Candidate à la présidentielle de 2015, Marie Madeleine Dioubaté est aussi une femme de développement. Loin du pays, elle suit de très près la situation socio-politique en Guinée. Apparemment, elle en sait beaucoup de choses. Elle a décidé d’ouvrir son cœur à Mediaguinee sur les coupures de courant en cours à Conakry et dans le reste du pays. Non sans signaler la corruption bien planifiée qui entoure la desserte en électricité. Explosif…
Mediaguinee : Conakry enregistre ces derniers jours d’importantes coupures de courant. Pourquoi selon vous, malgré le barrage de Kaléta, ces délestages ont sitôt commencé ?
Marie Madeleine Dioubaté : Hormis le fait que la construction de bassin de rétention d’eau n’a pas été planifiée lors de la construction du barrage de Kaléta pour conserver par exemple les eaux de pluies pour alimenter le barrage en saison sèche, le déboisement massif, le réseau électrique guinéen souffre d’une mauvaise maintenance et de l’incapacité du gouvernement à mettre en place un plan pour développer le secteur de l’énergie.
L’Etat passe des commandes de fioul pour alimenter les centrales thermiques, et certaines personnes y tirent un profit puisqu’elles négocient des commissions sur les bateaux de fioul, les transfos, les pièces détachées à remplacer. En somme, un vrai business qui peut rapporter gros
De ce fait, le pays subit des coupures d’électricité récurrentes, certains quartiers de la capitale sont ainsi privés d’électricité depuis plus d’une semaine et ce n’est pas une nouveauté.
Cette situation affecte tout le monde, les ménages, les entreprises et elle représente un réel frein au développement national.
Pour éviter des tensions avec la population, le gouvernement est obligé de travailler dans l’urgence et fournir rapidement de l’énergie à partir de centrales thermiques, ce qui fait les affaires de certains petits malins.
Schématiquement, une centrale thermique est un gros groupe alimenté à partir de carburant, de fioul en l’occurrence. L’Etat passe donc des commandes de fioul [mazout] pour alimenter les centrales thermiques, et certaines personnes y tirent un profit puisqu’elles négocient des commissions sur les bateaux de fioul, les transfos, les pièces détachées à remplacer. En somme, un vrai business qui peut rapporter gros. Alors pourquoi se casser la tête pour trouver des solutions durables à la crise énergétique dans le pays ?
Il y a une inconscience, un manque de patriotisme de certains responsables de la classe politique et un manque de considération pour le peuple.
Face à ce problème qui n’a que trop duré, aucune solution radicale n’a été prise ni même envisagée.
L’importation massive de carburant ainsi que le trafic de ce carburant très coûteuse pour l’Etat peut continuer en toute impunité. Ainsi en 2017, la production d’électricité d’origine thermique a représenté 50% de la production totale, et cette part devrait passer à environ 60% de janvier 2018 à juin 2018 car il faut fournir de l’électricité en urgence, ce qui fera encore les affaires de certains.
Le gouvernement guinéen a énuméré beaucoup de difficultés dont le faible prix du Kwh en Guinée. Croyez-vous-en ce que dit ce gouvernement ?
Faisons un petit tour d’horizon des tarifs d’électricité pratiqués en Guinée et chez nos voisins.
D’abord en Guinée, le prix du KWh produit par une centrale thermique en Guinée peut atteindre 3 627 GNF soit 40 cts de USD contre 956 GNF soit 10 cts de USD pour la production de Kaléta. L’Etat revend l’électricité à un prix moyen de 946 GNF soit 9,90 cts de USD.
Il est vrai que le coût du KWH en Guinée est moins cher que celui pratiqué chez nos voisins. Mais son faible coût n’explique pas la faillite du secteur de l’énergie en Guinée puisqu’en Asie, le coût du KWH est 4 fois moins cher que celui pratiqué sur notre continent
Au Sénégal, le prix moyen de l’électricité est de 10,80 cts de USD, au Mali également. En Côte d’Ivoire, le prix moyen de l’électricité est de 12 cts de USD et le tarif social de 10,80 cts de USD.
Il est donc vrai que le coût du KWH en Guinée est moins cher que celui pratiqué chez nos voisins. Mais son faible coût n’explique pas la faillite du secteur de l’énergie en Guinée puisqu’en Asie, le coût du KWH est 4 fois moins cher que celui pratiqué sur notre continent.
