« A un moment donné, grâce à notre art, nous faisons le travail de l’Etat »
. « Je n’en veux pas au Président »
Dolo Adama, plus connu sous le pseudo d’Adama Dahico est un célèbre humoriste ivoirien qui monnaie son immense talent en Afrique et auprès des africains de la diaspora. En 2003, il initie le Festival International du Rire d’Abidjan (Fira). Mais la crise post-électoral de 2010 freine l’élan de cette initiative. Après 7 ans de pause, Dahico, le premier artiste candidat à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire, remet le couvert. Alors les 3, 4 et 5 août 2018, se tiendra à Abidjan, la 9ème édition du Fira. La reprise. Mais avant la conférence de presse qu’il a prononcé le 25 juillet 2018, il s’est confié à nous sans langue de bois. Entretien.
Président, il y a longtemps on ne vous voit plus. Où vous cachez vous ?
(Rire). Effectivement, celui qui ne m’a pas encore cherché, trouve que je suis caché. Mais on est là, on travaille ; on cherche, on fouine… On est maintenant prêt pour se « décacher ». C’est-à-dire qu’on va sortir maintenant de notre cachette avec de très bons produits que les gens attendent de nous.
La dernière fois qu’on vous a vu, c’était au Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan (Masa). Mais avant le Masa, où étiez-vous et que faisiez-vous ?
Nous étions dans la place, pour parler comme les « bramôgôs », les jeunes du ghetto… Nous étions régulièrement dans des festivals à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. On a parcouru les pays de la sous-région. On a participé au « Marrakech du rire » au Maroc, on a fait « ciné droit libre » à Ouaga ; on a été à des festivals à Dakar (Sénégal), Bamako (Mali), lumumbachi et Kinshasa (RDC), Brazzaville (Congo), Conakry (Guinée)…Bref, on a beaucoup tourné. Nous avons travaillé où on a pu produire notre quatrième livre « Eh dja ma vieille » ! Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler sur le cinquième livre qui sort bientôt intitulé : « Je veux gouverner la France pour mieux comprendre l’Afrique ». Avec des recherches accomplies sur un nouveau concept qu’on appelle le « Youroukou ».
Qu’est-ce que le « youroukou » ?
Le « Youroukou », c’est dans une langue africaine qu’on appelle « Dogon ». C’est un renard, un animal « divinatoire » qui prédit les évènements. Mais notre « youroukou » ici, va expliquer avec des chiffres et des lettres, un évènement qui s’est produit. Je vais vous donner un exemple d’un évènement qui s’est produit il n’y a pas longtemps. (Il nous donne l’exemple du « Youroukou »).
Prenons le mondial 2018. Didier Deschamps est l’entraineur de l’équipe de France ; « Didier Deschamps », ça fait 15 lettres. La finale de la coupe du monde a été jouée le 15 (juillet). « Didier » commence par la lettre « D », quatrième lettre de l’alphabet. Et « Deschamps » commence aussi par « D », quatrième lettre de l’alphabet ; donc 4+4= 8. Et pourquoi 8 ? Parce que 1998 finit par 8. Et à cette époque Didier Deschamps était capitaine. « Capitaine » commence par « C », 3ème lettre de l’alphabet. Et en 2018 qui finit par « 8 », Didier Deschamps est entraineur. Or « entraineur » commence par la lettre « E ». Donc 5+3=8 (Rire). (Il va plus loin).
Quand vous prenez « D-D » de Didier Deschamps qui vous donne 8. Et 1998 finit par 8, 2018 aussi par un 8. 8×3 est égale à 24 ; or quand on met un tiret entre le 2 et le 4, on a le score du match de la finale Croatie-France : 2-4. Nous avons fait des recherches et quand nous faisons des spectacles aujourd’hui, nous y ajoutons le « youroukou ».
(Il nous donne plusieurs autres exemples dont celui de Mamoudou Gassama, Kyllian Mbappé… disponible dans son prochain livre).
Pour ceux qui ne sont pas habitués à cette forme intellectuelle d’humour, n’est-ce pas une pilule difficile à avaler ?
