Dixinn, c’est dans ce quartier populaire de la ville de Conakry qu’est née cette icône de l’entrepreneuriat féminin guinéen. Il s’agit de Kadija BAH. Mariée et mère d’une fille, cette femme est fascinante dans son courage et dans son intelligence.Timide et persévérante dans l’âme, Kadija BAH a cherché très tôt à être indépendante et utile à la société guinéenne. Dès lors, elle a cherché à acquérir les compétences nécessaires pour matérialiser cette envie. Après ses études universitaires en Guinée, Kadija BAH a eu la soif d’apprendre davantage ; c’est ainsi qu’elle s’est aventurée, d’abord en France où elle a fait des études en communication et ensuite au Canada. Là, elle poursuit ses études et travaille en même temps. Aujourd’hui, au bout de longues années de labeur et de courage, Kadija BAH est la Directrice d’Exploitation des cinq bluezones de la Guinée et PDG de l’entreprise Ladies In Management.
Parlez-nous de la petite Kadija BAH.
J’ai passé une enfance très riche. Je viens d’une famille modeste de cinq enfants dont je suis la troisième. J’ai toujours eu l’impression d’être l’équilibre de ma famille. Par mon signe, j’ai été une enfant adulte responsable très tôt. À cet âge, j’aimais beaucoup la lecture. Je passais tout mon temps à lire et à étudier. C’était cela d’ailleurs ma priorité.
Par quel comportement, on vous reconnaissait à cette époque ?
Bavarde… !
Parlez-nous de Kadija BAH à l’âge de 18 ans.
Juste une parenthèse : les héroïnes de mes romans favoris parlaient toujours de l’âge de 18 ans. Donc, moi je me suis réservée en attendant cet âge adulte. À partir du moment où j’ai eu 18 ans, ça été la libération. Je me suis sentie poussée des ailes. Et là, j’ai tout essayé dans le sens professionnel. Je n’ai pas été du tout une adolescente canaille. Je me rappelle bien, mon premier copain, je l’ai eu à 18 ans, parce que j’attendais d’être adulte. Après, je n’en ai pas aligné des dizaines non plus.
Durant mon adolescence, je me suis donnée une liberté dans le sens où j’ai commencé à entreprendre et là, j’ai voulu être indépendante.
Quel était votre rêve à cette période ?
Pendant ma petite enfance, je voulais devenir chirurgienne et justement, j’ai fait des études dans ce sens. Entre temps, je me suis découverte cette âme d’artiste et j’ai commencé à faire du théâtre. Après, il y a eu ce questionnement ; me demander finalement, est-ce qu’il faut faire la médecine ou aller vers les sciences de la communication, et continuer dans l’art ?
Votre parcours scolaire et universitaire, où et comment l’avez-vous passé ?
J’ai passé tout mon cycle scolaire et universitaire en Guinée. C’est après mes études universitaires que je suis allée en France et au Canada pour me former davantage.
À quel moment avez-vous su ce que vous devriez faire de votre vie ?
Très tôt ! La seule chose que je savais depuis mon adolescence est que je voulais être indépendante et utile à la société.
Racontez-nous votre parcours professionnel
Mon parcours professionnel est divisé en trois étapes. La première en Guinée, la deuxième en France et au Canada et la dernière mon retour en Guinée.
Pour la première étape, durant les dix ans que j’ai passés en Guinée, j’ai consacré tout mon temps à entreprendre. J’ai créé plusieurs entreprises ; j’avais mon kiosque de vente de Coca Cola et parallèlement, j’organisais d’autres activités culturelles.
La deuxième étape concerne mon séjour à l’étranger. La soif de faire des études en communication m’a conduite en France. Là, j’ai passé 2 ans avant d’aller au Canada. Au Canada, j’ai également créé une maison de production audiovisuelle appelée : ‘‘Noir sur Blanc’’.
La dernière étape de mon parcours professionnel a été marquée par mon retour en Guinée en 2011. Et là, j’ai continué dans l’entrepreneuriat et relancer mon agence ‘‘Ladies In Management ’’.C’est avec elle que j’ai commencé la production de mon émission TV.
Au-delà de votre nom, qui êtes-vous ?
Je suis une personne timide, même si ça ne parait pas, et persévérante, qui aime la justice.
Comment la passion de l’entrepreneuriat est née en vous ?
C’est la volonté d’être indépendante et le fait d’être née dans un pays où tout est à faire. Chaque fois que je regarde autour de moi, j’ai au moins une dizaine d’idées d’entreprises pour résoudre les problèmes de la société.
Qu’est-ce qui vous a poussé à rentrer en Guinée pour entreprendre ?
L’objectif était connu dès le départ. Je voulais partir pour apprendre. Malheureusement, ce que l’école guinéenne m’a donné n’était pas suffisant. Donc je suis partie pour m’améliorer et venir partager en Guinée les expériences que j’ai acquises.
Quelles sont les difficultés rencontrées durant vos débuts dans le monde entrepreneurial ?
C’est d’abord le manque d’expérience, en suite les concurrences. Mais grâce aux soutiens que j’ai reçus de la part de certaines femmes d’entreprises, je les ai surmontées. Donc, j’ai eu beaucoup plus d’opportunités que de difficultés.
Après vos études universitaires, vous créiez plus tard l’agence de développement « Ladies In Management » pour promouvoir les jeunes femmes. Parlez-nous de cette entité.
Cette entreprise a été créée pour résoudre les problèmes de société. En tant que jeune femme, j’avais envie d’avoir une place dans cette société guinéenne qui ne donnait pas forcément de la place aux femmes. C’est là où je me suis organisée avec des amies pour créer une entité qui nous ressemblait et pour montrer que les femmes peuvent quelque chose dans le monde du business.
