« La différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : Le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération », c’est par cette citation de James Freeman Clarke, théologien américain que je commence cette lettre pour m’adresser à l’opposition guinéenne dans son ensemble et à son chef de file en particulier.
Mr le chef de l’opposition, permettez-moi tout d’abord, de vous témoigner de ma solidarité et de tout mon soutien lors des malheureux évènements dont vous étiez la cible mardi dernier. Comme tout bon démocrate, je souhaite que toute la lumière soit faite pour situer les responsabilités, et punir les coupables qui n’aiment pas visiblement la stabilité sociale dans notre cher pays. Je voudrais saluer également le courage, la détermination dont vous faites montre depuis que vous êtes à la tête de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG). Le combat que vous menez pour plus de démocratie, de liberté, de progrès et de cohésion sociale dans notre pays, est un combat noble qui mérite d’être défendu par tout homme épris de paix et de justice républicaine. C’est le lieu de dire aussi que ce combat est utile quand on sait que notre pays n’a que huit années d’expérience démocratique. Il faut par conséquent, des femmes et des hommes engagés pour que cette jeune démocratie se pérennise, et à laquelle on est tous attaché aujourd’hui. Les temps changent, les perspectives et les stratégies politiques également.
Mais permettez-moi de dire que la démocratie que vous prétendez défendre (ce que je n’en doute pas), est en train d’être dévoyée et vidée de son contenu par les différentes actions que vous menez depuis 2010 à la tête de l’opposition guinéenne.
La démocratie est un processus difficile qui comporte un certain nombre d’exigences auxquelles devront se conformer celles et ceux qui prétendent la défendre. Ces exigences de la démocratie se placent dans un cadre qu’on a appelé la république. Et qui parle de république, parle du cadre qui appartient à l’ensemble des habitants d’un État : c’est la RES Publica, chose commune. «Tout État régi par des lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être ; car alors seulement l’intérêt public gouverne et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain. ». Cette définition de la république par Jean Jacques Rousseau dans son célèbre ouvrage ‘’Du contrat social’’ rappelle les exigences que doit avoir la démocratie dans une république, parmi celles-ci : le libre choix des gestionnaires des affaires de la nation par la libre expression des populations, le respect du choix du peuple, la diversité des opinions qui inclut que la voie majoritaire ne doit pas clouer au pilori celle de ceux qui ont des opinions contraires. Et tout ceci dans le cadre du respect des lois et principes républicains qui constituent les arbitrages entre les acteurs de la vie nationale. La soumission à cette règle ne peut être que l’apanage des gens d’une civilité accrue et élevée. Avec cette démocratie, disparaissent les méthodes inhumaines de domination par la tromperie, l’illusion et la calomnie intellectuelle.
Les corolaires de ces exigences démocratiques, c’est l’acceptation du jeu politique qui voudrait que, quand les uns bénéficient de la confiance du peuple et qu’ils gouvernent, que les autres acceptent cette volonté démocratique en se mettant dans l’opposition pour critiquer les actions de ceux qui gouvernent, et en proposer d’autres alternatives de gouvernance cohérentes pour bénéficier de la confiance du peuple lors des prochaines échéances.
Malheureusement l’opposition à laquelle vous appartenez ne semble pas acquise à ce principe fondamental pour des raisons qui sont d’une part liées aux autorités actuelles, et d’autre part à vous et à votre entourage.
Huit années de manifestation interminable comme signe d’un refus du jeu démocratique.
Mr le chef de file, il est vrai que le pouvoir actuel depuis à ses débuts, fait de l’impunité le mal dont les guinéens détestent de plus en plus. Cela se manifeste notamment par la banalisation de la vie de nos concitoyens sans que l’État ne lève le petit doigt, la défiance de l’autorité même de l’État par des actes constitutifs d’incivisme, la corruption qui gangrène aujourd’hui tous les pans de notre société, pour ne citer que ceux-ci. Dénoncer et combattre ces vices de notre société, est évidemment le combat auquel tout bon patriote doit s’associer. Cependant Mr le chef de l’opposition, de par votre posture ainsi que celle de votre courant politique, vous encouragez à la pérennisation de tous ces vices dans notre pays. Au lieu de s’opposer fermement par l’exemplarité, vous vous montrez complice par vos actions qui affaiblissent de plus en plus la puissance publique que vous défendez hier.
Depuis 2011, Mr le chef de file, toutes vos actions constituent des blocages politique, économique et social de notre pays. Combien de manifestations ont-elles eu lieu depuis 2011 ? Combien de vies humaines ont été sacrifiées ? Combien de biens publics et privés ont été détruits par votre faute ? Tout ça pour dire que c’est qui vous avez raison ? Tout ça pour que vos intérêts à vous soient respectés et préservés ? Quid de l’intérêt général ? Que faites-vous de tous ces pauvres gens qui pleurent leur mort à chaque fois que vous marchez ?
Que faites-vous de cette bonne dame que vous empêchez de se rendre au marché du quartier au gré de vos interminables villes mortes exposant sa famille à la famine ? Que faites-vous de ces commerçants qui ont passé toute une vie à se construire un avenir qui part en fumée un bon matin ? Qu’en-t-il de ce malade qui ne peut se rendre à l’hôpital pour se faire soigner, parce que l’axe Cosa-Bambeto-Hamdalaye devient impraticable quand vous marchez ? Il est temps Mr Cellou Dalein Diallo de se poser toutes ces questions sur votre bilan à vous depuis 2011. Est-ce cela votre conception de la démocratie, empêcher les gens de travailler ? Empêcher les gens de vaguer à leur quotidien ? Empêcher le pays de bouger ne serait-ce un petit peu ? Je dis non, non et non. Ce n’est pas moi, ma conception de la démocratie, Mr le chef de file de l’opposition. Je refuse cette surenchère politique, je refuse cette dictature de la pensée unique. Non, je ne veux pas de cette démocratie monocolore qui n’existe que quand mes droits sont respectés, et n’existe pas dès lors que les autres ne pensent pas la même chose que moi.
