Dior a dévoilé en avril le fruit de sa collaboration avec la société ivoirienne Uniwax : sa collection Croisière 2020, dont plusieurs pièces sont en wax 100 % made in Africa.
Si ce n’est pas la première fois qu’une maison de haute couture pare ses collections de wax, Dior a tout de même créé la surprise. Sur la lisière de plusieurs pièces de prêt-à-porter en wax issues de la collection Croisière 2020 – dévoilées le 29 avril lors d’un défilé grandiose au palais El Badi de Marrakech – les quelque 800 personnes invitées pouvaient lire sans difficulté la mention « Uniwax Special Edition Christian Dior – Guaranteed Real Wax Printed in Côte d’Ivoire ».
Une première pour la maison Dior, mais surtout pour Uniwax, filiale du groupe hollandais Vlisco, basée dans la commune de Yopougon, à Abidjan, depuis 1967. Aussi, au-delà des précédents Jean-Paul Gaultier, Burberry, Stella McCartney ou même Yohji Yamamoto, c’est bien la première fois qu’une grande maison de mode collabore étroitement avec une société africaine.
Cette dernière a non seulement fabriqué les tissus mais aussi revisité les motifs emblématiques de la maison Dior que sont la toile de Jouy et la carte de tarot. Et ce, pour la conception de robes, de manteaux, de combinaisons, de jupes, etc. Sans compter une chemise sur laquelle est imprimé le portrait de Nelson Mandela, signée du Burkinabè Pathé’O – l’un des créateurs privilégiés d’Uniwax.
Le wax, un symbole transculturel
L’histoire de cette collaboration inédite commence quand Maria Grazia Chiuri, styliste et directrice artistique des collections femmes de la maison Dior, connue pour son attachement à la diversité culturelle et ses revendications féministes, découvre Wax & Co., le livre d’Anne Grosfilley, anthropologue et spécialiste des textiles et de la mode en Afrique, dans lequel elle retrace l’histoire du wax et d’autres tissus africains.
« J’ai compris que le wax est un symbole transculturel éminemment actuel et très puissant. Son histoire s’étale sur trois continents, mais il reste surtout emblématique de l’Afrique, de la culture panafricaine et il est un symbole d’un langage non verbal, vecteur de messages forts », raconte Maria Grazia Chiuri, qui fait ici référence aux Nana Benz du Togo, qui ont converti les tissus qu’elles vendaient en véritables moyens de communication.
LE WAX M’A AUSSI FAIT PENSER AU CONCEPT DE COMMON GROUND, EN TANT QUE TERRAIN COMMUN DE CULTURES, DE TRADITIONS ET DE CONNAISSANCES
« Le wax m’a aussi fait penser au concept de common ground, en tant que terrain commun de cultures, de traditions et de connaissances, tel qu’évoqué par Naomi Zack dans son ouvrage Inclusive Feminism [Rowman & Littlefield Publishers]. Je me suis dit que ce tissu pouvait être le point d’entrée de ma collection car il est capable de faire converger des traditions et des cultures diverses, dans le respect et le vivre-ensemble. »
Traçabilité
Aussi, en novembre 2018, la styliste entre en contact avec Anne Grosfilley en lui soumettant son idée. Faire du wax, d’accord ! Mais comment ? « Je lui ai suggéré de travailler sur un produit africain avec une usine basée en Afrique – celle d’Uniwax, en l’occurrence, que je visite très régulièrement depuis 1997 dans le cadre de mes recherches. Uniwax respecte les normes écologiques. Sans compter qu’elle est la seule société à assurer une totale traçabilité de son coton filé et tissé au Bénin », raconte Anne Grosfilley.
En février 2019, l’anthropologue s’envole avec l’équipe Dior, composée de la directrice artistique et de deux de ses assistantes, pour la Côte d’Ivoire, où elles visitent le complexe Uniwax, qui s’étend sur 10 hectares. Le choix est aussitôt fait. Elles visitent également les ateliers de Pathé’O, à Treichville. Jean-Louis Menudier, PDG d’Uniwax – 40 milliards de F CFA (60 millions d’euros) de chiffre d’affaires annuel, – depuis 1994, se retrouve avec une commande à honorer en moins de deux mois.
NOUS AVONS TRAVAILLÉ COMME DES FOUS POUR FOURNIR LES 23 DESSINS ET LA CENTAINE DE PIÈCES
« Nous avons travaillé comme des fous pour fournir les 23 dessins et la centaine de pièces. Au lieu d’augmenter la production, nous avons tout réorganisé. Cela a été une aventure passionnante », s’enthousiasme le patron des 700 employés qui s’affairent dans l’usine, les studios et les bureaux de ce fleuron africain de l’industrie textile. Un sacré challenge pour une usine qui tourne à plein régime et qui, depuis quatre ans, n’arrive plus à satisfaire la demande (23 à 24 millions de mètres de tissu sont fabriqués chaque année).
Mais prochainement, la capacité de rendement devrait augmenter de 40 % grâce à des investissements massifs à hauteur de 20 millions d’euros. « Je me félicite de ce partenariat. La démarche de Dior est l’anti-Burberry par excellence », indique Jean-Louis Menudier, qui, toutefois, ne donne aucune indication quant aux coûts de cette collaboration. « C’est confidentiel », argue-t-il. Il faut aussi souligner les couleurs choisies par Dior. « Ce sont des coloris vieux de quarante ans que l’on retrouve dans les archives d’Uniwax », indique Anne Grosfilley. « Aujourd’hui, avec la copie asiatique, le wax est extrêmement coloré. Cette collection consacre les imprimés vintage avec une base indigo et des couleurs comme l’ocre, le kaki ou la terre de Sienne. »
La collection Dior consacre également le cachemire ou les impressions chaîne de la maison lyonnaise Bucol, spécialiste des tissus unis et imprimés. « Chaque collection me permet de prendre conscience de ce que signifie, aujourd’hui, faire de la mode. Je suis très intéressée par l’échange entre les cultures, force motrice de l’imaginaire de la mode. Par ailleurs, je contribue activement au dialogue en cours sur l’identité et la relation entre les traditions locales et la culture mondiale », lance Maria Grazia Chiuri. Un propos qui tranche avec une époque où le wax déferle partout. De toute évidence, les enseignes de fast fashion,d’H&M à Zara en passant par Etam ou Promod, font peu de cas de la symbolique que revêt ce tissu panafricain.
Des tissus qui ont du sens
Dans Wax, 500 tissus, Anne Grosfilley lève le voile sur l’histoire, la source d’inspiration et le sens de plusieurs motifs. On découvre ainsi, de 1895 jusqu’au renouveau du wax symbolisé par la copie asiatique dans les années 2000, des motifs aux significations farfelues comme le « macaroni » (au Ghana, le porter signifie « quelque chose de bien m’est arrivé »).
« J’ai voulu montrer comment les dessinateurs et les industriels ont dû s’adapter en fonction des changements économiques et autres bouleversements des sociétés africaines », éclaire l’auteure. Âge d’or des Nana Benz, avènement de la société de consommation et pop culture, positionnement de Vlisco vers le luxe… Aussi ludique qu’instructif, l’ouvrage permet aussi de mettre un nom sur chaque dessinateur à l’origine de tel ou tel imprimé.