Ladies In Management est une entreprise qui évolue dans les domaines de la communication, du marketing et la production audiovisuelle. À travers cette agence, j’ai réalisé beaucoup de films de sensibilisation et de divertissement en partenariat avec certaines institutions de la place.
Cette agence a produit de nombreux films de sensibilisation notamment ‘’Les épouses’’ qui, sera diffusé sur toutes les télévisions subsahariennes francophones et connaîtra un succès mondial. Quel a été le secret de la réussite de cette production artistique ?
La passion ! La passion ! Nous étions des jeunes passionnés, qui voulions faire quelque chose. On ne regardait pas les moyens, le temps non plus. Tout ce qui était important, c’était de réaliser un rêve.
En 2011, de retour en Guinée, vous avez produit et présenté le programme Kadija Show. Une émission TV, présentant des histoires de réussites inspirantes de jeunes guinéens et diffusée par la télévision nationale. Partant de quel constat vous l’aviez initiée ?
Lorsque je suis rentrée en Guinée 2011, j’ai senti qu’il y avait une énergie, mais beaucoup de négativités auprès des jeunes. Tout le temps, il y avait des plaintes d’insatisfaction, personne n’était satisfait de ce qui se passait. Pourtant, dans cette insatisfaction, il y avait des gens qui avaient réussi. Donc il fallait célébrer le succès et donner la chance aux gens de rêver en leur montrant ces quelques réussites.
Lequel de vos projets a eu d’impacts sur la vie des Guinéens ?
Je dirais les bluezones. C’est un projet que j’ai accompagné même si ce n’est pas moi qui l’ai signé, mais ses impacts sont énormes. Cinq bluezones à Conakry pour permettre aux jeunes de se récréer et réfléchir, c’est vraiment une grande chose.
Depuis 2014, vous assurez la fonction de Directrice d’Exploitation des cinq bluezones de la Guinée. Comment êtes-vous arrivée là ?
Honnêtement, c’est du pur hasard. Quand je suis rentrée, mon objectif était de travailler à mon propre compte, mais j’ai eu cette envie de faire une pause pour mieux observer et me préparer. C’est ainsi que j’ai saisi une opportunité où le groupe Bolloré cherchait à recruter un Responsable de communication et de développement durable. J’ai été recrutée à ce poste. À l’époque, j’avais rencontré avec mon ami Souleymane KOLY, paix à son âme, le Directeur Pays de Bolloré pour lui parler de notre projet de réhabilitation de cette cité qui abrite aujourd’hui la bluezone de Kaloum, au paravent l’ancienne gare. C’était un projet colossal qui demandait un grand financement et c’est dans ce cadre que nous sommes allés vers Bolloré pour nous sponsoriser. Quand le projet de construction des bluezones est venu, mon patron n’a pas hésité et m’a dit « voilà enfin ! La possibilité pour toi de réaliser ton rêve ».
Après 4 ans à ce poste, quel est le bilan de votre gestion ?
Aujourd’hui, j’ai un bilan positif au niveau de la gestion. La chose dont je suis la plus fière, c’est le développement personnel que j’ai pu apporter. Actuellement, j’ai une équipe qui est complètement autonome et composée de jeunes qui sont pour la plupart à leur première expérience, mais qui arrivent à gérer chacun une bluezone. Donc aujourd’hui, mon bilan, c’est surtout ce développement humain que j’ai réussi.
Kadija BAH : femme d’entreprise, femme de ménage, femme de théâtre et de média. Comment parvenez-vous concilier tout cela ?
C’est de l’organisation. Je définis sur une liste tout ce que je dois faire dans la journée et chaque matin, je regarde ma check-list pour voir ce qui a été fait. Donc à travers une bonne organisation et la passion surtout, j’arrive à assumer tout cela.
En 2015, vous bénéficiiez le Prix du ‘’meilleur espoir féminin’’ de Gnouma magazine. Selon vous, cette distinction résulte de quoi ?
Ça été une distinction dont j’ai été fière pour la simple raison que ça été un vote public. Je pense bien que ce prix a été le résultat de beaucoup d’années de labeur.
Quel a été le secret de votre réussite ?
C’est la passion et la persévérance.
Qui est votre personne de référence ?
Il en y a plusieurs. Comme je vous ai dit, j’ai grandi dans un milieu où il y avait beaucoup de femmes qui m’ont inspirée. Pour la Guinée, ce sont ces femmes entrepreneures et responsables d’associations.
Le temps que j’ai vécu à l’occident, m’a permis de découvrir d’autres personnages. C’est par exemple Oprah Winfrey qui m’inspire beaucoup. Son honnêteté et la justice dont elle fait preuve dans tout ce qu’elle fait me poussent à lui ressembler.
Quelles sont vos ambitions ?
Mes ambitions sont tout ce qui va dans le développement de ce pays.
Quel message avez-vous à livrer aux femmes et filles africaines ?
C’est de continuer à être ce qu’elles sont, rompre avec l’idée qui dit que la femme a un destin de second plan et de savoir qu’en regardant tout ce qu’elles abattent comme travail, qu’elles restent les plus fortes au monde.
Vos mots de la fin.
Merci de m’avoir accordé cette interview et j’espère que mon histoire va inspirer d’autres personnes. Je termine en disant aux jeunes, qu’il y a un jargon américain qui dit : « the sky is the limit » (il n’y a pas de limites). Donc tant qu’on peut, on y arrive. Il faut juste foncer et ne pas penser que notre avenir dépend de quelqu’un, mais de nous.
Naby Yaya CAMARA