La Tribune Afrique – Au sein de la Société guinéenne pour le développement durable (SGDD), vous militez pour le développement de l’agriculture bio. En quoi consistent vos activités ?
Virginie Touré de Baglion – Nous avons deux structures, à savoir le Certi-Bio Guinea et la Société guinéenne pour le développement durable. Les deux entreprises ont été créées pour mieux répondre aux besoins du marché. Certi-Bio Guinea accompagne les agriculteurs, les transformateurs, les producteurs vers la certification de leurs produits en agriculture biologique. Elle propose des formations dans les domaines agricole, biologique, écologique et du commerce équitable. Nous procédons également à la plantation de produits biologiques. La Société guinéenne pour le développement durable produit, commercialise, transforme et distribue des fruits et légumes bio et agroécologiques issus de notre ferme Dondolikhouré. La SGDD vend aussi des intrants utilisables en AB et des semences certifiées en agriculture biologique.
La Guinée est une terre fertile pour l’agriculture biologique à travers nos quatre régions naturelles : basse guinée, moyenne guinéenne, haute guinée et la guinée forestière et on se rend compte qu’elle a des prédispositions agroécologiques pour le développement de la filière bio. A ce jour, l’agriculture biologique n’est pas encore rentrée dans les habitudes des populations guinéennes et c’est ce travail que nous sommes en train de faire pour avoir des cultures plus saines et que les produits guinéens soient plus vus et plus appréciés sur les marchés internationaux du bio. Notre objectif à court et moyen terme est de parvenir à la certification en agriculture biologique de 10 % des terres agricoles en Guinée, à la création d’une unité de production de bio-fertilisants, à l’accroissement de notre capacité de production de jus naturels à 10 000 bouteilles journalières pour créer de la valeur et de l’emploi.
A combien s’élèvent aujourd’hui votre chiffre d’affaires et vos capacités de production ?
Nous venons juste de commencer, mais nous réalisons près de 50 000 dollars de chiffre d’affaires. Nous employons près d’une dizaine de personnes permanentes et les chiffres peuvent évoluer selon les saisons. En période de récoltes, les effectifs peuvent atteindre plusieurs dizaines de personnes. Nous sommes dans la production légumineuse et travaillons sur un projet de plantation de soja bio en Guinée. Dans le cadre de développement de nos activités étendues sur 10 hectares dans la localité de Sanoya à 35 km de Conakry, nous nous apprêtons à nous lancer dans la production d’ananas, en mettant en place la première plantation bio de ce produit dans le pays.
En parlant d’agriculture biologique, ne serait-il pas plus judicieux de nuancer lorsque ce concept s’applique à l’Afrique où les contraintes sont différentes de celles des pays développés ?
L’agriculture biologique, c’est avant tout un ensemble de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, du bien-être animal et de la biodiversité. L’Afrique a longtemps pratiqué ce type d’agriculture, mais à un moment donné, les besoins de la population ont augmenté avec une forte natalité et notre niveau de production agricole n’a pas suivi. Actuellement, dans les politiques agricoles, les gouvernements parlent de sécurité alimentaire avec l’idée d’introduire massivement des pesticides dans nos plantations pour nourrir cette population galopante. Mais en ayant recours aux pesticides, ils ont mis à mal nos terres, notre environnement, notre santé, nos animaux.
En Afrique les agriculteurs qui limitent les intrants agricoles disent qu’ils font du bio. On assiste malheureusement à des publicités mensongères sur le label bio par les producteurs, transformateurs et distributeurs. On dit d’un produit qu’il est bio lorsqu’il est sans produits chimiques de synthèse, sans OGM, sans exhausteurs de goût, colorants, ni arômes chimiques de synthèse et sans additifs ou avec une utilisation fortement limitée pour le bio. Les produits bio doivent également être certifiés par un organisme reconnu.
En 2050, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards de personnes. Plus de la moitié de la croissance démographique dans le monde sur cette période aura lieu en Afrique, estiment les projections des Nations unies. Selon vous, l’Afrique pourrait-elle nourrir cette population en ne faisant que du bio ?
Aujourd’hui, il ne s’agit pas que de rester une niche, il s’agit de développer ce mode d’agriculture à une plus vaste échelle pour un meilleur respect de l’environnement. C’est pourquoi au-delà de mes activités agricoles, j’ai créé l’initiative BIO Guinée. Je voulais mettre mon expérience et expertise aux services des Guinéens, qui devraient prôner ce type d’agriculture pour éviter les effets souvent méconnus des engrais et pesticides sur la santé des populations en Afrique.
Dans la région de Labé par exemple, la Guinée a un sérieux problème lié aux pesticides. Une région où la monoculture de pomme de terre a aussi dégradé les sols. Les agriculteurs ont tellement abusé des pesticides que les terres sont devenues stériles sur certaines zones. Il faut tirer la sonnette d’alarme. Nous préconisons d’organiser des ateliers de sensibilisation des cadres des ministères de l’agriculture qui peuvent à leur tour mieux relayer le message aux agriculteurs à qui l’Etat guinéen distribue les pesticides.
