DECLARATION COMMUNE DES PARTIS ET ORGANISATIONS :
Union des Forces Démocratiques (UFD) Alliance pour le Développement et le Progrès de la Guinée (ADPG) Parti pour la Renaissance de la Guinée (PRD) Parti de l’Unité et du Libéralisme social (PULS) Parti pour la Promotion de la Démocratie en Guinée (PPDG) Parti pour la Prospérité et le Renouveau de la Guinée (PPRG) Mouvement National pour la Démocratie en Guinée (MND) Forum National des Jeunes de la Société Civile (FONAJESCG)
NB : La plupart de ces partis s’étaient désolidarisés du texte ou ont disparu)
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THEME : Les cent jours du nouveau Président Alpha Conde – Où va la Guinée ?
[Premier quinquennat 2010-2015 Le 2 avril 2011]
En tant que partis politiques d’opposition et organisations de la société civile, nous avons le devoir de faire la critique de l’action gouvernementale et de son orientation en général, au regard de ce que nous pensons être l’intérêt supérieur de notre pays, l’avenir et le bien être de ses populations. Dans un esprit constructif mais sans complaisance, nous apporterons notre contribution au débat politique et proposerons au pays les solutions qui nous paraissent être les mieux à même de répondre aux énormes défis auxquels la Guinée fait face.
L’accession d’un civil élu à la magistrature suprême, quelles que soient les conditions de son élection, a ouvert une page nouvelle dans l’histoire de notre pays, meurtri par plus de cinquante ans de dictatures sanglantes, de corruption et de misères. Dans ce contexte, prenant en compte l’énormité de la tâche à accomplir par les nouvelles autorités et les usages observés ailleurs dans les démocraties, nous nous sommes volontairement abstenus de toute déclaration pendant les cent premiers jours du nouveau président. Et pourtant, ce n’était pas les sujets à débats qui manquaient au cours des trois derniers mois!
1.Politique générale et Institutions
Dans la plupart des actes posés par le nouveau pouvoir, nous n’avons décelé aucun souci de respecter la lettre, les principes et l’esprit de la Constitution et des lois existantes, bref les règles établies de l’Etat de droit.
Ainsi nous avons eu, dans une précipitation suspecte, la nomination anti-constitutionnelle de deux personnalités négativement marquées par leur esprit partisan, à la tête des deux institutions républicaines que sont le Conseil National de la Communication et le Médiateur de la République. Ces deux postes, hautement importants pour la promotion de la concorde nationale et la défense des libertés, auraient mérité d’être occupés par des personnalités consensuelles, respectées par tous et capables de faire preuve d’équité et d’autonomie, voire d’indépendance, par rapport au pouvoir en place et tout le corps social.
Il y a eu ensuite la destitution à Conakry de maires, de conseillers municipaux et de chefs de quartiers dont le seul tort est de n’avoir pas soutenu le candidat élu. Nous n’avons eu connaissance d’aucune procédure légale particulière montrant, preuves à l’appui, les griefs reprochés à ces élus appartenant à l’opposition. Tous les nouveaux chefs de quartier et les Délégations spéciales des mairies des communes sont des membres du RPG ou de la mouvance présidentielle, à la discrétion du Ministère de l’administration territoriale. Ces décisions, parfaits abus d’autorité, relèvent du règlement de comptes politiques et violent ouvertement les textes et le principe du respect du pluralisme démocratique.
Pour le reste, la politique gouvernementale est complètement illisible, si elle existe ! Il a fallu attendre plus de deux mois et demi avant que le Premier Ministre ne daigne présenter au Conseil National de Transition (CNT), un discours de politique générale, sans aucune possibilité de débat et encore moins de vote. Plus grave, le gouvernement n’a présenté au CNT aucun budget intérimaire devant sous-tendre son action.
