5 classiques de la Côte d’Ivoire des années 80
Alors que le pays subit la crise économique, il est plus que jamais le carrefour de toutes les musiques. D’Alpha Blondy à Monique Seka en passant par Meiway, les premières grandes stars ivoiriennes émergent et s’exportent à l’international.
Photo : Alpha Blondy par Claude Gassian
Alpha Blondy — Brigadier Sabary (1982)
Walaï ! Seydou Koné aka Alpha Blondy a la bénédiction de ses ancêtres… Quand son tout premier LP Jah Glory, tout de reggae cousu débarque en France cet été 1982, personne ne mise sur ce nouvel-apprenti reggaeman. Bob Marley, le « Pape » du genre, venait de mourir en mai 1981. Qui pouvait prétendre faire du reggae après LUI ? N’empêche, l’album d’Alpha Blondy & The Natty Rebels se fraie un petit chemin dans la pépinière des « radios libres », comme on les appelait à l’époque. Car le monopole d’État des ondes radiophoniques avait été cassé, suite à la libéralisation desdites ondes par le régime socialiste de François Mitterand, arrivé au pouvoir en 1981. On assiste alors à une explosion de radios privées, associatives, communautaires, etc. Une initiative que la jeunesse — étudiants en tête — accueille évidemment avec grand enthousiasme. Elle sera le catalyseur de la promotion du sieur Alpha. Voyez-vous même : dans ces premières années du régime Mitterand, Alain Savary engage une profonde réforme de l’école française. Tollé général. On annonce plus d’un million de contestataires battant le pavé des rues de Paris, tous opposés à cette réforme.
Il se trouve sur la face B du vinyle Jah Glory, le deuxième titre c’est « Brigadier Sabari », chanté en Dioula. Traduction « pardon brigadier ». Elle stigmatise les violences policières en Côte d’Ivoire. Les élèves et étudiants parisiens l’ayant écoutée sur les radios libres entendaient « Brigadier Savary ». Ils en ont déduit qu’un reggaeman africain avait adhéré à leur cause et présentait Alain Savary comme un brigadier qui voulait imposer son dictat à l’école publique. La chanson devient l’hymne de certains groupes de manifestants qui la diffusent largement dans les rues de Paris. Par ailleurs, l’émission « Canal Tropical » de feu Gilles Obringer sur RFI assure une large diffusion de l’œuvre et inonde tout le continent africain. Le tour est joué. Un nouveau prophète du reggae est né, Alpha Blondy. Son band se nomme désormais The Solar System. Depuis, il fait le tour du monde et collectionne les disques d’or.
Woya — Kacou anazè (1985)
En 1984, il fallait être un grand fou comme le producteur François Konian, pour croire qu’en montant un groupe urbain de huit membres, il aurait des chances de survivre en cette décennie de conjoncture économique.
Il faut rappeler qu’à mi-chemin de la décennie 80, la Côte d’Ivoire souffre de la cure d’austérité, un remède de cheval prescrit par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Il lui est imposé — comme à bon nombre de pays du continent noir de surseoir à tout investissement, notamment dans le social, afin d’assainir ses finances et rembourser la dette extérieure. Les SODE (Sociétés publiques de Développement), les unes après les autres, mettent la clé sous le paillasson. Les projets de construction d’écoles, de dispensaires, de logements sociaux, tout s’arrête net. Le taux de chômage grimpe à vue d’œil, les foyers révisent leur niveau de consommation. Première victime de cette récession économique : la production musicale.
Et c’est justement au cœur de ce marasme que Konian François crée le groupe Woya qu’il installe en résidence dans la commune rurale de Divo, à environ 160 kilomètres d’Abidjan. Objectif : les initier au travail agricole pendant leur résidence artistique. Une année durant, ces jeunes urbains labourent la terre une partie de la journée puis consacrent l’autre à composer et répéter le répertoire de leur album à venir. En 1985, ils débarquent sur le marché et dans les médias avec l’album Kakou Anazè. Les cinq compositions, toutes joyeusement festives, irriguées du tempo des fanfares des musiques du littoral ivoirien, exhalent un parfum frais, porteur de modernité musicale. L’album tourne en boucle sur la FM nationale. « Kakou Anazè » s’impose alors comme le tube de l’année. Le succès de ce titre ne surprend guère : « Kacou Anazè », c’est le nom de l’Araignée : l’être le plus intelligent et le plus malin dans les contes des Peuples Akan.
Antoinette Konan — Petit quinquin (1986)
Regarder le clip ici (audio basse définition).
Quand feu Fulgence Kassy, celui qui le premier a ouvert les plateaux de la télévision ivoirienne à Alpha Blondy, présente Antoinette Konan à Manu Dibango, alors directeur artistique de l’Orchestre de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (ORTI), elle est engagée comme choriste après son interprétation de « Help » du Nigérian Sonny Okosun.