En spectacle, quand il est joué, il demande un moment d’attention et d’écoute. Nous ne voulons pas faire une sélection en terme de public. Mais c’est pour attirer l’attention du public sur un artiste en prestation. On le joue avec des images pour que les gens perçoivent. Mais si vous êtes quelqu’un de distrait, vous ne pouvez pas suivre… Dans notre livre qui sort, il y a une rubrique destinée au « youroukou » à travers des chiffres et des lettres… D’une manière plaisante, nous essayons de rendre le « youroukou » accessible. Sinon, le « youroukou », c’est pour les initiés. Quand je parle d’initiés, c’est pour les gens qui sont dans l’humour. Parce que l’humour, c’est aussi des codes.
N’est-ce pas difficile cette pratique ?
Non, la difficulté se trouve au niveau de la recherche. Moi, je vous dis ça simplement mais ça nécessite un temps de travail et de calme. (Il nous donne un autre exemple).
Quand c’est africain qui a cette trouvaille, ça fait beaucoup de polémiques. On lui colle une étiquette d’une quelconque secte… Mais lorsque vous m’avez demandé où est-ce que je me cachais, en effet, je travaillais. Et le « youroukou » fait partie du travail que j’élaborais dans ma « cachette ». J’envoie quelque chose d’innovant dans la sphère humoristique.
A vous entendre, n’y a-t’il pas de mysticisme dedans ?
Non, pas du tout. Mais ça porte à croire.
Le président Dahico, ne vient-il pas pour révolutionner l’humour en Côte d’Ivoire en mettant le niveau assez haut ?
Vous savez en matière d’art, il y a des choses qui ont existé et qui existent. C’est comment chacun arrive à travailler et proposer. Ça peut être des contes, le théâtre… Nous avons proposé le « Dromikan » à un moment donné, où Adama Dahico se mettait dans la peau d’un ivrogne au service du peuple. Où on essayait de dénoncer. Par la suite, nous sommes venus dans l’humour sociopolitique. Et pour faire une carrière, il fallait proposer de nouvelles choses et non le « Adama Dahico » d’il y a 20 ans.
Allez-vous continuez à jouer pour un public qui ne comprendrait pas forcement les chiffres et les lettres ? Le bas peuple ?
Dans le mois de juin 2018, j’ai été invité à faire un spectacle dans une paroisse de la place (Abidjan).
Ah, vous jouez dans les paroisses aussi ?
Mais Adama Dahico, c’est « monsieur tout le monde ». Donc j’arrive dans cette paroisse, au sein de l’église, le public est composé d’adultes, de jeunes et plus jeunes. J’ai pris une démarche artistique pour permettre à tout le monde d’être satisfait. Et il faut préciser que mes spectacles ne sont pas à 100% « youroukou ». A un moment donné, je demande l’attention du public et je joue ce numéro, qui vient en bonus en fait.
Vous êtes dans plusieurs festivals dans beaucoup de pays. Le vôtre, l’avez-vous laissé tomber ?
(Rire). Nous-même avons une discothèque mais nous allons dans celle des autres pour écouter la musique et proposer des CD à écouter. On a une bibliothèque et une discothèque (qui étaient fermées). On s’est dit qu’il est temps qu’on l’ouvre pour que les gens viennent lire et écouter la musique. C’est juste pour dire qu’on ne s’était pas oublié. Mais c’était fait à dessein. Grace aux prières des uns et des autres, nous revenons avec la 9ème édition du Festival International du Rire d’Abidjan (Fira) les 3, 4 et 5 août 2018 au palais de la culture d’Abidjan.
Quand avez-vous commencé la première édition et la pause a duré combien de temps ?
La première édition du Fira a commencé en 2003 et nous avons marqué une pause en 2010. Ce n’est pas facile mais il faut bien commencer un jour. Et là nous venons avec la 9ème édition. En numérologie, le chiffre « 9 » signifie « 0 », c’est l’accomplissement. Et la dixième édition (1+0=1), donc c’est un redémarrage.
Donc c’est un retour en force…
Non, nous ne revenons pas en force. Mais venons prendre notre place pour servir ceux qui aiment l’humour. Ça sera en même temps pour nous, une manière de saluer des espaces, des dynamiques pour que les humoristes puissent s’exprimer. Et beaucoup d’humoristes qui font la pluie et le beau temps de l’humour en Côte d’Ivoire, sont pas passés par le Fira.