L’agriculture bio peut satisfaire la demande alimentaire des pays africains. En Ethiopie par exemple, un grand pays agricole, il a été démontré dans une étude que des activités agricoles biologiques sur des espaces bien déterminés et aménagés peuvent nourrir toutes les populations. En agriculture biologique, on respecte le cycle des plantes en éliminant les productions saisonnières. Il est possible d’aller vers l’autosuffisance alimentaire en ne faisant que du bio, à condition que ce soit une politique voulue et promue par les pouvoirs publics, d’autant plus que les consommateurs sont de plus en plus exigeants.
Ce qui implique un ensemble de contraintes et de mesures à respecter. Quels sont en Afrique les principaux défis qui se posent au développement de cette filière ?
Parmi les défis majeurs, on pourrait citer l’accès à l’information, la formation et la sensibilisation des agriculteurs, des pouvoirs publics et des consommateurs. Nous assistons à une absence totale de financement des autorités gouvernementales pour accompagner les agriculteurs qui souhaiteraient s’engager dans ce mode de production. Il faut également développer des semences anciennes et biologiques, car aujourd’hui, on retrouve beaucoup de semences hybrides. Il faut dire que nous n’avons pas encore une Fédération à l’échelle du continent, mais il y a des efforts qui sont faits au niveau de l’Afrique de l’Est, en Tanzanie et en Ethiopie qui ont mis en place un standard. C’est ce standard qui constitue la référence en Afrique, mais son application n’est pas encore effective et nous continuons à utiliser la norme européenne.
Nous avons des acteurs de la production bio qui se mobilisent que pour donner un cadre structurel au mouvement de l’agriculture biologique. C’est le cas au Burkina Faso qui a un Conseil national de l’agriculture biologique ; au Sénégal avec la Fédération nationale pour l’agriculture biologique. Le Ghana aussi a une association qui rassemble les acteurs de l’agriculture durable. En novembre prochain, tous ces acteurs se réuniront au Ghana pour définir la politique d’orientation de l’agriculture biologique en Afrique de l’Ouest. La seule réglementation en Afrique actuellement est celle de la Tunisie qui est placée au même niveau d’équivalence que celui du règlement de l’union européenne (UE). C’est elle qui est appliquée en Afrique.
Au-delà de ces défis, quelles sont les opportunités qu’offre ce secteur en Afrique et en Guinée particulièrement ?
Aujourd’hui nous vivons dans un pays ouvert sur le monde et l’Afrique doit d’adapter aux règles du commerce international. Les producteurs en agriculture biologique en Guinée ou en Afrique vivent mieux de leurs productions, comparé aux producteurs classiques, car ils ont une meilleure rémunération et puis le secteur crée de la richesse et des emplois. Les produits certifiés AB se vendent dans le monde entier, car les demandes sont croissantes. La surface mondiale cultivée suivant le mode biologique – certifiée et en conversion – a été estimée à près de 51 millions d’hectares à fin 2015. Elle représentait 1,1 % de l’ensemble du territoire agricole des 179 pays concernés par une enquête, selon les estimations de l’Agence BIO. Plus de 2,4 millions des exploitations agricoles certifiées bio ont été enregistrées en 2015. Dans certains pays, les statistiques ne sont pas disponibles, faisant que ce nombre reste sous-estimé.
Qu’est-ce que vous préconisez pour faire décoller le secteur de l’agriculture bio en Afrique ?
Les démarches pour la promotion de l’agriculture biologique passent d’abord par une volonté des pouvoirs publics. Elle nécessite la création de structures parapubliques de vulgarisation pour l’accompagnement des producteurs pour l’implémentation de l’AB et pour faciliter l’accès aux prêts bancaires et la mise en place d’un partenariat avec une banque agricole. Il faut également moderniser l’agriculture par des outils agricoles adaptés et former des acteurs au numérique pour la digitalisation de l’agriculture. Nous savons également que la création d’une législation sur les produits bio est un levier pour le développement de la consommation. Les producteurs bio ont aussi besoin d’une fédération nationale des agriculteurs, des producteurs et transformateurs bio et d’adhérer aux structures sous-régionales et internationales pour bénéficier de l’expertise de nos pairs.
Sur le terrain comment se développera ce secteur ?
Nous essayons de faire en sorte que cette agriculture biologique puisse bénéficier en premier lieu à la population locale et donc inciter à la mise en place des systèmes participatifs de garantie en vue d’accompagner les producteurs familiaux à aller vers une certification sous forme de systèmes participatifs de garantie. Aujourd’hui, il est clair que les pays africains ne pourront se développer que par le secteur agricole, mais pas n’importe quel secteur agricole. Il s’agit du secteur agricole durable, d’où l’agriculture biologique. Elle constitue l’alternative la plus crédible en termes de préservation de l’environnement, d’impact socio-économique pour nos producteurs familiaux.
Il faut dire que le marché du bio est un marché à fort potentiel, il est très demandeur en produits locaux biologiques issus des pays africains et cela se confirme par les organismes de certification européens qui s’implantent de plus en plus dans nos pays. C’est bien la preuve qu’il y a du potentiel. C’est à nous de travailler afin d’être présents sur ces marchés et de favoriser la compétition de nos produits au niveau du commerce international en termes d’exportation, en mettant notamment l’accent sur les emballages, la qualité et la bonne présentation des produits aux consommateurs et clients.
Propos recueillis par Maimouna Dia