Le jour où Papa Wemba est mort sur scène, par A’Salfo
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Le 24 avril 2016, l’icône de la musique congolaise s’effondre en plein concert, à Abidjan. Organisateur du festival où il se produisait, Salif Traoré, dit A’Salfo, du groupe Magic System, était aux premières loges.
Quelques heures avant qu’il ne monte sur scène, je suis passé voir Papa Wemba dans sa loge. J’avais l’impression de voir un footballeur qui s’apprêtait à entrer sur le terrain. Il était en train de s’échauffer, alternant les étirements et les mouvements de fitness. Il était en pleine forme et me
l’avait dit : il était très heureux d’être à l’affiche du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua). Quand je le lui avais proposé quelques mois plus tôt, il n’avait pas hésité. Il avait même révélé sa présence plus tôt que prévu, alors que nous souhaitions entretenir le suspense. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas chanté à Abidjan !
Papa, c’était notre idole, la superstar de cette édition. Alors ce 24 avril, il était bien sûr le dernier à monter sur scène. La nuit était avancée quand il a commencé à chanter, avec sa grande veste blanche et noire et son haut chapeau rouge. Un super show avec ses danseuses, comme toujours. Moi, j’étais juste derrière la scène, dans une loge, j’entendais tout. La rumba, sa voix incroyable, la clameur du public. On était heureux.
« Rien, sinon le silence »
Il était près de 5h30 du matin, j’étais en interview avec un journaliste. Je me souviens qu’il venait de me demander quel bilan je tirais de cette édition du Femua. C’était comme prémonitoire, car je lui avais dit : « Je ne peux pas répondre tant que ce n’est pas fini ». Quelques instant plus tard, la musique s’est coupée. Un étrange silence s’est installé. Il y avait 10 000 personnes, des techniciens, des danseurs, un chanteur, mais c’est comme si tout à coup, il n’y avait plus personne. Rien, sinon le silence.
Quelqu’un – je ne sais même plus qui tant ces instants sont confus – m’a dit : « Il y a un problème ». J’ai accouru sur scène. J’ai vu Papa Wemba allongé par terre, avec l’équipe médicale autour de lui. Le médecin m’a dit qu’ils l’évacuaient. Ils l’ont installé dans l’ambulance, que j’ai suivie avec ma voiture jusqu’à l’hôpital de l’Hôtel Dieu de Treichville.
TOUT S’EST EFFONDRÉ AUTOUR DE MOI, J’AI EU L’IMPRESSION DE CHAVIRER
L’attente a débuté. C’était dur, mais je pensais que c’était un petit malaise, un coup de fatigue. Je ne pouvais imaginer que quelque chose de grave était en train de se passer. Dans le hall de l’hôpital, j’étais avec Cornely Malongi, le manager de Papa Wemba, et Bazoumana Coulibaly, collaborateur de Hamed Bakayoko, alors ministre de l’Intérieur, qui était ce soir-là au concert, quand un médecin est arrivé. Il était 6h30 du matin. Il m’a appelé et on s’est tous levés, mais il a insisté : il voulait me voir seul.
La montre de Papa Wemba
On s’est mis à l’écart, il a glissé la main dans la poche de sa tunique blanche et il en a sorti la montre de Papa Wemba. J’entends encore ses mots. Il m’a dit : « C’est fini. Le Vieux a décidé de quitter cette terre à Abidjan. » Tout s’est effondré autour de moi, j’ai eu l’impression de chavirer. La demi-heure qui a suivi a été très longue. Je ne pouvais rien dire à personne, il fallait que je prévienne les autorités et la famille. J’ai essayé d’appeler le ministre de la Culture, Maurice Bandaman, mais il n’a pas répondu. J’ai tenté de joindre Hamed Bakayoko, qui était un fan de musique, il n’a pas décroché. Tout le monde dormait.
« Hamed » a été le premier à me rappeler, quelques minutes plus tard. Il m’a rassuré, m’a dit que le président Ouattara allait prévenir Joseph Kabila, le chef de l’État congolais. On a appelé les proches de Papa Wemba, et puis très vite, il a fallu préparer un communiqué. C’était un dimanche matin, les gens allaient se réveiller et tout le monde allait s’interroger. Avec Aby Raoul, le maire de la commune de Marcory, le journaliste Claudy Siar et Serge Fattoh, l’animateur du Femua, on a pesé chaque mot. À 11 h pile, on l’a annoncé : Papa Wemba, le baobab de la rumba, est mort. À y repenser, j’en ai encore la chair de poule. »