Ah bon, citez-les !
Je peux citer Ouallas, l’ambassadeur Agalawal, Koro Abou, Accro conte (le premier comédien conteur à jouer au Fira), le Magnifik et bien d’autres.
Aujourd’hui quels sont vos rapports avec ces humoristes-là ? Vous le rendent-ils bien ?
Vraiment je suis l’humoriste à qui on accorde beaucoup de considération, à travers des gestes, des actes et ça me touche. Quand je sollicite les jeunes frères et eux aussi quand ils me sollicitent, je suis là. Quitte à leur donner des conseils. Nos rapports sont au beau fixe. La preuve, vous les verrez en train de se mobiliser pour le Fira. Certains ont même fait des vidéos. Donc nous revenons avec trois spectacles inédits. Cela fait six mois que le « dictateur bien aimé » Adama Dahico ne rit pas. Donc on va faire venir les experts en rire pour faire rire le président Dahico.
Qu’est-ce qu’il y aura concrètement durant ces trois jours de festival du rire ?
Le festival va se passer en salle. Il y aura le « maquis dromikan ». Le maquis le plus drôle du continent africain. Le troisième jour, il y aura le « RAS » qui est le Rire A Show. Ça sera un show de nouveaux et anciens talents. Il faut vraiment venir vivre cette ambiance-là.
Est-ce seulement des blagues que les gens viendront raconter ou y aura-t-il des mises en scène ?
C’est trois jours de spectacles avec scénario. Par exemple dans « maquis dromikan », il y aura des entrées et des sorties. Par ailleurs, il y aura des solos. Mais des solos en rapports avec le scénario principal.
Y a-t-il des humoristes étrangers qui prendront part à ce festival ?
Il y a 75% d’humoristes locaux. Et dans ces 75% de locaux, il y aura 45% de jeunes talents dynamiques qui ont besoin d’espace pour tenter leur chance et demain être de grands humoristes. Et par souci de bon voisinage, nous avons demandé à ce que trois pays nous rejoignent. En occurrence, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry. Ce sont les pays où nous comptons beaucoup d’amis. Et ce sont ces trois pays qui m’ont beaucoup sollicité pour des prestations. Donc vous aurez Thérèse Guillaume N’Diaye de la Guinée, Moussa Ouédraogo du Burkina Faso et Yoro Diakité, un jeune en plein essor qui vient du Mali. Ce dernier est l’un des rares humoristes maliens à jouer en français (car là-bas, la plupart joue en bambara).
Où comptez-vous avoir les moyens pour organiser tout ça ?
C’est vrai, ça nécessite beaucoup de moyens. Le budget minimum pour un tel festival, c’est au moins 50 millions. Il faut louer la salle, payer les cachets, faire la communication… Pour l’instant, nous ne pouvons pas dire que nous avons les moyens. Heureusement, nous avons les personnes de bonne volonté, des partenaires qui vont, dans la mesure de leurs moyens, nous apporter leur contribution. Et ce sont leurs contributions qui vont nous permettre de payer la salle et de proposer un minimum à ceux qui vont prester. Cette année, c’est une reprise, donc nous n’en voulons pas trop aux sponsors. Nous pensons qu’ils sont en train d’observer et l’année prochaine, ils vont se bousculer. Pour l’heure, nous faisons avec les moyens qui sont à notre disposition.
Et si une structure, à la dernière minute décide de vous accompagner, est-ce que vous restez ouverts ?
Le président du « Dromikan » est très ouvert. Le « Dromikan » est un parti « unique-fié ». C’est le parti qui a créé le RHDP et que les gens sont venus s’en accaparer pour faire leur business.
Comment ça ?
Rassembler les Humoristes pour Déstresser le Peuple. Cela ne donne pas le RHDP ? Rassemblement des Humoristes pour la Détente et le Plaisir, ça ne fait pas RHDP ? Nous ne leur demandons pas de droit d’auteur. Mais nous leur demandons de venir payer le maximum de tickets pour offrir à leurs militants.
Donc vous vous réclamez aujourd’hui le fondateur du parti unifié qu’est le Rhdp ?