Un coup de barre à droite, un autre coup de barre à gauche, le gouvernement donne l’impression de naviguer à vue et de n’avoir aucune politique cohérente et programmée, dans aucun domaine. La valse des décrets et contre-décrets a repris comme à la pire époque du dictateur Lansana Conté, à la différence notable cependant que pour ce dernier, ces errements sont intervenus à la fin d’un règne de plus de vingt ans et non au début! Cette fois, les groupes occultes, véritables fossoyeurs de l’unité et la concorde entre les nationalités et à qui appartiennent en dernier ressort les décisions importantes, sont identifiés : ce sont des coordinations régionales évoluant autour du chef de l’Etat, sans aucune existence légale ni aucun pouvoir constitutionnel. Ces groupes qui agissent à visage découvert au vu et au su de l’autorité publique qui s’en rend complice, violent ouvertement la Constitution en cherchant à substituer l’appartenance communautaire ou régionale à la citoyenneté guinéenne.
Le Premier Ministre lui-même reconnaît que « la promotion est rarement basée sur le mérite ». Dans cette optique toute la valse de nominations à laquelle nous avons assistée depuis trois mois, est teintée de la volonté farouche des nouvelles autorités de placer systématiquement des fidèles et des partisans à tous les postes de responsabilité dans l’appareil d’Etat, sans trop être regardants sur la compétence ou la probité. On peut dire qu’au cours de ces cent premiers jours, nous avons enregistré un net recul en matière de respect du caractère républicain et neutre de l’administration par rapport à la période antérieure. Cette dangereuse tendance à la restauration du Parti-Etat totalitaire, aggravée par la menace qui pèse sur les libertés, si elle continue, est porteuse de graves conflits internes, préjudiciables à l’unité et à la concorde, indispensables pour relever ensemble, les énormes défis auxquels doit faire face le pays.
Tant que nous n’aurons pas une assemblée législative démocratiquement élue, le retour à l’ordre constitutionnel ne sera pas effectif. C’est le lieu de rappeler que lors
des négociations de Ouagadougou entre l’opposition représentée par le Forum des Forces Vives et le CNDD, il avait été convenu de commencer le cycle électoral par les présidentielles ; les législatives et les communales viendraient après. Le départ des militaires du pouvoir était à juste titre considéré comme une première urgence. Il est vrai qu’aucun document n’avait été signé en ce sens à l’époque. L’unique référence est la Déclaration de Ouagadougou du 15 janvier 2010 d’où les Forces Vives étaient exclues. Cette déclaration lénifiante tenant en deux feuillets, n’impliquait comme par hasard, que trois militaires putschistes, sous les auspices du Groupe International de Contact sur la Guinée. L’Accord Politique Global Inter-guinéen, véritable pacte élaboré par le Forum des Forces Vives, fixant les prérogatives et les obligations de tous les acteurs politiques pendant la transition, avait effectivement posé le principe de la tenue des élections législatives six mois après les présidentielles. La transition ne se termine donc qu’après la mise en place de toutes les institutions de la république, c’est-à-dire après les élections législatives. Mais ce document capital pour l’avenir de notre pays n’a jamais été signé et pour cause! Une puissante coalition de forces obscures a empêché que notre peuple ne puisse disposer d’un instrument juridique solide permettant de contrôler les actes posés par le gouvernement de transition issu de la Déclaration de Ouagadougou. Nous reviendrons sur les conséquences dramatiques de cette omission pour l’avenir du processus démocratique en Guinée.
En tout état de cause, les élections législatives doivent être organisées dans les plus brefs délais, en impliquant tous les acteurs politiques dans l’ensemble du processus. Il n’est pas concevable que notre pays s’installe dans la durée sans disposer d’une assemblée du peuple élue à l’issue d’un scrutin libre, équitable, honnête et transparent.
Par ailleurs, dans un souci de moralisation des comportements des hauts serviteurs de l’Etat, la nouvelle constitution dans son article 36 a imposé au Président de la république, aux membres de son gouvernement et à d’autres hauts fonctionnaires, l’obligation de déclarer leur patrimoine dès leur entrée en fonction. La loi prévoit que ces déclarations sont déposées à la Cour Suprême, aux Impôts et au Journal officiel. A ce jour, on ignore si toutes les personnes astreintes à cette formalité l’ont effectuée.
2.Sécurité – Libertés
Les citoyens ont apprécié à juste titre le retour des militaires dans les casernes et la fin de l’état d’exception imposé au pays. De même, la levée des barrages routiers, véritables postes de tracasseries et de péages illégaux, a été saluée par tous. Mais hélas, depuis quelque temps réapparait une grave menace sur la sécurité des citoyens et leurs biens : des coupeurs de route munis d’armes de guerre et parfaitement organisés, terrorisent les voyageurs sur plusieurs axes routiers et parfois même à quelques dizaines de kilomètres de la capitale ! Ces bandes volent, tuent et violent en toute impunité. La fuite de jeunes militaires armés du camp de Kissidougou il y a trois semaines n’est pas pour rassurer les populations.
