Depuis quinze ans que j’exerce le métier de journaliste, je ne me suis jamais senti une âme aussi équivoque que ce 27 novembre 2017. En apprenant ce lundi, à 11h20, que la radio BTA FM de Labé, a été fermée sur ordre du Gouverneur de la région administrative du même nom, mon sang a fait un tour dans mes veines. Ainsi, la preuve est administrée que la parole présidentielle, la menace d’Alpha Condé donc, est prééminente, et éclipse avec un mépris souverain la Constitution et les autres lois de la République.
Oui, la première radio qui commettrait le crime de lèse-Excellence, en donnant la parole au syndicaliste Aboubacar Soumah, se verrait enfoncer les derniers clous dans son cercueil. Oui, la force aveugle et l’hystérie du pouvoir viennent de nous rappeler que nos libertés acquises peuvent nous être confisquées, sur injonction et avec la baraka, de celui qui, ironie de l’histoire, avait réussi le tour de passe-passe politique, de se parer des plus beaux habits de promoteur de ces libertés, une fois le trône occupé.
Ce matin du 27 novembre 2017, comme jamais depuis 15 ans d’exercice quotidien de mon métier, j’ai mon âme lacérée, submergée par une douleur intense, et en palpitation au gré des vagues d’inquiétudes qui me parviennent de ma famille professionnelle. Jeunes, anciens et doyens de la presse guinéenne, sont frappés au moral et au cœur avec l’épée d’un ancien prisonnier, pour la liberté de qui, tant d’encre aura coulé, tant de papiers noircis.
Pourtant, je me surprends à comprendre, hélas, que la menace n’avait jamais été si loin. Le Fama national ne s’en était-il pas ouvert tant de fois, à intervalles de sorties acrimonieuses contre la presse guinéenne, dont il découvrit soudain, après un long sommeil, qu’elle n’était pas et qu’elle n’aurait peut-être jamais été professionnelle.
L’opposant historique, ne regarde donc plus les télévisions, n’écoute donc plus les radios et ne lit donc plus les journaux, avec les mêmes yeux, les mêmes oreilles et les mêmes lunettes.
Oublié donc le temps où ses tribunes de célèbre pensionnaire de la prison centrale de Conakry, se retrouvaient dans les colonnes de cette presse dont les acteurs sont réduits aujourd’hui à de simples caqueteurs, voire de drôles de volailles recluses sur leurs œufs tragiquement inféconds.
Et pourtant, nous en fument prévenus, à la lumière certes blafarde, mais à la lumière quand même des réquisitoires récurrents pour ‘’manque de professionnalisme’’, balancés à nos figures perdues et éperdues, de journalistes qui ne font pourtant que leur travail dans un environnement hostile, parfois par nature et souvent par artifice. Oui, parce que des hommes et des femmes, un régime, un gouvernement, voudraient enfermer cette presse dans un corridor de misère infecte.
Et nous y voilà donc. Le Fama national a sonné l’hallali. Mais, convenons-en, de ce holà présidentiel, la démocratie aurait bien pu se passer, au pays, s’il vous plaît, du président en exercice de l’Union Afrique. Avec l’arrestation et la détention arbitraires du Coordinateur général du Groupe Gangan ; le passage à tabac d’une vingtaine de journalistes et la destruction du matériel d’une trentaine d’autres d’entre eux par des gendarmes ; la suspension durant sept jours d’Espace FM ; le procès programmé du Directeur d’Espace TV ; nous nous étions, un tantinet, mis à espérer, un dégel et peut-être même un essoufflement soudain, de la machine répressive actionnée près d’un mois. La grève syndicale en cours vient de servir de sordide prétexte à un autre brusque tour de vis à la liberté de presse.
Mais, aujourd’hui, à présent, et pour longtemps d’ailleurs, je découvre que je me suis fait prendre les pieds dans une nasse de naïveté. Qui, à ma décharge, était dictée voire commandée par l’espoir que l’actuel président de la République, aurait pu se rappeler que les quatre décennies de lutte démocratique qu’il revendique urbi et orbi, perdraient leur sens, s’il se mettait à l’opposé de la liberté de la presse.
Encore que c’est sous son prédécesseur feu Lansana Conté, que cette liberté a vu ses fonts baptismaux posés, ses piliers de soutènement coulés et son édifice érigé. Grâce à la truelle intelligente et persévérante d’hommes et de femmes de plume, qui le crurent à jamais de leur côté. Tel ne serait donc pas le cas. Tel n’aurait donc jamais dû être le cas.
En définitive, je suis enclin à penser que le volcan sur lequel nous dormions jusque-là vient d’entrer en ébullition. Mais, même quand l’artillerie du volcan présidentiel aura tout ravagé sur le paysage médiatique guinéen, la voix de la liberté résonnera distinctement dans les détritus de ce qui restera de la liberté de la presse.
Talibé Barry, journaliste