Guinée : « Le parti
d’Alpha Condé est
obligé de se
réinventer »
Si la date de la présidentielle n’est
toujours pas connue, les premiers
prétendants se sont fait connaître au
sein du RPG Arc-en-ciel. Mais aurontils l’onction d’Alpha CoSouleymane Camara, jeune cadre de
la formation, analyse les enjeux de
cette succession.
Cinq mois après avoir perdu le pouvoir, le RPG Arcen-ciel veut déjà le reconquérir. Alors même que le
président Mamadi Doumbouya n’a pas encore fixé la
durée de la transition, la prochaine présidentielle est
dans tous les esprits. Mais qui choisir comme candidat
? L’ancien président de l’Assemblée nationale,
Amadou Damaro Camara, vu comme le dauphin
d’Alpha Condé ; l’ex-Premier ministre, Ibrahima
Kassory Fofana ou encore l’ancien chef de la
diplomatie, Ibrahima Khalil Kaba, technocrate
chouchou des jeunes. Qui sera le meilleur candidat, à
même d’obtenir à nouveau la confiance des Guinéens
après onze années d’une gouvernance en demi-teinte
?
Coupé de sa famille politique depuis son
renversement le 5 septembre dernier, et actuellement
soigné à Abu Dhabi, Alpha Condé n’a pour l’heure
transmis aucune consigne. Et le mode de désignation
du scrutin n’est pas encore fixé. Amadou Damaro
Camara et Ibrahima Kassory Fofana, qui pensent
avoir le soutien de l’état-major de leur parti, prônent
une désignation consensuelle tandis qu’Ibrahima
Khalil Kaba préfèrerait s’en remettre à la base et
organiser des primaires.
Militant du RPG Arc-en-ciel « depuis toujours »,
Souleymane Camara fait partie de la jeune génération
du parti, convaincue de l’urgence pour la formation de
se réinventer. Ancien conseiller principal de l’exministre de la Communication Amara Somparé et
coordinateur de la cellule de communication du
gouvernement sous l’ère Alpha Condé, cet homme du
sérail analyse pour Jeune Afrique les enjeux de cette
bataille de succession.
LES NOUVELLES D’ALPHA
CONDÉ SONT TRÈS RARES,
PEU DE PERSONNES SONT EN
CONTACT DIRECT AVEC LUI
Jeune Afrique : À la mi-janvier, l’ancien
président a été évacué vers les Émirats arabes
unis pour des raisons sanitaires. Avez-vous de
ses nouvelles ?
Souleymane Camara : Je sais qu’il continue de
passer un certain nombre d’examens.
Malheureusement, les nouvelles qui nous arrivent
sont très rares car peu de personnes sont en contact
direct avec lui. De toute façon, la priorité pour
l’instant, c’est qu’il recouvre sa santé.
Depuis le putsch, comment va son parti, le RPG
Arc-en-ciel ?
Les instances du parti travaillent d’arrache-pied et
tiennent courageusement le gouvernail. Mais une
chose est sûre, nous sommes condamnés à nous
réinventer. Il faut que nous fassions un bilan sans
complaisance de nos onze années de gouvernance. Il
y a eu des avancées concrètes dans divers domaines,
mais il y a aussi eu des manquements, notamment
dans la lutte contre l’impunité. Le parti n’avait
pourtant pas manqué d’alerter le gouvernement.
À LIREGuinée : le parti d’Alpha tourne la page Condé
Nous devons aussi réfléchir à notre orientation
idéologique, au renouvellement de certaines
instances, ou encore à la question de la présidence du
parti et celle de la désignation de notre candidat à
l’élection présidentielle.
Qui sont les potentiels successeurs d’Alpha
Condé ?
Trois personnalités se détachent à ce jour et elles ont
toutes des arguments à faire valoir. Ibrahima Khalil
Kaba, ancien ministre des Affaires étrangères d’Alpha
Condé, disposerait sans doute du soutien d’une partie
de la jeunesse et des femmes du parti. Il a la
réputation d’être un homme intègre, travailleur et
particulièrement rigoureux. De plus, il a su étoffer son
réseau grâce au carnet d’adresses de son ancien
patron. Au point d’avoir été perçu depuis 2016
comme un dauphin potentiel, même s’il s’en
défendait. Mais il demeure encore relativement peu
connu du grand public.