Au plan des libertés publiques, les signaux délivrés par le nouveau pouvoir ne sont guère rassurants : les déclarations de Mme la Présidente du CNC contre la liberté de presse ne sont pas prêtes d’être oubliées. Des journalistes « mal-pensants » commencent à recevoir des intimidations. Depuis trois mois, contrairement à, ce qui se passait sous la transition et même à l’époque du pouvoir du Général Lansana Conté, les partis d’opposition n’ont pas accès aux médias publics.
Pire, sous le prétexte de contrôler les prix ou de faire appliquer la mesure sur la fermeture des bureaux de change, des sbires civils dont certains sont porteurs d’ordres de mission du RPG et des militaires ont fondu sur les marchés de Conakry, se livrant à des exactions et à des extorsions au détriment des commerçants. Ces actions qui ne sont pas sans rappeler les pratiques de la Police économique de sinistre mémoire sous le régime du Parti-Etat, constituent des violations flagrantes et intolérables des libertés individuelles des citoyens. Plutôt que de s’attaquer comme c’est son devoir au grand banditisme et aux trafiquants de drogue qui sont toujours actifs parmi nous, on préfère criminaliser des professions parfaitement licites et se livrer à des extorsions diverses de sommes d’argent ou des marchandises comme le riz ou le poisson.
De nouveau, comme à la période la plus répressive de la dictature du Parti-Etat, de paisibles citoyens, de par leur profession de commerçants ou de simples marchands, sont injustement accusés d’être des saboteurs, des trafiquants, des voleurs. C’est la méthode bien connue des boucs émissaires, chargés d’endosser la responsabilité de tous les maux de la société et de tous les échecs des gouvernants.
- Gouvernance financière et économique
Dès avant sa prestation de serment, le Professeur Alpha Condé avait prescrit au gouvernement de transition d’arrêter immédiatement les engagements de dépenses
Par la suite, nous avons observé de réels efforts du nouveau pouvoir pour mettre un terme à la gabegie ambiante et aux énormes détournements via les marchés publics. La réinstauration du principe de l’unicité de caisse et de l’engagement des dépenses exclusivement sur la base des fonds disponibles au Trésor, a considérablement diminué les saignées à la Banque centrale. Même s’il reste encore beaucoup à faire pour stabiliser les finances publiques, ces mesures, si elles sont poursuivies, contribueront à restaurer la confiance des bailleurs de fonds et à stabiliser enfin la monnaie pour juguler l’inflation.
Dans le sens de la nécessaire réduction du train de vie de l’Etat, on se serait attendu à ce que le nouveau Président compose un gouvernement resserré. Au lieu de cela, nous avons eu un gouvernement pléthorique, pulvérisant tous les records précédents! On ne peut pas vouloir réduire les déficits publics et l’inflation tout en faisant exploser les frais de fonctionnement de l’Etat.
Des dispositions ont été prises pour mettre fin au scandale de la perception des loyers de la Cité de Nations par les ministres, pour leur propre compte. Il a été annoncé des mesures pour la récupération de biens immobiliers du domaine national illégalement attribués. Dans ce sens, il y a eu la nationalisation de la Cité des chemins de fer, gérée par un Italien, ancien associé du Général Lansana Conté. Par contre, le décret illégal annulant la privatisation de la Ferme avicole de Dioumaya à Dubreka a été pris, sans égard pour la nécessité d’assurer la continuité de la production de cette unité et la sauvegarde des 80 emplois permanents existants.
Une campagne de recouvrement des créances de l’Etat a été engagée. Une longue liste de débiteurs a été rendue publique depuis plus d’un mois. Mais à ce jour, aucune information officielle n’a été communiquée sur les recouvrements réels enregistrés, faisant craindre là aussi, une mesure décidée, uniquement pour obtenir un effet d’annonce auprès du public.