Oui. Nous allons voir nos juristes non pas pour poursuivre le Rhdp mais qu’ils achètent le maximum de tickets à titre de dédommagement. Car je suis le vrai créateur du Rhdp.
Tout en souriant, on a l’impression que vous n’avez pas enlevé la politique de vos mœurs malgré votre échec à la présidentielle de 2010 ?
(Il nous interrompt) Ah non ! Monsieur, vous allez gâcher notre camaraderie. Quand j’allais aux élections, est-ce que je vous ai dit que j’allais pour gagner ? Est-ce que j’ai été le seul qui a fait échec cette année-là ? Il y a eu Mabri, Anaky, Bédié et autres. Dites leurs noms aussi !
Pourquoi vous n’avez pas été appelé pour occuper un poste important dans le gouvernement pendant que vous avez pris part à une élection qui a marqué un tournant important de ce pays ?
Peut-être que l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas de budget pour me payer un salaire à la fin du mois. Avec les privilèges liés au poste que je pourrais occuper, je ne sais pas. Ce n’est pas à moi de le rappeler à Ouattara. Il connait ceux qui sont compétents dans ce pays et qui peuvent gérer. Bref, c’est pour dire que même si on n’a pas eu de poste, on est culturel, on peut vaquer à nos occupations. Seulement, on demande que les structures étatiques puissent accompagner une telle dynamique tel que ce festival (Fira). Parce qu’à un moment donné, grâce à notre art, nous faisons le travail de l’Etat.
Je ne comprends pas…
Il y a des jeunes qui vont se donner la mort dans la mer. Mais si vous ne voulez pas que ces jeunes aillent se donner la mort et qu’ils restent sur place pour servir le pays, et qu’il a une passion pour l’humour, alors il faut soutenir les humoristes qui créent des dynamiques. Ce qui va permettre aux jeunes de rester ici et avoir foi en leur continent que d’aller souffrir ailleurs.
N’en veuillez-vous pas au président Ouattara de ne vous avoir pas nommé à un poste quelconque ?
Non, je n’en veux pas au Président. Il a beaucoup de chose à faire. Il finit son second mandat en 2020. D’ici 2020, il y a encore plusieurs mois à venir. Peut-être que d’ici là, il va me solliciter pour occuper un poste. Et je serai très à l’aise de le servir au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire.
En 2020, allez-vous vous présenter encore en tant que candidat à la Présidentielle ?
Je vais vous dire quelque chose qui va vous surprendre. Les 20 millions de caution que j’ai payé en 2010, c’est encore valable pour 2020 ; Il n’est mentionné nulle part dans la constitution ivoirienne que lorsqu’un candidat paie une caution pour prendre part à une élection et que ce dernier n’a pas été remboursé parce qu’il n’a pas atteint un quota, que cette caution ne servirait pas pour une autre candidature à cette même élection. Mes juristes se sont servis du dossier. En 2020, on ne sera pas candidat. En 2020, on sera président.
Pour finir, revenons au Fira. Un appel à tous les amoureux du rire…
J’aimerais dire à tout le monde que le festival n’est pas pour Adama Dahico mais pour eux. La bonne humeur, on a besoin de l’entretenir. Moi, mon RHDP qui est le Rassemblement des Humoristes pour la Détente et le Plaisir, c’est pour la stabilité de la bonne humeur en Côte d’Ivoire. Nous sommes au service de la population. C’est de l’humour. Le fait d’acheter un seul ticket, c’est comme vous étiez parrain ou sponsor officiel de cet évènement. Pour ceux qui ont déjà assisté au Fira, savent la qualité de nos spectacles. Nous pensons que ceux qui peuvent nous soutenir moralement, financièrement, techniquement, stratégiquement, institutionnellement, qu’ils n’hésitent pas. Les africains peuvent compter sur eux –même. On ne peut pas aller demander des soutiens de l’Europe pendant que nous avons des structures dynamiques ici. Nous remercions toux ceux qui ont prié pour le retour de ce festival. Nous demandons à tous les humoristes ivoiriens, africains de se mobiliser autour de ce festival et beaucoup d’autres productions à venir. Que ça soit pour le « Dromikan » ou une autre structure. Parce que nous voulons vraiment exister, nous les humoristes.
Réalisé par Franck RV
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