La déclaration de M. Sidya Touré, président de l’UFR à l’émission « les grandes gueules » de la radio Espace-Fm le lundi dernier officialisant qu’« en cas de second tour à la présidentielle opposant Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, l’UFR ne soutiendra pas le candidat de l’UFDG » a provoqué un séisme politique à Conakry. Cette déclaration est lourde de conséquences pour l’avenir politique immédiat aussi bien de Sidya Touré que de Cellou Dalein Diallo.
Une rivalité entre deux ambitions
La rivalité entre les deux hommes a pris le dessus sur l’indispensable alliance stratégique entre les deux formations qu’ils président. Cette situation est du pain bénit pour Alpha Condé dans le cadre de la stratégie électorale en cours.
En effet, à cinq mois de la date fixée pour le premier tour de la présidentielle et sans attendre de savoir quelle sera la situation qui prévaudra à ce moment, le rejet d’un soutien à Cellou Dalein Diallo au second tour est tacitement perçu comme un appel en faveur d’Alpha Condé. Ainsi, une clarification s’impose au niveau des dirigeants de l’ensemble de l’opposition pour indiquer leur réelle position vis-à-vis de la gouvernance d’Alpha Condé. Cette interrogation est d’autant plus légitime que cette nouvelle escalade du clivage entre Cellou Dalein et Sidya Touré a été précédée par la publication d’un entretien compromettant que Baïdy Aribot a eue avec une éminente personnalité du gouvernement. Alors, le risque d’un suicide politique collectif est tel que des cadres des deux partis se sont empressés de mettre en place un comité de médiation pour éteindre l’incendie. Cette initiative est à encourager pour éviter l’implosion de l’unité de l’opposition ; car les enjeux dépassent ces querelles d’egos.
L’unité de l’opposition pour le maintien de la cohésion nationale
La crise de leadership au sein de l’opposition fragilise davantage une cohésion nationale sérieusement malmenée par la gouvernance actuelle. Alpha Condé a toujours bâti sa stratégie politique sur l’exploitation et les manipulations ethnocentriques. « Tous unis contre les Peuls » est son credo. Pour lui, Peul = Opposition = UFDG. La fracture actuelle ne pourra que cristalliser encore une fois la stigmatisation contre les Peuls. Sa récente déclaration à Kankan « La Guinée appartient aux Soussous, aux Forestiers et aux Malinkés », excluant le plus grand groupe ethnique du pays (45 % de la population), est une parfaite illustration de la volonté de marginalisation et d’exclusion de cette communauté. L’éloignement de l’UFR vis-à-vis de l’UFDG encouragera les fascistes au pouvoir de mettre en exécution leur « solution finale de la question peule ». Qu’on le veuille ou non, l’idéologie politique dominante au niveau de la génération des plus de 50 ans est celle léguée par le PDG de Sékou Touré, dont l’ethno-stratégie, les violations massives des droits de l’homme et la négation des droits fondamentaux des citoyens étaient érigées en système politique et qu’il faut maintenir. Le slogan d’Alpha Condé n’est-il pas de « ramener la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée » !
Une opposition divisée encourage Alpha Condé à intensifier la répression
A l’aune de la durée au pouvoir, les lignes directrices du système politique du régime guinéen se sont éclaircies à travers une utilisation sélective des moyens de répression sur le territoire guinéen.
En Guinée-Forestière, il s’agit de domestiquer les élites locales à l’aide d’une distribution de privilèges aux plus dociles accompagnée d’une répression brutale de type colonial contre les populations, comme à Zogota, où une dizaine de villageois furent sauvagement tués nuitamment par des agents des forces de l’ordre ou à Womey, où toute une sous-préfecture fut illégalement transformée en une zone militarisée.
Au Foutah et dans les fiefs de l’UFDG, toute manifestation pacifique enregistre des victimes tuées par balles réelles tirées par les forces de l’ordre. En plus de cette répression visible, des bandes armées recrutées dans les milieux criminels sèment impunément la terreur dans les quartiers de Conakry, notamment à Ratoma. Ces bandes procèdent à des assassinats ciblés pour éliminer des cadres administratifs et politiques qui dérangent : Mme Aïssatou Boiro, Thierno Aliou Diaouné, le commissaire Pascal Bangoura, le chef des motards de l’UFDG Amadou Oury Diallo, pour ne citer que ceux-ci.