Dans le domaine minier, le Président de la République a annoncé la suspension de la délivrance de nouvelles concessions et l’audit des contrats existants. Des appels d’offres internationaux ont déjà été lancés à cet effet. Tous les nouveaux contrats
devraient être en conformité avec un Code minier en gestation. Ces mesures nous paraissent salutaires pour permettre à la Guinée de tirer un meilleur parti de l’exploitation de ses richesses naturelles. Mais à notre avis, il faudrait aller plus loin sur le pourcentage de participation de l’Etat et surtout sur la nécessité de ralentir la conclusion de nouveaux contrats jusqu’à ce que la production énergétique permette de transformer sur place le minerai brut en métal (fer, aluminium, etc.). C’est à cette seule condition que nous pourrons réellement retenir une bonne partie de la valeur ajoutée sur place et donner un coup de fouet décisif à l’industrialisation, grosse pourvoyeuse d’emplois.
Nous avons eu par la suite ce qu’il faut bien appeler «l’affaire GETMA-BOLLORE ». Nous n’avons rien contre l’une ou l’autre des compagnies, toutes deux françaises. Certains d’entre nous ont même eu à travailler avec des filiales du groupe Bolloré en Afrique. La grande interrogation dans cette affaire est relative aux conditions de l’attribution du marché à Bolloré, de gré à gré, dans la précipitation. Car, contrairement à toutes les proclamations de foi du Président Alpha Condé sur l’exigence de transparence et la nécessité de faire jouer à fond la concurrence, pour de défendre au mieux les intérêts de la Guinée, un marché aussi important a été attribué en violation des procédures existantes sur les marchés publics. Les accointances notoirement connues dans ce dossier font craindre à juste titre que les trafics d’influence tant décriés dans la Françafrique, n’aient joué un rôle déterminant dans la prise de cette décision.
- Politique économique et sociale
Le chef de l’Etat n’a pas manqué de dire qu’il a hérité d’un pays et non d’un Etat. Au bout de 52 ans d’errements, d’incurie et de prédation, la faillite économique de notre pays est une cruelle réalité que vivent dans leur chair, des millions de nos compatriotes. Personne ne pouvait donc raisonnablement exiger de la nouvelle équipe qu’elle résolve immédiatement tous les problèmes du pays. Par contre, le peuple est en droit d’exiger que la nouvelle politique n’aggrave pas ses conditions misérables d’existence. Or, force est de constater que le marasme économique est total ; le peu d’activités qui existaient, tournent au ralenti. En trois mois, l’inflation sur les produits de première nécessité dépasse 30%. Nous assistons à une explosion de la misère qui a atteint un niveau sans précédent dans le pays depuis 1975 de triste mémoire. La famine est endémique dans le pays, en ville comme à la campagne. Le Premier Ministre lui-même reconnait que « nombreux sont les compatriotes qui ont à peine un repas par jour ». Dans les villes, il y a aujourd’hui moins d’électricité et moins d’eau qu’au début de l’année 2011. Dans les campagnes, nous n’avons connaissance d’aucune initiative nouvelle pour creuser des forages au bénéfice des populations. La vérité est qu’actuellement, les populations guinéennes sont dans un état d’urgence humanitaire.
Quelles ont été les réponses du gouvernement? C’est d’abord de se réfugier derrière le lourd héritage des 52 années précédentes. Il y a eu ensuite ces mesures dérisoires de la gratuité des consultations prénatales et la suppression de l’impôt de capitation qui, à 5000 FG le ticket, ne préoccupait plus personne.
Mais nous avons surtout eu la campagne de distribution du riz au prix subventionné de 160 000 FG le sac contre 300 000 au prix du marché. Des cartes de ravitaillement sont vendues avec la promesse de fourniture de riz, d’huile et de sucre à un prix de faveur. Nous en sommes donc revenus au fameux système du ravitaillement cher au Parti-Etat, c’est à dire le contrôle des citoyens par le tube digestif, avec toutes les dérives qui y sont attachées! Mais cette fois, non seulement, les «bénéficiaires» doivent préfinancer l’achat, mais ils n’ont aucune garantie d’être servis. Pire, les autorités profitent de la confusion de la marque entre ce riz et celui vendu par le circuit normal pour se livrer à des saisies de stocks de riz et de poissons. Les stocks confisqués sont vendus de force aux prix officiels ne correspondant pas du tout au coût réel. Bien entendu, les quantités disponibles étant dérisoires par rapport aux besoins de toute la population des villes comme de la campagne, les acheteurs ne peuvent être que des privilégiés choisis par les chefs de quartiers aux ordres de l’administration et du RPG. Ainsi donc l’action du gouvernement n’aboutit qu’à la désorganisation des circuits de distribution, créant une rareté artificielle du produit, au détriment des consommateurs qu’on prétend aider.
