« Tant d’énergie est dépensée pour que tout soit bien immobile », disait l’excellent écrivain et criminologue Bernard Werber, connu pour sa trilogie des fourmis. Dans la partie d’échecs qu’il a décidé d’engager avec l’ex-chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, le pouvoir a marqué un point. Du moins, en apparence, car les choses sont beaucoup plus compliquées…
La politique n’est vraiment pas une affaire d’enfants de chœur. Fort de sa popularité incontestable en Guinée forestière, Dadis espérait jouer sur l’effet de surprise et sur la proximité de l’élection présidentielle afin d’inhiber toute velléité de réaction du pouvoir. Loin du mépris affiché par ceux qui intellectualisent le débat, l’ex-chef de la junte militaire, en vrai homme du peuple (et un brin populiste), était tout à fait conscient des connexions qu’il partage avec le Guinéen moyen, ce citoyen avec qui il partage le même niveau de langage – où le sens des phrases a plus d’importance que la délicatesse de leur formulation. En cela, sa rentrée politique risquait de surprendre les « analystes politiques » qui, jusque-là, faisaient l’erreur de juger l’homme au lieu de tenter de cerner les événements inquiétants qui se déroulent sous nos yeux. Le régime, mis devant le fait accompli et confronté qu’à de mauvaises solutions, a finalement choisi la moins mauvaise. Ceux-là donc, qui espéraient assister à un duel au couteau, même indirect, entre le président Alpha Condé et son ancien « allié » Dadis, doivent être plongés dans leurs calculs. Et pour cause !
Touché par la violence de la charge, l’ex-patron du CNDD est fragilisé par l’annonce de son inculpation, même si, au stade actuel de la procédure, sa candidature ne pourrait matériellement être remise en cause que par la décision des juges (détention préventive par exemple). Au demeurant, la réaction politique du militaire de carrière ne semble qu’une question de temps.
La logique du pouvoir était pourtant évidente : maintenir, sans risques inconsidérés, les lignes politiques afin de profiter d’un climat favorable à la réélection de son candidat. Menacé par une éventuelle défection de son ami – et concurrent pour la présidentielle -, Sidya Touré, le président de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo, a senti l’habilité de la manœuvre : c’est la principale explication de son rapprochement avec le plus célèbre et le plus controversé « exilé » guinéen. Le leader de l’UFDG était d’autant plus convaincu de son coup politique qu’il était conscient que le climat de confiance entre le président Condé et Dadis s’était considérablement érodé. Dans son entendement, 5 ans après lui avoir fait miroiter des éléphants blancs (statut d’ancien chef d’Etat entre autres), le pouvoir n’était plus dans une position confortable pour négocier quoi que ce soit de crédible avec Dadis. Il fallait donc profiter de la brèche, ce qu’il a fait en dépit des risques politiques. C’était bien joué…
C’est aussi la perspective de l’alliance UFDG-FPDD qui a justifié le feu nourri et désordonné ouvert contre un homme, faussement naïf, raillé par ses détracteurs qui ont tenté de mettre en avant des arguments relevant de la morale (le cadet des soucis des politiciens). Mais, en dehors du cadre strictement judiciaire (les événements du 28 septembre sont des faits terriblement accablants), c’est surtout le désir de minimiser les risques qui explique en partie les ennuis de l’homme qui voulait être « démocratiquement élu ». La question, essentielle, qu’il faudrait se poser est dès lors celle-ci : quelles sont les limites d’une telle démarche ?
Car pour la mouvance présidentielle et son candidat, la situation nouvelle provoquée par l’inculpation de Moussa Dadis Camara n’écarte pas la délicatesse du problème posé l’acte de candidature de l’ex-officier supérieur. Les espoirs suscités chez ses partisans peuvent-ils être enterrés sur l’autel du jeu politique ? Rien n’est moins sûr.
Quel que soit le cas de figure, Dadis va demeurer un véritable casse-tête pour tout le monde. L’onde de choc provoquée par son inculpation démontre à ceux qui en doutent encore que le destin de cet homme est particulier (dans le bon comme dans le mauvais sens). Et les scenarii sont nombreux…
Si Dadis est inculpé par la justice guinéenne, hors Cour Pénale internationale (CPI), la logique voudrait que l’homme revienne dans son pays, ce qui pourrait causer d’évidents risques sécuritaires. Politiquement, l’homme du 23 décembre 2008 pourrait aussi user de sa capacité de nuisance en appelant, pour la première fois depuis 2010, à voter contre son ancien « allié », Alpha Condé.
Si le dossier évolue et que les juges trouvent la formule pour le transfèrement de Dadis à la CPI, les conséquences politiques seraient au moins les mêmes mais, sur le plan sécuritaire, le pouvoir limiterait – un peu – la pression. C’est d’ailleurs l’hypothèse la plus probable.
Si, par miracle, Dadis parvenait à s’extirper de la nasse d’une justice décidée à démontrer son rôle dans les massacres et les viols du 28 septembre 2009, pour rentrer en Guinée et se présenter à la présidentielle, les risques à la fois politiques et sécuritaires seraient incontestablement décuplés par la présence physique d’un homme d’action. Dans ce cas, même ses alliés politiques devraient le craindre.
En dernier ressort, puisqu’on est en politique et que dans ce cadre rien n’est à exclure, si Dadis Camara signait un pacte secret pour s’effacer, il pourrait peut-être calmer momentanément la tempête. Mais jusqu’à quand face à des victimes qui le pointent du doigt ?