Les révélations faites depuis la prison par Mohamed Junior alias Cissé alias Diallo, présenté comme le tueur de l’ancienne directrice du trésor, Mme Aïssatou Boiro, affirmant qu’il a été recruté par les bons soins d’Alpha Condé pour « assurer la sécurité de Conakry » n’en sont que plus graves.
En ce qui concerne la Basse-Guinée, le régime manie la carotte et le bâton. Là il faut éviter l’utilisation d’armes à feu. Il faut appliquer le « soft power », c’est-à-dire acheter les consciences, distribuer des postes ministériels et intimider les récalcitrants et les réfractaires. De là découlent la nomination de Kassory Fofana et la mission confiée à Malick Sankhon du CRAC.
Désormais, cette politique sera intensifiée pour dépeupler notamment les rangs de l’UFR et réduire ainsi politiquement Sidya Touré. Pour cela, chouchouter dans un premier temps certains de leurs responsables en leur faisant miroiter une possible participation au gouvernement ne coûte pas grand chose aux stratèges du régime.
Enfin, en Haute-Guinée, le discours présidentiel est à double détente. Il distille un langage de peur : « Votre sécurité collective dépend de mon maintien au pouvoir, sinon attendez-vous à pire qu’en juillet 1985 ». Il se fait également le restaurateur de la fierté malinkée : « Il a fallu que j’arrive au pouvoir pour que les Malinkés à Conakry osent parler leur langue ».
Malgré cette boulimie à vouloir opposer les Malinkés au reste de la communauté nationale, il est évident que plusieurs cadres du RPG sont exclus et marginalisés dans la gouvernance d’Alpha Condé. Paradoxalement, ce sont les collaborateurs du général Lansana Conté qui sont les plus présents à la Présidence. Un espace politique reste ainsi disponible pour Lansana Kouyaté et les rénovateurs potentiels du RPG. Alpha Condé ne partage pas le pouvoir. Il en a une conception totalitaire et hyper-possessive et il ne recule devant rien pour assouvir son ambition despotique. Tant pis pour ceux qui se laisseront entraîner dans son sillage !
Que faut-il attendre d’un dialogue politique dans ce contexte de désunion ?
L’instruction donnée au Premier ministre par Alpha Condé d’ouvrir le « dialogue » entre la mouvance et l’opposition met totalement de côté la revendication minimale sur l’inversion du calendrier électoral entre la présidentielle et les communales. Selon l’ordre de jour gouvernemental, ce dialogue ne mettra pas en cause l’existence des délégations spéciales et recommandera seulement à la CENI de communiquer davantage avec tous les acteurs du processus électoral. Comment justifier une participation à un dialogue où les positions d’Alpha Condé seront d’ores et déjà validées ? Aller dans ce sens, ce serait un véritable suicide politique. En effet, la volte-face des principaux responsables de l’opposition reniant la déclaration de Paris du 23 mars 2015 est déroutante et déconcertante.
Signer un texte qui stipule qu’« au regard des dérives constatées, M. Alpha Condé perd toute légitimité pour présider encore aux destinées de la Guinée. Son maintien au pouvoir constituerait une grave menace pour la paix et l’unité de la Guinée et pour la stabilité de la sous-région », engager des manifestations populaires par la suite qui ont enregistré six personnes tuées et rétropédaler enfin pour valider la stratégie gouvernementale sans la moindre inflexion sont des actes qui jettent un profond trouble dans l’opinion. Peut-il en être autrement ? Difficile !
L’acceptation de l’invitation d’Alpha Condé par le chef de file de l’opposition a été une première brèche qui a facilité le jeu du pouvoir. Ensuite, les différentes déclarations de responsables de l’opposition plus accommodantes les unes que les autres à l’égard de « l’appel au dialogue politique » sont une capitulation pure et simple. Encore une fois, les responsables de l’opposition se sont tiré une balle au pied avant même que la course ne s’engage. Si cette attitude n’avait de conséquences que seulement sur leurs ambitions personnelles, alors le désastre ne serait pas grave. Malheureusement, c’est le destin de tout un pays et l’avenir de millions d’individus qui sont en jeu. Perte de crédibilité sur le plan international, méfiance et suspicion sur le plan interne, démoralisation des troupes de militants et désespérance du plus grand nombre sont l’aboutissement tragique des journées de manifestations où six personnes ont été tuées et des dizaines d’autres condamnées. Beaucoup de personnes de tous les bords se sentent trahies. En allant siéger avec le gouvernement dans le cadre des instructions présidentielles, les responsables de l’opposition accordent ainsi une prime à l’impunité.