Cette politique rétrograde qui n’est sous-tendue par aucune action sérieuse d’accroissement de la production agricole locale, montre jusqu’à quel point le gouvernement n’a pas de politique économique viable. Sinon comment imaginer que la Guinée, avec les terribles expériences vécues dans le passé, en arrive en 2011à recourir à des politiques d’économie de guerre dont le seul praticien actuel dans le monde est la Corée du Nord ? Même Cuba a abandonné cette politique pour s’en remettre – timidement – il est vrai, aux lois du marché. Combien de temps le gouvernement pourra t-il continuer ces subventions?
Nous estimons que le gouvernement devrait mettre en œuvre une politique s’appuyant sur les lois du marché, en partenariat avec les professionnels du secteur. Dans le même temps, les subventions aux importations devraient être plutôt dirigées vers la paysannerie, afin de l’aider à accroître la production agricole, le moyen le plus sûr d’accroitre l’offre et de réduire durablement les prix. D’autres mesures incitatives pourraient être prises pour mieux réguler le marché et garantir un approvisionnement régulier en produits de première nécessité.
Devant l’effondrement total du Franc guinéen sur le marché des devises, le nouveau gouvernement a décidé la fermeture des bureaux de change rendus responsables de la catastrophe! Plus amusant est que le gouvernement, illustrant une fois de plus son manque d’imagination, a déclaré être entrain de réfléchir à une nouvelle réglementation des changes! C’est sans doute la politique bien connue de « j’agis tout de suite et je réfléchirais après ». Toujours est-il que pour un pays vivant en grande partie des envois de ses émigrés, cette politique a rendu la vie encore plus difficile pour des millions de Guinéens.
Cette politique de diabolisation des acteurs du marché s’apparente à celle du médecin qui, au lieu de chercher un vrai remède pour guérir le malade, s’acharne plutôt sur le thermomètre. Sinon comment prétendre que ce sont les changeurs qui sont responsables de la dégringolade de la monnaie ? De mars 1960 à avril 1984, la valeur de la monnaie guinéenne avait été divisée par dix. Et pourtant, à l’époque, il n’existait aucun bureau de change dans le pays. Ceux qui étaient pris avec des devises pouvaient facilement se voir couper la tête. Même au cours de la période antérieure, la monnaie guinéenne a connu des périodes de stabilité qui pouvaient être assez longues, malgré l’existence du marché libre. En fait, les autorités connaissent parfaitement les raisons fondamentales de la faillite de la monnaie guinéenne. Mais sont-t-elles seulement prêtes à dire toute la vérité au peuple de Guinée? Le gouvernement a annoncé son intention d’auditer aux fins d’annulation, tous les marchés de cette période. Mais pourra-t-il encore sauver quelque chose ?
La terrible réalité est que depuis 2009, les gouvernements successifs se sont livrés à une prédation sans précédent et à des gaspillages incroyables de ressources. Le Gouverneur de la Banque centrale a révélé qu’en deux ans, les pompages du Trésor à la Banque centrale ont atteint 6000 milliards de FG, soit trois fois plus que de 1958 à 2008! Il est connu que depuis 2009, des centaines de marchés de gré à gré ont été signés. Dans certains cas, la surfacturation peut atteindre 500% ! Beaucoup de ces marchés ont été entièrement payés d’avance, les complices au gouvernement étant pressés de récupérer leurs commissions avant de rendre les clés au président qui sortira des urnes. Depuis donc 2009, devant la décision ferme de la communauté internationale de refuser de s’engager financièrement en Guinée, les autorités ont utilisé de façon criminelle la planche à billets à leur disposition pour bâtir des fortunes colossales. Cette énorme masse de Francs guinéens a tout naturellement atterri sur le marché libre des changes, entraînant une dépréciation de plus de 50% en deux ans. Les connaisseurs de ces circuits estiment d’ailleurs que cette énorme masse de billets n’a pas encore été totalement absorbée par le marché des changes. La pression sur le Franc guinéen va donc continuer, nonobstant tous les efforts à court terme pour réduire la masse monétaire.
