Le maire de Ziguinchor donne 3/10 au chef de l’État pour sa visite en Casamance – Il lui reproche de revendiquer la paternité de projets lancés par le régime de Wade – Il écarte tout rapprochement avec le Président
Abdoulaye Baldé, maire de Ziguinchor et patron de l’Ucs, a mis du sable dans le couscous du président de la République, Macky Sall dont la visite est appréciée par une bonne partie de la population de Ziguinchor. Pour lui, ces populations sont victimes d’une arnaque sur la question de la réduction du prix du ticket des bateaux. En plus, selon lui, les infrastructures inaugurées par Macky Sall, portent la signature de Me Wade. Pour ailleurs, il a déclaré qu’aucun rapprochement entre lui et Macky Sall n’est possible parce que ce dernier l’a trainé dans la boue.
Le Président Macky Sall a passé trois jours à Ziguinchor dont vous êtes le maire. Comment appréciez-vous cette visite ?
Moi, ce que je déplore dans cette visite, c’est le fait qu’il ne soit pas allé rencontrer les populations. Il est venu s’enfermer entre quatre murs, à la gouvernance. La région de Ziguinchor est beaucoup plus grande que la commune de Ziguinchor. Il aurait été beaucoup plus important d’aller à Oussouye, d’aller voir le tourisme au Cap Skiring, mais aussi à Diambéring, de faire le tour pour se rendre à Elenkine, pour s’enquérir des problèmes de la pêche. Egalement de faire le département de Bignona, aller voir le barrage d’Affigname, se rendre au fin fond du Fogny dans le Djibidionne, aller voir les populations de Kafountine. Cela aurait été beaucoup plus profitable aux populations, au lieu de rester entre quatre murs.
Le Président a inauguré d’importantes infrastructures, non ?
Oui, mais Macky Sall n’a fait que baptiser les enfants d’autrui. Tout ce qu’il a inauguré ici était l’oeuvre de l’ancien régime. Les gens vont parler de la continuité de l’Etat, c’est vrai, mais il faudrait que lui-même nous dise : voilà ce que j’ai initié de bout en bout pour la Casamance. Malheureusement, on est resté sur notre faim. Depuis qu’il est là, il n’y a aucune initiative que lui-même a prise, mise en œuvre et terminée.
Même les bateaux Aguène et Diambogne ?
Les bateaux Aguène et Diambogne étaient l’œuvre du Président Abdoulaye Wade. La commande a été passée depuis 2011, par le ministre Khoureychi Thiam, ministre de la Pêche d’alors. L’accord de financement a été signé par le ministre d’Etat Karim Wade et l’ambassadeur de Corée. Dans ce même accord, il était prévu, en dehors des deux bateaux, la construction du complexe frigorifique du port de Ziguinchor que Macky Sall a inauguré.
La deuxième chose, c’est l’inauguration de la centrale de Boutoute. Tout le monde se rappelle des délestages dans la ville de Ziguinchor et en Casamance, en particulier à partir de 2011. Compte tenu du fait que toutes les villes de la Casamance (Sédhiou, Bignona, Ziguinchor) étaient interconnectées et que la consommation totale était de l’ordre de 12 MW, j’avais demandé au ministre d’Etat Karim Wade, ensuite à Samuel Sarr, de faire en sorte qu’il y ait des constructions de centrales. Et on avait trouvé une solution intermédiaire qui consistait à louer des groupes venus de la Mauritanie en urgence. Ce sont ces groupes qui continuaient à fonctionner. En attendant, ils avaient trouvé les financements qui ont permis la construction de ces deux centrales qui viennent d’être inaugurées par Macky Sall.
L’arrivée des bus Tata a été bien accueillie par les populations. Quelle est votre appréciation ?