Le piège d’Alpha Condé marque des points
Au regard de ces multiples va-et-vient, Alpha Condé se frotte les mains. Son piège habilement ficelé a réussi à faire imploser l’unité des deux principaux dirigeants de l’opposition. Le statut de chef de file de l’opposition adopté à moins d’un an de la fin de son mandat a exacerbé la rivalité entre Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré. Cette initiative n’a nullement pour objectif l’amélioration du climat politique par l’institutionnalisation d’un dialogue permanent exécutif-opposition, car elle n’a aucune justification dans le cadre d’un système présidentiel.
En effet, en 2005 et 2006, au moment où le PUP, l’UPR et l’UPG siégeaient à l’Assemblée nationale, les partis significatifs de l’opposition de cette période, à savoir l’UFDG, le RPG et l’UFR étaient extraparlementaires car ils avaient boycotté les législatives de 2002. Afin d’institutionnaliser les relations entre l’opposition au régime du général Conté et la mouvance présidentielle, une proposition de loi portant sur le statut de l’opposition avait été négociée. Le statut protocolaire et institutionnel de chef de file de l’opposition décerné à Cellou Dalein Diallo en présence du président Hollande a été un moyen pour contrecarrer la proposition de l’UFR d’une candidature unique de l’opposition à la prochaine présidentielle. Alpha Condé montre ainsi une réelle capacité tactique pour diviser ses adversaires. Il réédite ainsi sa prouesse d’avoir tout le temps réussi à exacerber la rivalité entre Siradiou Diallo du PRP et Bâ Mamadou de l’UNR afin de les neutraliser et de les affaiblir. Sa tactique est toujours la même : exacerber les rivalités en opposant des égos surdimensionnés.
Quelles perspectives, alors, pour le combat démocratique ?
Le processus électoral en cours augure d’une amplification de la crise politique. Le fichier électoral est totalement corrompu. L’enrôlement d’écoliers mineurs à la demande expresse d’Alpha Condé en Haute-Guinée en est une illustration concrète. La CENI est totalement inféodée au chef de l’exécutif guinéen. Les administrations territoriales et locales sont les appendices de l’Etat-Parti. La cour suprême et la cour constitutionnelle sont sous ordres. Dans ce contexte, comme par le passé, les résultats sont dictés avant même que les élections ne soient organisées. Pendant ce temps, la crise sanitaire Ebola se maintient en faisant des ravages dans la zone économiquement stratégique de Kamsar-Sangérédi. La pauvreté a atteint des niveaux insoutenables et le taux de croissance économique est pratiquement nul voire négatif.
Alpha Condé peut maîtriser et dicter sa volonté aux acteurs du processus électoral mais il ne pourra pas endiguer le flot des revendications populaires qui sont en attente depuis très longtemps. Avec Alpha Condé, la crise est devant nous et la Guinée est en danger.
Rénover l’action politique
La situation actuelle est un grand moment dans l’histoire politique de la Guinée car elle met en relief la nécessité impérieuse de rénover profondément l’engagement politique. Des réponses précises doivent être données à la société guinéenne. Pourquoi sommes-nous en politique ? Notre engagement est il motivé seulement par la recherche des honneurs pour nous-mêmes ? A la lumière de notre propre vécu, quelles sont les causes qu’on prétend défendre ? Quel projet démocratique propose-t-on ? Quels sont nos rapports avec la citoyenneté ? Etc. Ce questionnement pour une identification plus fine du personnel politique est essentiel pour rompre la longue chaîne des dictateurs et des prédateurs qui se succèdent au pouvoir dans notre pays.
Désormais il faut de plus en plus que les citoyens exigent de ceux qui prétendent les gouverner des qualités comme l’exemplarité, le sens de l’honneur et de la responsabilité, une conscience élevée de l’intérêt national et une haute moralité afin de réconcilier les Guinéens avec la politique. Ces qualités humaines sont des viatiques pour faire émerger un leadership éclairé, compétent, totalement voué à la cause publique pour définir et accompagner de véritables programmes de transformations sociales et économiques de la Guinée. C’est possible et nous sommes condamnés à travailler dans ce sens. Le prochain congrès de l’UFDG pourrait y contribuer.
Bah Oury
Ancien ministre de la Réconciliation nationale
Premier vice-président de l’UFDG