Là aussi, le gouvernement devrait chercher de vraies solutions pour réussir le sauvetage du Franc guinéen en jouant sur l’offre et la demande de devises. Nous n’avons jamais prôné la pratique d’un libéralisme sauvage comme celui que nous avons connu au cours de la période antérieure. Nous nous prononçons pour une économie s’appuyant sur les règles d’un marché libre, mais régulé et encadré, en consultation avec tous les acteurs, pour un développement harmonieux, porteur de justice sociale.
- Réconciliation nationale
Après les événements graves de Kouroussa et Siguiri, suivis de ceux qui ont éclaté en réaction à Conakry, Labé, Pita et Dalaba, entre les deux tours de l’élection présidentielle, la communauté nationale a subi de graves traumatismes. La Guinée qui n’est pas loin de là, une nation, est aujourd’hui menacée de dislocation, par la faute de politiciens égoistes qui se servent de l’appartenance communautaire pour arriver à leurs fins.
Plus grave, toute l’histoire de la Guinée depuis 1958 est jalonnée de crimes et de violences de toutes sortes contre des citoyens innocents. On ne parle plus des victimes et des crimes du Parti-Etat, des assassinats de juillets 1985, ni de ceux de 2006-2007, ni des morts, disparus ou violés du Stade du 28 septembre, ni des victimes des événements de novembre-décembre 2010 au cours desquels le viol a été utilisé comme arme de terreur politique.
C’est certainement sur ce chapitre que le nouveau président était le plus attendu. Pendant la campagne, il n’a eu cesse que de répéter qu’il allait s’attaquer à l’impunité, promettant d’être le président de tous les Guinéens. Mais hélas, force est de constater qu’il n’a pas été au rendez-vous.
A aucun moment dans ses discours, il n’a donné l’impression de s’adresser à toute la communauté guinéenne. Au contraire, il s’est plutôt ostensiblement adressé à ses électeurs et électrices. Le Président a parlé de «Vérité et réconciliation», mais aucun acte concret n’a été posé pour donner un contenu à ce projet salutaire pour recoudre le tissu communautaire déchiré. Rien ne dit que les audits qui sont agités de temps en temps ne seront pas de simples armes dirigées contre des adversaires politiques.
Nous estimons que la Guinée a urgemment besoin d’une véritable Conférence nationale – Vérité, justice et réconciliation – pour tirer les leçons des erreurs du passé, bâtir un nouveau consensus en ressoudant toute la communauté, en finir avec l’impunité, afin de lancer le peuple à l’assaut de la reconstruction.
- LES PROPOSITIONS
- Relance du processus électoral
Il est de la première urgence de relancer le processus électoral pour permettre la tenue des élections législatives, communales et communautaires.
Pour ce faire, les acteurs politiques et tous les partenaires du processus doivent travailler dans un esprit de consensus, dans le respect des textes légaux votés par le CNT. Le chronogramme pourrait être le suivant :
- – Adoption par le CNT des textes sur la CENI et promulgation par le Président de la République
- – Mise en place d’une nouvelle CENI et de ses démembrements
- – Mise en place de nouvelles CARLE
- – Lancement de la révision des listes électorales en Guinée et à l’extérieur – Recensement dans des pays qui avaient été injustement omis lors du premier recensement
- – Fixation du chronogramme des élections.
Cette fois nous demandons qu’aucune élection ne soit convoquée avant que toutes les cartes électorales n’aient été distribuées aux ayants droit.
- Mesures économiques et sociales d’urgence
Le gouvernement doit réaliser que la grande majorité des Guinéens est à bout et ne peut pas supporter l’attente des programmes de développement à long terme. Il y a donc nécessité de lancer un programme d’urgence pour améliorer les conditions de vie de la population, avant que les initiatives éventuelles prises pour un développement durable ne produisent leurs effets.
