Elle est haïtienne et n’était absolument pas prédestinée à une carrière de chanteuse… Et pourtant, Yama Laurent vient de se tailler une place de choix dans le showbiz québécois en remportant la sixième édition de l’émission de téléréalité La Voix. Portrait d’une jeune débutante qui cartonne déjà.
Lorsqu’on demande à Yama Laurent où elle se voit dans quelques mois, voire quelques années, elle réplique d’un ton tranquille : « Je suis le Temps. » Une phrase énigmatique qui va comme un gant à cette drôle de chanteuse, catapultée en moins d’un an et demi du statut d’étudiante haïtienne en République dominicaine à celui de grande gagnante de l’émission québécoise de téléréalité La Voix et de protégée de Garou. Une émission écoutée par un habitant sur 4 de la province francophone.
Pour Yama, l’aventure en terre québécoise commence par un rendez-vous raté à la fin de l’année 2016. À cette époque, elle dispose d’un visa pour représenter Haïti à un concours artistique à Montréal. Seulement voilà elle ne reçoit pas à temps les documents administratifs pour entrer au Canada, et ne peut donc pas monter sur scène à la date prévue. Qu’à cela ne tienne. Les amitiés québéco-haïtiennes placent David Mézy sur sa route. Ce producteur de spectacles lui offre de chanter dans des soirées de découvertes de talents, quelques jours à peine après son arrivée dans la métropole québécoise. « Dès les premières notes, sa voix grave, gospel, gonflée à bloc, a soulevé le public qui lui a réservé une standing ovation, » témoigne l’agent d’artistes.
Rapidement, la jeune femme s’implique dans des productions théâtrales chantées et des soirées de poésie. Elle tente aussi sa chance au Tremplin de Dégelis, un festival de chansons qui offre une semaine de formation avec des professionnels et remporte la compétition en mai 2017. Propulsée par ce succès, voici Yama passant les auditions pour faire partie des candidats à La Voix. Encore une fois, sa voix de blues et de basse lui sert de passeport. Elle crée même un véritable électrochoc dans le public ce printemps, surpris par le contraste entre la puissance de sa voix et sa timidité chronique. Difficile de croire que des harmoniques aussi larges et puissantes viennent de cette jeune fille qui regarde obstinément le bout de ses ballerines…
Haïti dans les tripes
La chanteuse au regard grave a le don de remuer les tripes de ses auditeurs, qu’elle interprète Forever Young de Bob Dylan ou Ils s’aiment du chanteur canadien Daniel Lavoie. Au passage, le public apprend avec tristesse durant l’émission que la vie dans la maison de son père à Léogâne en Haïti était un enfer. Sans parler du tremblement de terre pendant lequel elle a cherché durant plus de deux semaines l’une de ses deux petites sœurs. Finalement, aucune n’a survécu. Seul point positif dans cette histoire tragique, les retrouvailles avec sa mère, dont elle était séparée depuis 9 ans. Cette dernière fera le voyage vers Léogâne en apprenant la terrible nouvelle du tremblement de terre, avant de réunir ses maigres économies pour envoyer sa fille étudier en médecine à l’Université de Santiago en République dominicaine.
Prestation après prestation, le public de La Voix se prend à aimer cette jeune fille simple, qui n’a pas l’air de se rendre compte de l’émotion qu’elle provoque. Tout comme elle-même vivait intensément la musique de Garou dont elle enregistrait des cassettes à partir de Radio Univers. Comme dans un conte de fées, le chanteur québécois devient son mentor et son coach à l’émission de La Voix.
« Garou, je l’ai follement écouté, se souvient Yama. À cette époque, j’aimais aussi beaucoup les chansons de Francis Cabrel, de Manno Charlemagne (un des chefs de file de la contestation contre les Duvalier, NDLR) ou de Beethova Obas, (Prix Découvertes RFI 1998). Tout comme Nina Simone aussi, dont l’histoire ressemble à la mienne. Le fait d’écouter ce genre de musique me permet de m’éloigner des autres, de me préserver. » Qu’on se le dise, la chanteuse à la voix de basse n’a rien d’une pile électrique se déhanchant au rythme du dernier tube sur un plancher de danse. En fait, le blues va comme une seconde peau à l’ancienne étudiante en médecine, qui a mis du temps à prendre conscience de la richesse de sa voix.
L’aventure québécoise ne fait que commencer
Yama a d’abord commencé par écrire des poèmes lors des soirées artistiques qui réunissaient les étudiants régulièrement. Sa voix, elle la réservait pour l’église. Jusqu’à ce que ses camarades d’études la convainquent de laisser sortir ce canal d’émotions à l’état pur. Dès lors, ses prestations se multiplient, jusqu’à représenter Haïti au World Champion ship of Performing Arts à Los Angeles. Puis à partir pour le Québec.
Son destin musical appartient désormais pour les prochains mois à la maison de production qui gère la carrière des vainqueurs de La Voix. C’est une équipe qui règle ses apparitions dans des magasins, concerts, et le contenu de son disque à venir. De son côté, Yama doit travailler sur sa proverbiale timidité. Pas facile d’être reconnue, touchée, interpellée quand on a toujours privilégié l’ombre pour la lumière…