Biens mal acquis : quand les milliards de l’Afrique rachètent des villas américaines
Un récent rapport dénonce l’opacité du secteur immobilier américain, fréquemment utilisé pour blanchir de l’argent. Dans 13 % des cas étudiés, les capitaux proviennent d’Afrique subsaharienne.
Détournement d’argent, recours à des sociétés écrans et à des avocats spécialisés, réglementation insuffisante … 88 % des biens immobiliers achetés aux États-Unis sur la période 2015-2020 auraient été acquis en passant par un intermédiaire. Le marché immobilier est régulièrement utilisé pour blanchir de l’argent venant de l’étranger et le continent n’est pas épargné par ce phénomène international. Dans 13 % des affaires identifiées aux États-Unis, l’argent illicite provenait d’Afrique subsaharienne
C’est l’un des enseignements du rapport de l’ONG Global Financial Integrity (GFI) et du groupe de travail Financial Transparency Coalition. Paru début août, il est signé par les analystes Lakshmi Kumar et Kaisa de Bel. Intitulé « Acres de blanchiment d’argent : pourquoi l’immobilier américain est le rêve des kleptocrates », le rapport analyse de plus de 100 cas de blanchiment d’argent dans le secteur de l’immobilier signalés entre 2015 et 2020 dans trois pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni et Canada).
La conclusion de Lakshmi Kumar et Kaisa de Bel est que la réglementation américaine actuelle « présente des lacunes critiques qui demandent une réforme complète » du secteur.
Le rapport identifie que dans environ 13 % des cas étudiés, l’argent illicite provenait d’Afrique subsaharienne : Guinée, Gambie, Nigeria et République du Congo. L’étude fait à nouveau mention de cette dernière dans la section consacrée au Canada.
Le Nigeria figure lui parmi les cinq premiers lieux d’origine des PPE (personnes politiquement exposées), définies comme des individus qui jouent ou qui ont joué un rôle politique de premier plan. Plus de la moitié des cas américains de blanchiment d’argent cités concernaient des PPE.
Le cas Diezani Alison-Madueke
Parmi ces personnes politiquement exposées figure entre autres le nom de Diezani Alison-Madueke, ancienne ministre nigeriane du pétrole de 2010 à 2015 sous la présidence de Goodluck Jonathan. Dans son cas, tous les critères étaient réunis : détournement d’argent par une personnalité politique haut placée, recours à des sociétés écrans et à des avocats spécialisés, réglementation locale insuffisante…
Au total, celle qui fut la première femme femme à occuper la présidence tournante de l’Opep, est accusée d’avoir blanchi, avec d’autres responsables politiques, plus de 1,5 milliard de dollars (environ 1,3 milliard d’euros) en avions, yachts, bijoux, iPhones en or et biens immobiliers à Londres, New York et en Californie.
En mai 2021, Abdulrasheed Bawa, président de la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) du Nigeria, a annoncé que 153 millions de dollars (140 millions d’euros) et plus de 80 propriétés d’une valeur totale de 80 millions de dollars (60 millions d’euros) avaient été saisis.
Diezani Alison-Madueke nie en bloc les accusations de corruption et de détournement de fonds. Elle a fui son pays natal en 2015 pour s’installer à Londres et éviter les poursuites judiciaires.
Mieux vérifier l’identité des acheteurs
Le rapport du GFI émet enfin une série de recommandations à adopter par les États-Unis, en s’inspirant de ce qui a pu se mettre en place dans les pays du G7.
Le GFI souhaite notamment une utilisation étendue des Geographic Targeting Orders (GTO), qui exigent que les compagnies d’assurance de titres immobiliers identifient les personnes physiques derrière les achats immobiliers faits par des sociétés écrans.
Au-delà des compagnies d’assurance, le rapport considère que les agents immobiliers, les professionnels du droit et les conseillers financiers devraient eux aussi être tenus d’identifier les bénéficiaires effectifs d’un achat résidentiel quand ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans la transaction.
GTO, KÉSACO ?
Les GTO – (Geographic Targeting Orders) qui exigent d’identifier des personnes physiques derrière des achats immobiliers- ne sont à l’heure actuelle imposés que dans certaines régions, celles de New York et de Miami par exemple. Ils ne sont émis qu’à partir d’un montant minimum de 300 000 dollars (256 000 euros) et ne sont valables que pour une durée limitée : des conditions insuffisantes pour prévenir le blanchiment d’argent selon le rapport. Les États-Unis sont aujourd’hui le seul pays du G7 à ne pas exiger que les professionnels de l’immobilier se conforment aux lois et aux réglementations relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent. Pourtant d’après le rapport 88 % des biens immobiliers achetés aux États-Unis sur la période 2015-2020 ont été acquis en passant par un intermédiaire.
Anaëlle Salamon
Source jeune afrique