Ils ont présenté le problème des cars Tata comme un projet uniquement destiné à la région de Ziguinchor, alors qu’il a démarré depuis 2009 dans le cadre du Cetud pour le renouvellement de l’ensemble du parc automobile du Sénégal. Le premier volet de ce projet concernait la ville de Dakar et le second, ce sont les quatorze capitales régionales. Ils en ont profité pour amener une soixantaine de bus, alors que c’est plus de cent bus qui étaient prévus pour la ville de Ziguinchor. Nous y avons travaillé depuis très longtemps avec les services du Cetud qui ont fait plusieurs missions ici, à Ziguinchor. Et on était en train d’implanter des arrêt-cars pour que ces bus puissent fonctionner.
Quid de la réhabilitation du stade Aline Sitoé Diatta ?
Pour ce qui concerne le stade Aline Sitoe Diatta, sa réhabilitation rentre dans le cadre du projet de réhabilitation des onze stades régionaux financé par le gouvernement chinois. Pourquoi on a terminé par Ziguinchor ? Parce le stade était praticable. Les gens du Casa Sport sont venus me voir pour dire que la pelouse était bonne et qu’ils ne souhaitaient pas, pour l’instant, qu’elle soit touchée. Donc, moi–même, j’ai reçu plusieurs fois l’ambassadeur de Chine et des équipes chinoises qui étaient venues ici. Je leur ai dit que je ne souhaitais pas que la réhabilitation se fasse en reconstruisant uniquement les tribunes couvertes et découvertes. Je voudrais qu’on ait un véritable stade au niveau de Ziguinchor; qu’en dehors de ces deux tribunes, qu’on puisse avoir des tribunes sur les pourtours. On était en train de négocier, c’est ça qui a retardé la construction de ce stade. Le projet grandiose n’a pu être défendu par le gouvernement actuel.
L’hôpital de la Paix est-il à mettre à l’actif du régime de Wade ?
Tout le monde sait que c’est une initiative d’Abdou Diouf depuis 1999. Il y a eu des difficultés dans le financement. Tout le monde se rappelle de la visite que j’avais effectuée en compagnie de Mme Viviane Wade et de Modou Diagne Fada. On était en train de voir s’il fallait transformer cet hôpital en un centre pour les militaires ou autres. En définitive, en conseil des ministres, on a discuté et la décision a été prise de réhabiliter, de finir la construction, parce que la commande pour les équipements médicaux a été passée. Ce qui fait qu’un financement de 2 milliards a été dégagé pour finir les travaux des hôpitaux de Fatick et de Ziguinchor. L’entreprise CSE a été adjucataire du marché et les travaux ont démarré depuis 2011.
Ils ont, peut-être, oublié un projet qui était important, qu’ils auraient dû inaugurer : c’est le Château d’eau. Parce que dans le cadre du Pepam, depuis le temps de Issa Mbaye Samb, nous avions trouvé qu’en matière d’accès à l’eau potable, la ville et la région de Ziguinchor étaient un peu en retard. C’est ce qui a fait qu’en dehors du château d’eau de Mbour, le plus important de l’Afrique de l’Ouest, celui-ci a été initié et les financements trouvés depuis 2009. Les travaux ont été faits. On a fait 34 km de linéaires dans la ville de Ziguinchor. Je pense qu’il était important de l’inaugurer (rires…).
Tout ce qui a été inauguré ne relève pas d’eux, en dehors de ce qu’ils appellent le scanner de l’hôpital régional- ça, je le mets à leur actif- encore qu’un scanner ne coûte pas 400 millions. Je pense que la technologie a tellement évolué que le scanner est devenu un instrument de deuxième génération. Il serait plus important de mettre une IRM à l’hôpital régional de Ziguinchor, compte tenu du fait que nous-mêmes, au niveau de la mairie, avions pu trouver un financement de 800 millions qui nous avait permis de réhabiliter, grâce à la coopération espagnole, totalement l’hôpital Silence. J’attends encore un projet initié par le gouvernement actuel, des études menées de bout en bout, le financement acquis… pour que je puisse dire : voilà ce qu’ils ont fait pour la Casamance.
D’importantes annonces ont été faites comme la réduction du prix du ticket du bateau, l’exonération des taxes, etc. Les populations ont-elles raison de jubiler ?