Durant ces huit années Mr le chef de l’opposition, vous avez montré aux yeux de l’opinion, que vous n’êtes qu’un politicien qui ne pense qu’aux prochaines élections et aux intérêts que vous pourriez en tirer, contrairement à un homme d’État qui pense à la prochaine génération.
L’État, c’est la continuité dans les actions.
Mr le chef de file de l’opposition, avez-vous pensez que l’un des principes élémentaires qui existent dans un État, c’est la continuité dans les actions publiques ? Eh bien, laissez-moi vous rappeler sans être prétentieux, que ce principe est primordial dans la conduite d’un État. Car il permet aux gouvernants de demain de terminer les actions initiées par les gouvernants d’aujourd’hui. C’est pour dire qu’aucun dirigeant politique n’est éternel. C’est comme un fils qui hérite des actifs et des passifs de son père. Il doit assumer cet héritage dans ses deux composantes. La réussite énergétique du régime actuel vous permettra à vous, une fois au pouvoir demain, d’avoir d’autres priorités.
Aimeriez-vous demain trouver le pays dans les mêmes conditions que le président actuel ne l’a trouvées en 2010 ? Bien sûr que non, vous n’aimeriez certainement pas que tout soit prioritaire demain une fois que vous aurez le pouvoir. Un homme d’État, disait Alexandre Dumas, est « celui qui n’oublie pas que le grand secret de la politique réside dans ces deux mots : savoir attendre ». Un homme d’État doit savoir attendre son heure, il doit tout faire pour ne pas être condamné demain par l’histoire, il doit tout faire pour ne pas être rattrapé par ses actions passées au moment décisif. Bref un homme d’État, s’appelle patience.
Mr le chef de file de l’opposition, laissez-moi vous rappelez que vous n’êtes pas le seul leader politique dans notre pays qui a le statut d’ancien premier ministre. Il y a deux autres au sein de la classe politique guinéenne, qui n’ont certes pas le poids politique qui est le vôtre aujourd’hui, mais qui pèse tout autant au sein de l’opinion. Ont-ils la même volonté que vous de bloquer le pays ? Je crois que non. Eh bien, ces deux autres anciens PM, Sidya Touré et Lansana Kouyaté, puisque c’est eux dont il s’agit, manœuvrent-ils aujourd’hui pour empêcher l’actuel gouvernement de travailler et de finir son mandat ? Non, tout ce qu’ils font, c’est dénoncer avec vigueur, fermeté la gouvernance actuelle. De quelle manière ? Par une opposition civilisée, constructive et par la proposition d’une alternative de gouvernance dans le pays. C’est par cette posture qu’un homme politique perce le cœur de ses concitoyens.
Ce n’est pas en se victimisant à tout moment et en toute circonstance, comme vous le faites, Mr Cellou Dalein Diallo que vous arriverez à conquérir la sympathie de tous les guinéens pour espérer être leur leader demain. Ce n’est pas en faisant un décompte macabre que vous contribuerez au respect des droits et libertés dans notre pays, mais c’est plutôt en aidant les autorités à élucider tous les crimes en marge des manifestations, que vous apporterez à la consolidation de l’État de droit auquel nous voulons tous pour la Guinée.
2020 si près, si loin de vous
Mr le chef de file de l’opposition, je sais que vous rêvez d’être le prochain président de la Guinée en 2020. Cependant si vous voulez mettre toutes les chances de votre côté lors de ce rendez-vous crucial, il est temps de vous ressaisir ; il est encore grand temps de mettre de l’ordre dans votre entourage. Je suis et demeure convaincu que vous êtes un homme de valeur et de paix. Ceci dit, il y’ a des gens au sein de votre entourage qui vous conseille un chemin qui ne vous mènera qu’à la désillusion, qu’aux regrets et à la défaite. S’il est d’un constat implacable qu’on ne change pas une équipe qui gagne, il est aussi d’une évidence évidente qu’il faut changer une équipe qui perd.
Mr Cellou Dalein Diallo, quand un gouvernement ne se montre pas à la hauteur des attentes placées en lui, il est du devoir et de la responsabilité des opposants, d’être l’espoir pour leur peuple, d’être des alternatives crédibles pour leurs concitoyens. Les guinéens attendent de vous aujourd’hui que vous preniez une posture présidentielle et ce, dans les actes et dans les paroles. De tous les opposants guinéens aujourd’hui, vous êtes celui qui est le plus proche du pouvoir, mais en même temps vous êtes également celui qui en est le plus loin. Tout simplement, parce qu’il y a des rendez-vous qu’un homme d’État ne doit pas manquer. Il y’a des erreurs que celui qui aspire à diriger une nation ne doit pas commettre, comme celle que vous avez commise le 02 octobre en refusant de participer à la célébration de la fête nationale, ce qu’il y’a de plus sacré pour les guinéens. Celle-ci était une faute politique à ne plus jamais reproduire.
Mr le chef de file de l’opposition, en espérant que cette lettre ouverte vous plaise, il m’est très agréable de la finir en disant ceci : le véritable homme d’État est celui qui s’institue arbitre impartial entre ses ambitions personnelles et l’intérêt général.
L’histoire aujourd’hui vous ouvre ses portes, à vous de choisir votre façon d’y entrer…
Concitoyennement,
Alexandre Naïny BERETE, étudiant à la faculté de Nantes (France)