SI SA SANTÉ LE PERMET, JE
PENSE QU’ALPHA CONDÉ
VOUDRA ENCADRER LA
PROCHAINE DIRECTION DU
PARTI
On peut aussi citer Amadou Damaro Camara, l’ancien
président de l’Assemblée nationale, qui a été en
première ligne de toutes les batailles politiques
menées par le RPG durant la dernière décennie. Il est
cependant parfois jugé clivant et ses relations avec
les autorités de la transition ont été quelque peu
orageuses ces derniers temps. Enfin, l’ancien Premier
ministre Ibrahima Kassory Fofana, président du
directoire de campagne d’Alpha Condé lors des deux
dernières élections, jouirait du soutien de certains
caciques du parti.
Il n’est pas non plus exclu que d’autres prétendants
sortent du bois. Pour chacun d’entre eux, avoir la «
bénédiction » d’Alpha Condé serait un grand
avantage.
Quel rôle pourrait jouer Alpha Condé dans cette
course à sa succession ?
Si sa santé le permet, je pense qu’il aspirerait à jouer
un rôle d’orientation et d’encadrement de la prochaine
direction du parti.
Comment avez-vous vécu le putsch du 5
septembre ?
J’ai été surpris par l’irruption des militaires dans
l’arène politique ce jour-là. Puis l’émoi et l’angoisse se
sont installés. Quelles que soient les raisons
supposées ou réelles ayant conduit à ce putsch, c’est
un véritable recul. Nous en mesurerons probablement
les conséquences dans quelques années.
La volonté d’Alpha Condé de changer la
Constitution pour briguer un troisième mandat
n’était-elle pas une erreur ?
Il faut admettre que des erreurs ont été commises.
S’il y a à regretter, ce serait surtout de ne pas avoir
donné une légitimité à la Constitution en 2010, dans
la foulée de son arrivée au pouvoir. Mais cela
n’explique en rien le putsch. Au Mali, Ibrahim
Boubacar Keita en était à la deuxième année de son
second et dernier mandat ; au Burkina Faso, Roch
Marc Christian Kaboré venait d’être réélu pour un
second mandat. Et la tentative de putsch en GuinéeBissau a eu lieu alors que Umaro Sissoco Embalo n’est
que depuis deux ans au pouvoir ! Les causes sont à
chercher ailleurs : la gouvernance, les questions
sécuritaires, les relations conflictuelles avec la
hiérarchie militaire…
IL FAUT QUE LES AUTORITÉS
MILITAIRES SE PRONONCENT
CLAIREMENT SUR LA DURÉE
DE LA TRANSITION
Quel regard portez-vous sur la transition
aujourd’hui ?
Nous sommes dans le flou, dont je ne sais s’il est
orchestré ou non. Il y a des avancées, comme la mise
en place du Conseil national de la transition ou de la
Cour de répression des infractions économiques et
financières. Mais des points clés sont éludés : on ne
connait pas la composition exacte du Comité national
du rassemblement pour le développement (CNRD), on
ne sait toujours pas quelle sera la durée de la
transition. Il faut que les autorités militaires se
prononcent clairement sur ces points cruciaux pour
lever les doutes légitimes que nous avons.
À LIREGuinée : Mamadi Doumbouya, un colosse aux
pieds d’argile ?
D’autant que la junte s’est donnée des missions qui,
selon moi, ne sont pas celles d’un gouvernement de
transition. Lorsque l’on annonce, par exemple, vouloir
« refonder l’État », qu’est-ce que cela signifie
concrètement ?
Doutez-vous de l’engagement de Mamadi
Doumbouya de rendre le pouvoir aux civils…
Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de raisons de
douter de cet engagement. Mais le doute subsiste sur la durée que prendra ce retour à l’ordre
constitutionnel. Le délai de six mois fixé par la
Cedeao pour la tenue d’élections arrive à expiration
dans quelques semaines.