C’est vrai, ils ont fait des annonces. Pour la réduction du prix du billet du bateau, par exemple, c’est de l’arnaque. Ce qu’ils ont réduit, en fait, c’est le prix de deuxième classe, que sont les fauteuils. Sur les 400 et quelques passagers, peut-être qu’il en y a 90 qui voyagent dans ces classes-là. Cette place coûtait, du temps du Joola, 3500 F Cfa. C’est cette classe qu’ils ont diminué à 5000 F Cfa, plus cher que le Joola. Mais tout le reste, ce sont les mêmes prix qui vont être appliqués. Le fret est toujours trop cher. Il faut alors diminuer le fret pour permettre l’échange entre le Sud et le Nord du pays et avoir une veritable politique de billets dans le bateau, car ils sont trop chers.
L’autre chose, ils disent qu’ils diminuent le prix du billet d’avion et enlever les taxes et refusent de toucher à la RDA qui constitue presque 40% du billet d’avion. Il permet de financer l’aéroport de Ndiass et tout le développement des aéroports du Sénégal. Ce sont des taxes de 2000 à 3000 F cfa qu’ils vont enlever. Ça aussi on attend de voir…
L’autre mesurette, c’est l’exonération dans le secteur du tourisme. Moi, ma requête a toujours été une amnistie générale. Ce sont les entreprises qui sont dans le tourisme qui vont bénéficier de la mesurette. Et ces entreprises sont souvent détenues par des expatriés. J’avais demandé qu’on fasse une amnistie générale de toutes les entreprises installées en Casamance, parce qu’elles ont vécu 33 ans de conflit: hôtels, industries alimentaires, entreprises…Le secteur du tourisme ne marche plus, les hôtels sont fermés, allez au Cap Skiring! Comment peut-on amnistier des gens qui n’existent même pas, des structures fermées ou en faillite ? Par conséquent, je trouve que c’est manquer de vision que de promettre des choses pareilles.
Ils disent qu’ils vont exonérer les entreprises de tourisme qui vont venir s’installer en Casamance. Mais quel est l’opérateur économique fou qui va venir investir dans un secteur en faillite ? Des hôtels sont en train d’être fermés. Donc, ça n’a pas de sens. Ce que moi j’ai demandé, en dehors de l’amnistie générale, c’est d’instaurer des zones franches industrielles qui concerneraient tous les secteurs d’activités. On trouve cent à deux cent ha aux environs de Ziguinchor, à Sédhiou et Kolda et dire à tout opérateur qui viendra s’y installer qu’il est exonéré de droits et taxes pendant dix ans. Cela permettrait aux industriels de venir, surtout ceux qui veulent faire de la transformation des fruits et légumes, de l’industrie agro-alimentaire, de la pêche, pour développer la Casamance dans tous les domaines. Cela va créer des emplois et de la valeur ajoutée, plutôt que de s’arrêter au seul secteur du tourisme.
Et si cela n’était qu’un début ?
Un début qui n’a pas de sens. Le tourisme est mort.
Est-ce que le fait d’exonérer les taxes, même si des hôteliers ont fermé boutique, ne va pas inciter les opérateurs à venir ?
Ces gens ne vont pas ouvrir, parce que le tourisme est malade dans sa globalité. Il faudrait que l’on revoie totalement le problème de la promotion touristique. La fermeture des hôtels n’est pas spécifique à la Casamance, Saly est aussi concerné. Il faut revoir carrément la politique touristique de notre pays en faisant les états généraux du tourisme. Ainsi, l’on se pencherait sur la promotion du tourisme, le billet d’avion qui est trop cher, l’environnement dans lequel nous nous trouvons : il y a Ebola, Aqmi. Il y a une suspicion qui concerne ces pays considérés comme étant sur la liste rouge et le Sénégal y est, en ce qui concerne les problèmes liés à l’islamisme.
Le visa biométrique est un problème. Nous n’avons pas assez d’équipements dans nos représentations diplomatiques qui permettent de délivrer des visas le plus vite possible. Donc, les gens sont découragés. Beaucoup de Français, d’Italiens, d’Allemands… veulent venir ici, mais ils ne trouvent les infrastructures. Ils ne vont pas quitter le fin fond de l’Allemagne, de la France, de l’Italie pour venir ici sans avoir de visa. En plus, il y a le conflit dans notre région. Allez sur le site du Quai D’orsay et vous verrez que la destination Casamance est déconseillée.