A cet effet, nous préconisons les mesures suivantes :
- Rechercher en urgence des ressources financières d’origine interne (redevances domaniales et fiscales, créances de l’Etat, etc.) et externe (emprunts auprès de bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux, dons, etc.).
- Négocier avec les organisations syndicales une augmentation immédiate des salaires des serviteurs de l’Etat et des retraités afin de rattraper au moins en partie l’inflation qui a grevé leur pouvoir d’achat depuis 2007. Le taux pourrait aller de 30 à 50% d’augmentation selon le niveau de salaire, avec priorité aux bas salaires. Le secteur privé sera encouragé à faire un geste dans le même sens.
- Procéder à la remise en état des installations existantes de fournitures d’eau et d’électricité ; engager des forages en zones rurales.
- Engager des actions d’urgence en faveur de l’agriculture, de l’éducation et de la santé.
- Tout ce programme sera accompagné d’un budget à soumettre à un vote du CNT.
Ces mesures seront accompagnées d’un effort sans faille de continuation de l’encadrement de la dépense publique, la récupération des créances et des recettes de l’Etat et l’assainissement du fichier de la Fonction publique et des Forces de sécurité.
La collaboration avec le secteur privé sera renforcée afin de garantir le succès de ces mesures destinées avant tout à relancer l’économie et à soulager la population.
III. POUR L’UNION DE TOUTE L’OPPOSITION
Depuis la fin des élections présidentielles, tout le monde politique s’interroge sur les formes que pourraient prendre la concertation et l’organisation des forces politiques. Nous avons toujours prôné l’union de toutes les forces politiques et sociales sincèrement engagées dans la lutte pour le changement véritable. A cet égard, nous pensons qu’il est indispensable de tirer les leçons du passé. Ainsi, nous avons été témoins de l’énorme espoir soulevé par la constitution du Forum des Forces. Cette organisation a bien conduit la lutte contre la junte militaire. Mais nous devons reconnaître que les Forces Vives sont responsables de l’énorme catastrophe politique, économique et sociale que vit le peuple de Guinée en ce moment. Plutôt que de promouvoir le changement, le Forum des Forces vives a enfanté un gouvernement qui a achevé de ruiner notre pays. D’énormes fortunes ont été bâties sur le dos des victimes du Stade du 28 septembre.
Plus grave, la participation des syndicats et de la société civile au gouvernement a privé le peuple de toute force revendicatrice et de tout recours face au pouvoir politique.
Des initiatives sont prises en ce moment pour reconstituer les Forces vives. Mais nous estimons pour notre part, qu’il ne nous est pas possible de nous associer à des regroupements quelconques sans tirer d’abord les dures leçons du passé récent. Nous n’avons aucune attitude sectaire à l’égard de quelque parti que ce soit. La confusion et l’amalgame ne peuvent servir de base à un regroupement fécond de l’opposition. Vouloir regrouper sans principe tous les partis, y compris des « mouvanciers » déçus de l’Arc en ciel ou des exclus du partage, n’est pas le meilleure moyen d’offrir de véritables perspectives de changement à la population.
En revanche, nous préconisons la constitution d’un véritable front de l’opposition afin de défendre les acquis de la lutte pour la démocratie et pour œuvrer au progrès de la Guinée.
Les partis signataires de la présente déclaration font appel à toutes les autres forces d’opposition, afin de constituer ce front.
Fait à Conakry, le 2 avril 2011
Ont signé cette déclaration :
Union des Forces Démocratiques (UFD)
Représenté par Mamadou BAH
Alliance pour le Développement et le Progrès de la Guinée (ADPG)
Représenté par M. Abdoulaye CAMARA
Parti pour la Renaissance de la Guinée (PRD)
Représenté par M. Thierno Mamoudou BAH
Parti de l’Unité et du Libéralisme social (PULS)
Représenté par M. Ibrahima Bela BAH
Parti pour la Promotion de la Démocratie en Guinée (PPDG)
Représenté par M. Joseph COLY
Parti pour la Prospérité et le Renouveau de la Guinée (PPRG)
Représenté par M. Ben Daouda NASOKO
Mouvement National pour la Démocratie en Guinée (MND)
Représenté par M. Lah Bamba Robert
Forum National des Jeunes de la Société Civile (FONAJESCG)
Représenté M. Salifou CAMARA