Dans la réalité, les populations paient plus cher le prix kWh car les factures sont souvent fantaisistes et n’ont rien à voir avec la consommation réelle. Le gouvernement a décidé de mettre des compteurs dans tous les foyers. C’est une très bonne chose mais à condition que l’on ne branche pas son ou ses voisins sur le compteur et que les redevances des factures d’électricité rentrent bien dans les caisses du trésor public.
Dans le cas de la Guinée, de nombreux défis se dressent face à l’objectif de satisfaire les besoins énergétiques résiduels, institutionnels, commerciaux et industriels. Les questions d’accessibilité, de disponibilité, de qualité et le coût de l’énergie doivent être sérieusement posées et examinées ainsi que les options d’intégration des énergies renouvelables autant que possible à la politique énergétique de notre pays.
Penser à arrêter les importations massives de fioul pour alimenter les centrales thermiques…
D’autre part, il faudrait avoir des politiques énergétiques beaucoup plus ambitieuses. La taille de notre réseau électrique ne nous permet pas de faire des économies d’échelles en matière d’exploitation et de nombre de consommateurs, il faut développer la coopération sous-régionale et construire des réseaux d’interconnexions électriques avec nos voisins, ce qui permettrait d’alléger les tarifs. Il faut avoir recours à des micro-barrages et des plus grands barrages hydroélectrique bien pensés (Fomi est le contre-exemple), qui permettraient de produire de l’électricité à des tarifs concurrentiels, et travailler sur les autres sources d’énergies renouvelables.
Enfin, nous connaissons tous les problèmes inhérents au manque d’électricité dans notre pays, le manque de ressources financières et de vision, le frein au développement, la corruption, le cadre légal inadéquat, un personnel technique insuffisant et souvent mal formé, corrompu, ingérence politique, l’instabilité sociale et aussi le fait que les Guinéens ne sont pas habitués à payer leurs factures d’électricité. Une feuille de route pour le développement durable des énergies renouvelables doit être élaborée parallèlement aux options conventionnelles d’énergie.
Penser à arrêter les importations massives de fioul pour alimenter les centrales thermiques d’autant plus que nous n’avons pas d’usine de raffinerie de pétrole, et que ces importations pèsent lourdement sur le budget de l’Etat et sur notre balance commerciale.
Vous avez été l’une des premières personnes à dire que Kaléta serait un fiasco. On vous a jeté la pierre. Et, aujourd’hui quel est votre sentiment ?
J’ai été effectivement l’une des premières personnes à dénoncer le fait que le barrage de Kaléta pourrait ne pas fonctionner compte tenu du délai d’exécution. Le barrage de Kaléta devait être construit en un temps record afin que le Président de la République [Alpha Condé, ndlr] puisse présenter un bilan positif de son action. Or, pour un ouvrage de cette taille, il faut 5 à 7 ans.
Le gouvernement aurait dû diligenter une enquête pour situer les responsabilités de l’échec de Kaléta, et poursuivre les responsables de cet échec et faire la lumière sur les surfacturations de la construction de l’ouvrage
J’appelle une fois de plus les Guinéens à la vigilance, car le gouvernement souhaite construire un nouveau barrage à Souapiti qui sera construit également sur le fleuve Konkouré et qui a fait l’objet d’un programme d’aménagement incluant la construction de 4 barrages de Garafiri, Kaléta déjà construits, et tous les deux ne sont pas à la hauteur des résultats attendus et il reste la construction des barrages de Souapiti et Amaria.
Il faut veiller à ce que les échecs de Garafiri et Kaléta ne se reproduisent pas pour Souapiti, car le gouvernement n’a pas fait son travail en ce qui concerne l’échec de Kaléta. Il aurait dû diligenter une enquête pour situer les responsabilités de l’échec de Kaléta, et poursuivre les responsables de cet échec et faire la lumière sur les surfacturations de la construction de l’ouvrage.
Et encore pour Souapiti, le délai d’exécution a aussi été réduit pour des rasions inavouées. La fin des travaux initialement prévue pour 2020 a été ramenée à 2019, alors que le 2è et dernier mandat du président Alpha Condé prend fin en 2020.
Il ne faudrait pas que la construction de Souapiti serve de prétexte pour surfacturer et décaisser à nouveau des fonds en sachant très bien que dans de telles conditions le barrage ne fonctionnera pas.
Ce sont tous les citoyens guinéens qui devront passer à la caisse pour rembourser les emprunts effectués pour réaliser la construction de barrages qui ne fonctionnent pas comme escomptés. Il faudrait maintenant que la réalisation de Souapiti soit une réussite !
Propos recueillis par Mamadou Savané
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