Les médias ont fortement participé à l’émergence du mythe de Thomas Sankara, président du Burkina Faso assassiné dans des conditions qui demeurent en partie obscures, le 15 octobre 1987.
L’accaparement des pouvoirs par « une bourgeoisie locale incarnée par les dirigeants » (1), l’apparition des dérives, des dictatures un peu partout en Afrique post-indépendance, ont inauguré l’ère des coups d’État et de la « nécro-politique » (2).
Mais un homme émergea dans cette junglepour prêcher l’espoir : « Il s’appelait Sankara », président du Burkina Faso de 1983 à 1987, élevé au rang de mythe par la jeunesse panafricaine à côté des Patrice Lumumba, Kwamé N’krumah, Nelson Mandela, etc.
Les médias ont joué un rôle très important dans la
construction du mythe Sankara. Les archives médiatiques conservées à l’Institut national de l’audiovisuel français (INA) sont devenues des sources incontournables pour comprendre cette construction mémorielle. Les bases de données de l’INA, entre la date du 5 août 1983 (accession de Sankara à la tête du Burkina) et celle du 29 novembre 2017 (visite officielle du président Emmanuel Macron au Burkina), renferme 81 sujets télévisés et 279 sujets radio sur Sankara.
SANKARA INCARNAIT L’ESPOIR D’UN NOUVEAU TYPE DE DIRIGEANT AFRICAIN QUI ALLAIT CHANGER LE COURS DE L’HISTOIRE ET MENER L’AFRIQUE VERS LES SOMMETS
France 2 pour la télé (37 sujets) et RFI pour la radio (204 sujets) ont produit l’essentiel de ces représentations médiatiques. 35 des sujets de France 2 se situent entre le 5 août 1983 et le 15 octobre 1987 (assassinat de Sankara). RFI a produit l’essentiel des sujets radio entre 1983 et 2017. Le 29 août 2008, les révélations de l’ancien chef de guerre libérien Prince Johnson sur le rôle que ce dernier a joué avec Charles Taylor (avec l’aval, dit-il, de Houphouët-Boigny) dans la mort de Sankara marquaient le départ d’une intense décennie de représentations médiatiques du « Che africain » par RFI.
À côté de ces médias audiovisuels, la presse écrite, notamment grâce à Jeune Afrique, a également joué un rôle incontournable dans cette construction mémorielle. Des médias qui se sont intéressés à Thomas Sankara avant et après sa mort, Jeune Afrique reste le seul à avoir tenu un discours cohérent et fidèle sur le capitaine. Béchir Ben Yahmed a d’ailleurs immédiatement présenté la mort de Sankara comme « un rêve brisé » (cf ci-dessous) car celui-ci incarnait l’espoir du nouveau type de dirigeant africain qui allait changer le cours de l’histoire et mener l’Afrique vers les sommets. (3)
La vision panafricaine avait fait naître un réel amour entre Sankara et Jeune Afrique (cf ci-dessous les deux numéros spéciaux de JA sur la mort de Sankara). Les nombreux sujets de Sennen Andriamirado attestent de la confiance qui existait entre lui et le président révolutionnaire. Parmi les journalistes, nul ne le connaissait mieux que celui qui fut le premier à écrire des livres sur Sankara de son vivant et juste après sa mort : Sankara le rebelle, en 1987, et Il s’appelait Sankara, en 1989, tous deux publiés par Jeune Afrique.
L’auteur comparait Sankara à ces grands leaders panafricains, Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah, qui l’avaient précédé. « Le rêve, la foi, l’éloquence et peut-être aussi la prescience. Si la sincérité de Sankara ne fait aucun doute et séduit, son message est cependant celui d’un autre âge, à venir », affirmait Sennen.
Cet autre âge est venu, le mythe Sankara inspire aujourd’hui plus que jamais la jeunesse panafricaine qui s’est approprié son combat et vivifie son mythe à travers la musique, le théâtre, le cinéma, les bandes dessinées, la photographie, les tags, etc.
L’impact médiatique de Sankara sur la jeunesse a donné raison à Sennen Andriamirado, qui avait prophétisé la victoire du capitaine après sa mort. La rapidité avec laquelle il voulait changer les conditions de vie de son peuple l’avait conduit au milieu de la jungle, à la merci des fauves. Mais ses idées ont survécu, en partie grâce aux médias et aux journalistes. Ses prophéties se sont réalisées : « Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ».
De fait, des milliers de Sankara ont renversé le régime de Blaise Compaoré et portent aujourd’hui le combat contre l’impérialisme pour l’indépendance et la dignité de l’Afrique.
1. L’Afrique noire de 1800 à nos jours, Coquery-Vidrovitch et Moniot
2. Notion faisant référence aux formes de pouvoir et de souveraineté qui ont pour caractéristique la production de la mort à grande échelle, cf Achille Mbembe in Nécropolitique
3. Jeune Afrique, Une expérience panafricaine. Entretien avec Béchir Ben Yahmed, Le Temps des médias, Dakhlia J. et Robinet F.