Jean Baptiste Placca, le célèbre éditorialiste de
RFI, dénonce un éventuel troisième mandat pour Alpha Condé. Et pourtant, en 2010, comme par prémonition, il prévoyait un tel scenario si la constitution n’était pas adoptée par référendum.
Il est trop facile, lorsque l’on est au pouvoir, avec les moyens qui en découlent, de se référer au peuple pour justifier un changement des règles du jeu, afin de se ménager la possibilité de perdurer. Car l’éternité, en enfer, est invivable à un point tel que ne peuvent deviner ceux qui monopolisent le paradis…
La question d’un potentiel troisième mandat pour Alpha Condé. Ce débat mobilise aujourd’hui l’opinion en Guinée et il s’est transporté, cette semaine, sur la scène continentale, avec les interviews, sur RFI, de l’ancien Premier ministre Sidya Touré et de Rachid Ndiaye, conseiller spécial du président Condé. Mais d’où vient cette impression de dialogue de sourds qui persiste, après avoir écouté l’opposant puis le représentant du pouvoir ?
En fait, c’est pire qu’un dialogue de sourds. Ce sont des monologues parallèles, dans lesquels chaque camp est tellement enfermé dans sa logique qu’il n’y a aucune chance de les voir un jour tomber d’accord. Il n’est point besoin d’être un oiseau de mauvais augure pour craindre le pire, dans ces conditions, pour la Guinée. Etaler, comme ils l’ont fait, leurs divergences devant tant d’auditeurs, c’est un peu comme transporter le linge sale de la Guinée sur la place publique continentale. Mais, pour ne pas le laver, hélas ! Et ici, en l’occurrence, il faut juste constater qu’il ne reste plus au peuple guinéen qu’à prier tous ses dieux, pour que ce débat malsain ne vienne embraser la prochaine présidentielle, et le pays avec.
Pourquoi serait-il malsain, en démocratie, de débattre d’un éventuel troisième mandat ?
Parce que tous savent que c’est une source de conflits aux conséquences incontrôlables. L’argumentation du peuple souverain, libre de décider s’il veut ou non une présidence à vie est un peu spécieuse. Car il est toujours facile, lorsque l’on est installé au pouvoir, avec les moyens qui en découlent et les attributs qui vont avec, de se référer au peuple pour justifier un changement des règles du jeu, afin de se ménager la possibilité de perdurer.
En privé, de plus en plus d’observateurs avisés de la vie politique continentale confessent craindre le retour à la mode des coups d’Etat dans notre Afrique francophone. Il est souvent de bon ton de feindre d’ignorer que les conditions déterminantes de nombreux putschs sont créées par les pouvoirs en place eux-mêmes. Dans une démocratie, lorsque les diverses sensibilités, la population, en viennent à manquer d’espace de respiration, les putschistes virtuels jubilent. Il est donc suicidaire, lorsque l’on est aux affaires, de manipuler les textes et la loi pour restreindre les libertés des adversaires. De tout temps, les coups d’Etat ont été perpétrés par des militaires qui estimaient devoir réparer quelques injustices. C’est d’ailleurs pourquoi, plus souvent que ne veulent se l’avouer les démocrates, les putschs sont accueillis comme un mal nécessaire, et les putschistes, parfois, comme des libérateurs. Bien sûr que certains, à leur tour, se muent en bourreaux. Mais un coup d’Etat ne tombe jamais par hasard sur un pays.
Mais un troisième mandat peut aussi bien être la règle…
Sauf que celui qui demande un troisième après deux, trouvera toujours des raisons pour justifier la demande d’un quatrième, après trois. C’est comme si, au football, le match était arbitré par une des deux équipes qui s’affrontent – ce qui est déjà une anomalie, et qu’à la 85e minute, cette équipe, juge et partie, décidait de faire jouer une mi-temps supplémentaire, sous prétexte qu’elle aurait besoin de cent vingt minutes pour réussir les prouesses dont elle n’a pas été capable en quatre-vingt dix minutes.
