Nous avons posé des questions à Saliou Samb, journaliste et correspondant de l’agence de presse britannique Reuters, au sujet des difficultés qui secouent la presse guinéenne depuis quelques temps. C’est l’avis d’un homme d’expérience qui se dit peiné par ce qui se passe en ce moment.
Quelle est votre opinion par rapport aux difficultés que connaît la presse depuis l’affaire Gangan TV ?
Saliou Samb : Je constate qu’un banal hommage rendu à un journaliste disparu a été suivi de messages enflammés diffusés sur les réseaux sociaux annonçant faussement la mort du président de la République. Pour ne rien arranger, le contenu d’une lettre anonyme évoquant des questions militaires, donc délicates à traiter, a fait beaucoup plus de mal que de bien à une presse qui doit lutter au quotidien pour sa liberté. Ces deux cas rappellent les difficultés d’exercer le métier de journaliste dans un contexte aussi bien volatile qu’empreint de susceptibilités. En dépit de la pression que les journalistes eux-mêmes ont tenté de mettre sur les pandores qui ont (trop) vite fait de se saisir des dossiers, il faut cependant reconnaître que la presse n’avait aucunement besoin de telles bourdes pour se donner de la consistance.
Pourquoi vous parlez de bourdes ?
Dans le cas de Gangan TV, le fait notable est que les propos en langue soussou du défunt Alsény Duplex Sylla pouvaient prêter à confusion pour un auditeur qui ne disposait pas de tous les éléments de background pour être capable de se situer dans le contexte. Car il est prouvé aujourd’hui que l’émission de Duplex datait de… 2016. Dans cette affaire, la bonne foi du Directeur général du groupe Gangan Aboubacar Camara pouvait être facilement prouvée par une simple mise au point, après l’emballement des réseaux sociaux. En dépit des notes d’encouragements, des prises de position de professionnels reconnus, le cas d’Espace FM est à notre sens beaucoup plus difficile à défendre. La faute professionnelle de Moussa Moïse Sylla est d’avoir pris le risque de lire à l’antenne des allégations péremptoires sans s’entourer des précautions de base. Dans la mesure où il a décidé de diffuser le contenu d’un document touchant à la défense nationale, le journaliste d’Espace FM n’ayant pas les connaissances suffisantes pour juger par exemple de l’état des équipements militaires ou du fonctionnement de l’armée guinéenne.
Il aurait dû au moins prendre contact avec l’état major de l’armée ou tout au moins recourir à un spécialiste des questions militaires. Contourner cette règle professionnelle l’expose dangereusement à une sanction et au-delà de sa personne son support médiatique. Les journalistes d’expérience savent tous que les informations brutes doivent être traitées avant d’être diffusées en fonction de leur niveau de crédibilité, après recoupement, et surtout après que celui qui doit endosser la responsabilité de leur diffusion fasse tous les efforts nécessaires pour juger de leur sérieux. C’est la meilleure manière de prouver sa bonne foi.
Que faut-il faire à votre avis ?
Il faut surtout éviter de s’enfermer, de faire du « juridisme » plat, alors que les choses auraient pu se dérouler autrement. Il ne faut pas être naïf, la presse n’a pas besoin de ce type de combat exténuant et inutile. Le journaliste doit avoir un sens élevé des réalités. La presse est beaucoup forte quand elle comprend que toute information doit être traitée avec le maximum de sérieux ; avec la lucidité, la froideur et l’honnêteté requises. Tant qu’on ne détient pas les preuves de ce que l’on veut avancer, il faut attendre le bon moment. Si on fait l’erreur d’oublier ce préalable, toutes les personnes qui, pour une raison ou pour une autre, trouvent la presse gênante vont se liguer contre elle pour la combattre, même de manière déloyale. Cela ne veut pas dire qu’elles vont réussir, loin s’en faut, car la presse en a vu d’autres et a toujours été capable de surmonter ses difficultés. Mais encore une fois, il faut que les journalistes évitent de tomber dans le piège de la facilité car ce métier peut agir malheureusement comme un couteau à double tranchant.
Source: Mediaguinee
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