L’équation est la suivante : lorsque l’exercice d’une liberté fondamentale, en l’occurrence celle de manifester, cause systématiquement mort d’hommes, qui doit-en être considéré comme responsable ? Celui qui veut jouir de cette liberté ou celui qui est tenu de l’encadrer ?
Notre constitution consacre plusieurs articles à ce sujet : les articles 5 et 10 indiquent le respect des droits humains et la liberté de manifester. L’article 23 demande à l’Etat de veiller au respect des droits humains en même temps qu’il lui impose de maintenir l’ordre public et d’assurer la sécurité de chacun. S’agissant des partis politiques, l’article 3 leur demande, entre autres, de respecter l’ordre public.
Il existe une évidence dans tous les cas : l’Etat n’a pas le choix et ne l’aura jamais. Que la manifestation soit pacifique ou pas. Qu’elle soit autorisée ou pas, le Gouvernement est tenu de préserver l’ordre public. Quand bien même, le Code pénal, dispose que les organisateurs d’une manifestation sont responsables du maintien d’ordre, cela ne vaut que pour le cortège lui-même et ses alentours immédiats. Le seul garant de l’ordre public entendu au sens large, reste l’Etat. C’est lui qui doit protéger les manifestants et garantir à ceux qui ne manifestent pas le droit de vaquer à leurs occupations en toute sécurité.
Ceci entendu, qu’en est-il lorsque la manifestation dégénère en violences qui débordent le périmètre du cortège ?
Depuis 2011, il y aurait eu 98 morts parmi les militants de l’UFDG. Il est inconcevable et inadmissible qu’aucun coupable n’ait été identifié à ce jour. Aucun coupable, ni pour les 98 morts de l’UFDG, ni pour la douzaine de policiers et gendarmes morts au cours de ces mêmes manifestations (dont au moins 5 par balles), ni pour toutes les autres victimes non comptabilisées comme opposants ou forces de l’ordre.
On l’a dit plus haut, l’Etat n’a pas le choix, à chaque fois qu’il y aura manifestation, il aura l’obligation de déployer les forces de l’ordre et, dans le contexte que nous vivons depuis 2011, le risque d’affrontements violents et mortels existera. Il est utopique d’attendre un comportement exemplaire de forces de l’ordre dont on connait pertinemment le niveau et les conditions de recrutement. Quelles que soient la volonté politique et les actions d’assainissement engagées depuis 2011 et saluées par les partenaires de la Guinée, le chemin est encore loin vers des forces de l’ordre républicaines et irréprochables.
L’opposition, elle, a le choix. Le choix de manifester ou pas. Le choix du type de manifestation (meeting, marche, sit-in, ville morte, etc.). Le choix du jour de la manifestation (semaine, week-end, jour ouvré). Le choix du lieu de la manifestation (stade, autoroute, route le prince, haute banlieue).
Rien ni personne n’oblige l’UFDG à choisir de faire marcher des milliers de personnes surchauffées à blanc par des discours de victimisation et de haine. C’est Cellou Dalein Diallo qui préfère les faire défiler en pleine semaine sur la seule autoroute dont Conakry dispose ; qui brave l’interdiction que les autorités administratives lui ont signifiée sans même essayer de saisir la juridiction compétente ; qui accepte que des adolescents armés de machettes, de gourdins, de frondes équipées de billes d’acier et de fer à béton et de barres de fer défilent à ses cotés, qui se pavane avec des militants armés d’armes blanches, qui tolère qu’une section de son parti soit reconnue comme « section cailloux », (section présentée officiellement au siège du parti) qui est le principal témoin de ses militants s’attaquant aussi bien aux passants, qu’aux automobilistes, aux forces de l’ordre et aux édifices publics, les symboles de l’Etat, en les lapidant de nuées de pierres.
Quelque soit la stratégie, au nom de laquelle Cellou et l’UFDG mettent ainsi en péril la vie de ses militants, des agents de l’ordre et des autres citoyens, elle ne vaut pas les drames qu’elle engendre.
Quelles que soient les excuses du Gouvernement, il ne pourra justifier son incapacité à identifier et punir les auteurs de ces meurtres.
Ainsi, poser la question de savoir à qui doit-on reprocher ces morts dans les manifestations revient à déterminer la différence entre la responsabilité et la culpabilité. Ceux qui sont responsables ne sont pas forcément coupables et vice versa mais une chose est sure, comme le dit la romancière Blandine Le Callet : « La culpabilité, il n’y a que ça de vrai. Arrangez-vous pour que les autres se sentent toujours un peu coupables à votre égard, et vous obtiendrez tout ce que vous voulez ». CQFD.