, elles perdent confiance en elles. Ce sont des témoignages que j’ai souvent entendus. Moi-même, à un moment donné, j’étais complètement recroquevillée, repliée sur moi-même. Les couples sont très fragilisés. Certains parviennent à résister à la pression sociale, mais c’est rare. Le plus souvent, l’homme devra prendre une deuxième, une troisième ou une quatrième épouse. Mais il n’y a pas vraiment de remise en question au sein du couple. C’est toujours à cause de la femme que l’enfant ne vient pas. L’infertilité se conjugue au féminin.
À travers ce film, j’ai voulu essayer de changer le regard, en me tournant vers des scientifiques, des religieux. On voit que bien souvent, il est plus facile de demander à un homme d’attraper un lion ou de décrocher la lune que d’aller faire un spermogramme. Un médecin explique dans le film que pour la plupart des hommes nigériens, une simple érection suffit à justifier qu’ils sont puissants, et qu’ils n’ont pas de problème de fécondité.
Des Nigériens se tournent-ils vers la procréation médicale assistée ?
Quand on m’a offert un livre du Dr René Frydman (médecin français spécialiste de la médecine de la reproduction, NDLR), je m’y suis accrochée. On peut y trouver à travers certains témoignages des happy ends, des histoires qui finissent par s’arranger. Mais les traitements qui relèvent de la procréation médicale assistée doivent se pratiquer à l’extérieur, et ça coûte très cher. Et puis au niveau culturel et politique, c’est compliqué, il y a des blocages.
Au niveau de l’État, l’infertilité n’est pas considérée comme une maladie, donc il ne peut y avoir de prise en charge de médicaments, par exemple pour favoriser l’ovulation chez la femme. Et puis par rapport à d’autres problèmes de santé, cette question n’est pas prioritaire. Au niveau religieux, la fécondation in vitro n’est pas interdite dans l’islam parce que c’est juste une assistance à la procréation. En revanche, le don de gamètes n’est pas autorisé.
La réalisation de ce film vous a-t-elle aidée personnellement ?
C’est un travail qui m’a permis de guérir. Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, il y a trois ans, c’était très intense. J’attendais un enfant avec tant d’impatience. J’avais presque tout acheté, jusqu’au biberon. J’allais au marché pour m’acheter un parfum et je revenais avec une robe pour fillette, des barrettes… Il ne me manquait que le berceau !
Quand j’ai rencontré toutes ces femmes qui m’ont expliqué ce qu’elles vivaient, ça m’a réconfortée. Quand je pleurais, on me disait : « Ne t’inquiète pas, ça va passer, ce sera moins dur après. » Et quand je vais présenter mon film dans des pays étrangers, je suis surprise : beaucoup de femmes viennent me voir pour partager leurs expériences. Je suis devenue comme une oreille amie, parfois je me demande même si je ne suis pas en train de devenir une conseillère matrimoniale ! Mon film part du singulier mais va finalement vers le général, et touche de nombreuses femmes à travers le monde.
Source : afrique.lepoint.fr