Au milieu du XIXe siècle, Paris a à peu près le même visage que sous la Révolution. C’est une ville pleine de ruelles enchevêtrées, aux maisons exiguës, souvent insalubres. Une ville presque dépourvue de grandes artères, où il est difficile de circuler.
Lorsque Napoléon III arrive au pouvoir, il décide d’assainir la capitale : pour ce faire, il fait appel au préfet de la Seine, le baron Haussmann.
Celui-ci décrira plus tard le vieux Paris comme un « dédale presque impraticable » qu’il fallait à tout prix aérer. Mais aussi comme un lieu de dangerosité politique, avec sa population pauvre et ouvrière vivant au cœur même de la ville. Au début du Second Empire, le souvenir des barricades de 1830 et 1848 est encore vivace…
Les travaux vont durer de 1852 à 1870. Haussmann détruit beaucoup de bâtiments et perce de gigantesques artères : le boulevard Saint-Michel, le boulevard Sébastopol, la rue de Rivoli, le boulevard Saint-Germain… Il crée aussi des places, des parcs (les Buttes Chaumont, le parc Monceau) et l’opéra Garnier. Il ajoute également le Bois de Boulogne et le Bois de Vincennes, tout ce qui reste d’un projet haussmannien de ceinture verte.
Haussmann a fait sien le credo des hygiénistes des années 1840, à travers une volonté de faire circuler dans la ville l’air et l’eau. Les percements de nouveaux axes permettent de faire disparaître les poches d’air corrompu et stagnant. Notons que la ligne droite réconcilie alors le point de vue de l’embellissement, celui de l’hygiène et celui des militaires. Pour l’eau, il préconise la généralisation des canalisations, l’amélioration de l’adduction (on va passer de 7 litres par personne et par jour en 1840 à 114 litres en 1873) et l’allongement des égouts (mais pas de tout-à-l’égout avant 1880).
Dans la presse de l’époque, Haussmann a ses laudateurs. Mais aussi ses adversaires : en 1866, dans La Gazette de France, Victor Fournel le traite ainsi d’« Attila de la ligne droite, qui est passé sur Paris comme une trombe ». La Presse, en 1869, ironise sur « la belle harmonie de ses longues rues droites, qui se coupent si agréablement à angle aigu, et dont l’aspect cunéiforme fait le bonheur des hommes de goût ».
En 1867, dans Le Journal, Frédéric Lock dénonce quant à lui à la fois la destruction du patrimoine parisien, mais aussi la cherté imposée des nouveaux logements haussmanniens :
« Nous ne pouvons, sans un serrement de cœur, voir tomber sous la pioche, comme sous le canon, des quartiers entiers disparaissant en quelques jours. Oui, sans doute, certaines rues que vous effacez de la carte de Paris étaient mal tracées ; mais vous en supprimez aussi auxquelles il n’y avait rien à reprocher ; oui, vous débarrassez la ville de maisons vieilles et laides, mais vous n’épargnez pas les plus belles, et vous ne vous arrêtez pas devant celles que consacrent de glorieux souvenirs.
L’art est-il plus intéressé dans ces vastes clapiers à locataires que vous bâtissez, que l’exagération des loyers rend inaccessibles aux anciens habitants du quartier ? Et si les cochers aiment vos larges avenues, droites ou diagonales, qu’y a-t-il là pour le regard du curieux, pour l’étude de l’artiste, pour la pensée de l’historien ?
Pas plus de passé que de style. »
Même chose chez l’un des adversaires les plus acharnés d’Haussmann, Jules Ferry, qui à la fin des années 1860 multiplie les articles critiques dans Le Temps. L’ensemble paraîtra sous le titre de Comptes fantastiques d’Haussmann… En 1868, il écrit :
« Nous l’accusons d’avoir sacrifié sans mesure à l’idée fixe et à l’esprit de système ; nous l’accusons d’avoir immolé l’avenir tout entier à ses caprices et à sa propre gloire ; nous l’accusons d’avoir englouti, dans des œuvres d’une utilité douteuse ou passagère, le patrimoine des générations futures ; nous l’accusons de nous mener, au grand galop, sur le chemin d’une crise redoutable. »
Avant, en 1869, d’ajouter :
« Voici une cité de deux millions d’âmes condamnée à la cherté éternelle, par l’impossibilité où elle sera, pendant plusieurs générations, de réduire d’un centime les taxes de son octroi, et par la hausse permanente des loyers. »
C’est aussi ce point qui cristallise les attaques du député républicain Jules Favre. Celui-ci s’insurge à la Chambre, lors de la séance du 4 mars 1869, contre la création d’un Paris d’où les pauvres sont chassés en direction de la périphérie :
« Repoussés de l’intérieur de Paris par vos démolitions, l’ouvrier, le petit rentier, ne trouvent pas à se loger dans vos maisons nouvelles, et sont obligés de se réfugier aux extrémités, où le prix de toute chose augmente comme dans les plus riches quartiers de Paris […].
Oui, je l’avoue, pour ma part, j’aimais ce vieux Paris dont vous parlez avec tant de mépris ; les classes de la population y étaient rapprochées, les rapports y étaient mieux établis, les domestiques n’y souffraient pas du froid pendant l’hiver, de la chaleur pendant l’été. Aujourd’hui, vous avez horreur de la misère (Bruit), vous l’avez condamnée à l’exil ; il vous faut un Paris dans lequel vous attirez tout ce qu’il y a de dissipé et de prodigue, je n’ose pas dire tout ce qui vous ressemble. (Bruit et rires sur quelques bancs.)
Chassé par l’élévation des loyers de l’intérieur de Paris, puis de la banlieue annexée, l’ouvrier s’est réfugié hors des fortifications, sur des terrains libres, où l’on voit camper des hordes couchant sur la terre (Interruptions) ou dans des habitations en briques, en planches ou en carton bitumé. C’est la barbarie à côté de la civilisation. »
Le coût exorbitant des travaux vaudra à Haussmann d’être renvoyé en 1870, juste avant la chute du Second Empire. L’un des boulevards de la ville, qu’il a lui-même fait percer, porte son nom depuis 1864.