Sa technique vocale consolidée au sein de l’ORTI, elle produit son premier album en 1984 puis un second en 1986 avec lequel elle participe et gagne le premier prix du Concours Découvertes de RFI avec la chanson « Petit Quinquin ». Sur un air de zouk caribéen, la composition brocarde un p’tit beau gosse fanfaron qui s’est fait éconduire par l’une de ses nombreuses conquêtes. Depuis, en Côte d’Ivoire — en tout cas à l’époque — quand une belle veut stopper net les assauts du dragueur de service, elle lui dit cash : « moi que tu vois là, tu m’as bien regardée ? J’ai pas le temps des petits quinquin dè… » Traduction : « tu me prends pour qui, je ne me laisse pas embarquer par les petits séducteurs ! »
Meiway — Ayibebou (1989)
La décennie 70 restera gravée dans l’histoire comme l’une des plus belles de la croissance économique ivoirienne. Pour tout établissement secondaire en ces années fastes, le must c’était de se doter d’un orchestre de jeunes. Le collège de Grand-Bassam, la première capitale coloniale du pays, à 40 bornes environ de la métropole d’Abidjan, avait donc le sien : Le Pace. Désiré Frédéric Ehui l’intègre en 1978. Lui et ses mignons p’tits copains remportent le 2e Prix de Podium, le célèbre concours de variétés initié par Roger Fulgence Kassy à la télévision nationale. Mais les membres de Pace s’embrouillent lors de la répartition de la prime gagnée au concours. Le groupe explose. Chacun se cherche…
L’année d’après, Désiré Frédéric Ehui fonde les Génitaux (c’est le nom qu’on donnait alors aux jeunes gigolos qui occupaient le temps libre des épouses de grotos, les hommes riches) et prend lui-même Meiway comme nom de scène.
En 1981, Meiway et les Génitaux décrochent cette fois-ci le 1er prix de Podium qui leur ouvre les portes des diffuseurs des grandes villes du pays. Les Génitaux sillonnent tous les grands départements. Sur ces scènes Meiway développe et peaufine son cocktail musical aussi personnel qu’original : sur ses instruments électrifiés, il restitue l’esthétique des fanfares, du Gros-Lot, du Sidder, de l’Abissa ou de l’Abodand, des rythmes populaires de musiques initiatiques, ou de fêtes sociales des peuples N’Zima, (communément appelé Apollos), populations lagunaires à cheval sur la Côte d’Ivoire et le Ghana voisin.
Son premier album déboule en 1989 avec un tube explosif : « Ayibebou » (Rouler les reins en Nzima). L’enjaillement est garanti. Aux quatre coins du pays, on l’applaudit des quatre mains. Le son de Meyway baptisé « Zoblazo » est né. Et le nom de ses albums suivants tout trouvé : « 100% zoblazo », « 200% zoblazo », « 300% zoblazo », etc.
Monique Seka — Missounwa (1989)
Les Attiés sont l’un des sous-groupes du peuple Akan. Questionnez un Ivoirien sur leurs caractéristiques, il vous répond sans sourciller, qu’après leur réussite dans les cultures cacaoyères et caféières, leur grande spécialité c’est la musique. Ce sont les « Congolais » de Côte d’Ivoire. Chaque sous-préfecture du pays attié dispose d’un orchestre et d’une salle de bal populaire. Le fondateur des Grands Colombias du Peuple, l’un de ces orchestres des plus célèbres, c’est le bien nommé chanteur et guitariste Okoi Seka Athanase.
À l’apparition de sa fille Monique à la télé ivoirienne comme choriste dans l’Orchestre de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne, tous les fans du père murmurent que la relève du père et du grand-père est assurée. La suite de la carrière de Monique Seka leur donnera raison. Elle n’imitera pas Papa en reproduisant son « Kété’-Rock » mâtiné de rumba congolaise. Elle opte pour « l’Afro-Zouk », un judicieux métissage des rythmes de son terroir et de zouk martiniquais qui avec le compas haïtien inondait toute l’Afrique subsaharienne depuis longtemps déjà.
Après son premier ballon d’essai « Tantie Affoué » publié en 1985, Monique Seka s’offre les services de l’arrangeur cap-verdien Abel Lima et met tout le monde d’accord avec l’album Missounwa arrivé en 1989. La détonation du titre éponyme gagne toute l’Afrique au sud du Sahara, et tous les circuits des diasporas afros… jusque dans les Caraïbes. On aura attendu trois générations pour entendre le nom des Séka à l’international. Et ça, on le doit à Monique Seka !