La construction d’une nation est, par définition, une œuvre sans fin. Prétendre vouloir achever un chantier perpétuel avant de quitter le pouvoir, c’est vouloir s’accrocher à perpétuité au pouvoir. Le bon président est celui qui peut dire à son successeur : « Voici ce que j’ai achevé ; voilà les chantiers à parachever ; et ceux à initier pour le futur ». Vous ajoutez votre part à l’édifice, et l’histoire jugera.
La limitation à deux du mandat présidentiel peut donc réellement éviter aux nations des crises graves ?
Absolument ! Même les oppositions les plus radicales se consolent à l’idée que, de gré ou de force, après le second mandat, ils en auront finie avec le sortant. Mais ruser pour changer les règles, c’est priver la population et l’opposition de cet espace de respiration qui, comme le disait l’ancien Premier ministre Sidya Touré, permet d’éviter qu’une seule personne ne confisque l’avenir de 12 millions de Guinéens. Le problème, avec ceux qui sont au pouvoir, est qu’ils s’imaginent rarement le sentiment de rejet qu’ils peuvent inspirer à leurs adversaires et, parfois, à la population. L’éternité, en enfer, est invivable à un point que ne devinent pas ceux qui monopolisent le paradis. Et lorsque l’on a eu la chance d’être reconduit une fois par son peuple, partir, au terme du second mandat, est à la fois un acte de courage et de dignité.
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Voici ce que Placca disait en 2010 à propos de la Constitution guinéenne
Guinée : si pressée de voter…
Il faut aller vite aux élections, en finir rapidement avec cette transition, pour conjurer on ne sait trop quel maléfice, qui planerait sur les chances de la Guinée d’entrer en démocratie. A force d’insinuations alarmantes, on est en train de faire admettre au peuple guinéen qu’il n’est pas indispensable, pour lui, d’approuver (ou de rejeter) la Constitution, qui va lui servir de viatique sur le chemin de la démocratie qu’on lui promet.
Au lieu d’un référendum, les Guinéens devraient se contenter d’un décret, signé par le général Sékouba Konaté. Un putschiste ! Même bien intentionné, avouez que l’on aurait pu choisir symbole moins affligeant pour entrer en démocratie ! Jusqu’à nouvel ordre, les Guinéens voteront le 27 juin, pour élire le chef de l’Etat.
Les défenseurs de l’empressement à voter sans référendum proposent des argumentations fort diverses : le Premier ministre de transition chercherait à s’éterniser, et un référendum lui offrirait six mois de plus à la primature. Ce qui est trop pour ses détracteurs. En Guinée on en est encore à faire les choses contre quelqu’un, au lieu de les faire pour la Nation.
D’autres vous diront que les partisans de Dadis Camara préparent un coup d’Etat, et que seules des élections rapides pourraient les court-circuiter. Il y a enfin ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, estiment que cette transition n’a que trop duré.
Du côté des gens pressés, on retrouve aussi bien des candidats que des institutions : la Cedeao, l’Union africaine, l’Organisation internationale de la Francophonie, et même quelques puissances occidentales, intéressées par la Guinée.
D’abord, on se demande pourquoi il faut attendre six mois et pas deux ou trois, après un éventuel référendum, pour tenir la présidentielle. Et même quand ces six mois seraient rédhibitoires, que valent-ils, au regard des cinquante-deux ans de dictature dont tous prétendent sortir la Guinée ?
Si la maladie n’avait pas réglé son compte à Lansana Conté, ces institutions et ces puissances en seraient encore à contempler la dictature et l’incurie de son régime, qui a tout de même duré vingt-quatre ans. Leur long silence d’hier décrédibilise leurs exigences empressées d’aujourd’hui.
Demain, lorsqu’un Tandja guinéen voudra malmener la Constitution, ses thuriféraires, pour justifier leur forfaiture, pourraient toujours prétexter qu’elle porte la signature d’un putschiste. La Constitution est à une démocratie crédible, ce que le Coran est à l’Islam, et la Bible à la chrétienté. C’est dire que la signature qu’elle porte compte autant que son contenu.
Jean-Baptiste Placca