Vous êtes le maire d’une ville dont les populations ont tout l’air d’être contentes de la visite du Président Macky Sall. Est-ce que vous prenez en compte cette donne ?
Les populations, vous avez peut-être rencontré certaines, mais pas toutes. Parce qu’on est venu les berner pour leur dire (rires) qu’on va leur diminuer le prix du billet d’avion, Mais les gens se rendront compte très rapidement que c’était de l’arnaque. Je considère que c’est une très bonne chose que le Président soit venu, mais ce que je déplore, c’est qu’il ne soit pas allé à la rencontre des populations. Maintenant, je vous ai dit l’origine des infrastructures inaugurées.
Mais en dehors de la continuité de l’Etat, l’aboutissement de ces chantiers peut-il être mis sur le compte d’une volonté politique de Macky Sall ?
Quelle volonté politique ? Ça a été déjà démarré. Vous voulez qu’il arrête les travaux ? Les financements sont trouvés, le processus a été enclenché, le marché attribué, vous voulez qu’il les arrête ?
Si vous devez évaluer cette visite de Macky Sall à Ziguinchor, quelle note lui donnerez-vous ?
Sur le principe, c’est bien qu’il vienne voir les gens, mais il ne devait pas rester entre quatre murs. Moi, je donnerais 3 sur 10 pour son déplacement. Le reste, je ne vois pas ce qui a été positif dans ça. Je ne peux pas donner une bonne note sur des annonces qui n’ont aucune portée sur les populations.
Quand on vous entend parler, on a l’impression que vous avez gardé une dent contre le Président qui a débauché quelques uns de vos responsables dans la région, notamment le maire de Niaguis ?
Non, au contraire, sur ce plan, je lui concède ce qu’il a fait parce que c’est la politique. Malheureusement, on a encore du bétail politique, avec des gens qui valsent de parti en parti sans conviction. De ce point de vue, je considère que ceux qui ont quitté le parti sont moins nombreux que ceux qui sont entrés. Si on faisait des élections aujourd’hui, les gens s’en rendraient compte. Le parti s’est massifié et a beaucoup grandi, aussi bien au niveau de Ziguinchor que dans tout le pays. Ces gens sont partis, d’autres partiront, je me suis préparé à ça. Il est parti avec quelques uns, moi je dirais bon débarras. Ces maires sont partis seuls, tous les conseillers municipaux sont restés avec nous. Par conséquent, ce sont des coquilles vides qui sont parties.
A quand le rapprochement dont certains appellent de tous leurs vœux entre vous et le Président Macky Sall ?
Comment pouvez-vous parler de rapprochement pour quelqu’un qui, pendant deux ans, vous a traîné dans la boue ? Qui vous a amené à la gendarmerie pour des supputations futiles, pour des choses sans preuves ? Et que votre maman est décédée dans ces conditions-là. Je peux dire que ma mère est partie à cause des chagrins qu’elle a subis. On a balancé des grenades lacrymogènes dans ma voiture pour essayer de m’assassiner. Vous pensez que je peux oublier ça. On m’a enfermé dans mon pays, comme étant un prisonnier, pendant des années. Et là, depuis six mois, on m’empêche de circuler. Je ne peux même pas aller à Sédhiou. Je ne peux que circuler dans la région de Dakar. Je ne peux pas sortir de Diamniadio. Donc, je reste dans la région de Dakar et celle de Ziguinchor. Vous pensez que, dans ces conditions, je peux me rapprocher de quelqu’un qui m’a traîné dans la boue ? Ma conviction est que je dois me battre en politique et je ferais tout pour qu’en 2017, notre parti puisse avoir un candidat. Je suis sûr que si nous ne sommes pas des rois, nous serons des faiseurs de rois. Et nous sommes résolument engagés dans cette voie. Nous n’allons pas transiger avec qui que ce soit.
Bangaly CISSE