Mamady Kaba, président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH) a profité de la célébration de la Journée Internationale des Droits de l’Homme, célébrée le 10 décembre dernier, pour s’adonner à une revue générale des questions des droits humains en Guinée.
Détention abusive, excision, homosexualité, viol et impunité, tout y passe.
Monsieur Mamady Kaba, pouvez-vous nous faire un état des lieux des droits de l’homme en Guinée, à l’occasion de la Journée Internationale de ce 10 décembre?
Mamady Kaba : Je suis Mamady Kaba, président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH). En fait, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, le 10 décembre c’est l’anniversaire de la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, et aussi le 10 décembre 1966 le pacte sur les droits civils et politiques, aussi sur les droits économiques sociaux et culturels ont été adoptés. Donc, ce sont des faits majeurs dans le système de promotion et de protection des Droits Humains, à travers le monde. C’était la première fois que l’humanité formalisait un certain nombre de droits que chaque être humain devait avoir de la naissance jusqu’à la mort. Donc, ce sont des faits majeurs très importants, que l’humanité reconnaisse des droits individuels et collectifs. Alors, l’état des lieux de la situation des Droits de l’Homme dans notre pays. Des actes que nous saluons vivement ont été posés. Notamment, sur le plan institutionnel dont la mise en place de l’Institution que j’ai l’honneur de diriger, la mise en place de la Cour constitutionnelle, le remplacement du CNC par la HAC, la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature entre autres. Il y a aussi des progrès réalisés dans le domaine de la réforme du secteur de la sécurité et aussi dans le domaine du secteur de la justice. Ces deux grandes réformes sont assez importantes à noter comme avancées majeures dans la prise en charge des questions liées aux droits humains. Parce qu’il faut noter, les problèmes liés aux droits humains en Guinée, notamment liés à la jouissance des droits civils et politiques. Nous savons que par le passé des problèmes ont été créés par la jouissance de ces droits. Les forces de défense et de sécurité ont toujours été pointées du doigt d’être à l’origine de ces violations graves des droits humains. Je me souvins, par exemple, en 2007 on a eu plus de 200 morts. On a noté en 2006 où il ya eu près d’une trentaine d’élèves tués. En 2009 il ya eu près de 200 morts avec des dizaines de femmes violées. Toutes ces violations graves de droits humains, les défaillances et la responsabilité des forces de défense et de sécurité ont été pointées du doigt. Il est important de comprendre alors qu’il n’y aura jamais d’avancées dans le domaine des droits humains si la Guinée n’avance pas dans la réforme en profondeur du secteur de la sécurité et du secteur de la justice. Vous avez vu tout récemment avec tous les problèmes qu’on a, les populations qui s’adonnent à des lynchages. Comme du côté de Kouroussa, et les évasions de nos prisons, c’est tout le malaise que présente notre système de justice en particulier, notre système de détention. Les réformes du secteur de sécurité et de la justice sont des éléments capitaux que nous pouvons mettre à l’actif des avancées dans le domaine des droits humains. Aussi, nous avons salué la mise en place de la commission provisoire de réflexion sur la réconciliation qui est quand même aussi un élément majeur pour unir les cœurs en Guinée. Des cœurs qui ont été divisés par des décennies de violences politiques, des violences d’Etat. Aujourd’hui, travailler à unir ces cœurs-là est une condition sine-qua none de la prise en charge des préoccupations liées aux droits humains. Maintenant, ça, ce sont des avancées que nous avons notées. Mais il est important de noter que les défis qui restent à surmonter sont plusieurs fois plus importants que ce qui a déjà été réalisé. Ces défis sont le fonctionnement même de la justice. Nous avons assez de problèmes. Des décisions de complaisance, des souffrances infligées à la population par certains avocats, certains huissiers, des décisions de justice non appliquées et un sentiment d’abandon des populations par la justice. Et aussi tout le dispositif institutionnel de la justice est défaillant malgré les efforts qui ont été consentis pour relever le niveau de compétence de ces structures. Personnellement, je pense que la réforme du secteur de la justice aurait dû s’appesantir sur deux éléments fondamentaux. Premièrement, la formation et la surveillance stricte des gardes pénitenciers, de l’ensemble même du système de privation de liberté dans notre pays, afin que les personnes qui sont reconnues coupables de crimes graves par exemple, et qui sont condamnées à de longues périodes de privation de liberté et bien, que ces personnes-là puissent purger leurs peines en totalité. C’est la première garantie pour que la population commence à oser penser que la justice est désormais de leurs côtés. Mais tant que par le biais de la corruption, de l’incompétence des cadres en charge des lieux de détention, que des criminels de grand chemin après quelques semaines ou quelques mois de détention se faufilent, échappent aux filets de la justice pour se retrouver dans les quartiers pour menacer la vie de ceux qui ont contribué à leurs arrestations, alors les populations finiront par ne plus collaborer ni avec les services de sécurité, ni avec les services de police judiciaire. Donc, il est important que la détention, que des efforts considérables soient faits pour que les conditions de détention s’améliorent en Guinée. Le droit des détenus doit être respecté mais aussi le droit des populations à vivre dans la quiétude. Et cela passe par la mise hors d’état de nuire de tous ceux qui travaillent à empêcher la population de vivre dans la paix. La question de la détention est une question primordiale. C’est pourquoi, vous voyez, tant que cette question n’est pas réglée, il serait illusoire de penser qu’un jour on parviendrait à convaincre la population de la nécessité d’abolir la peine de mort par exemple. Aujourd’hui les populations pensent que des personnes qui ont tué méritent tout simplement d’être tuées, parce que lorsqu’elles vont en prison, un jour elles vont échapper à la justice, et revenir commettre des crimes. Comme cela s’est passé à plusieurs reprises dans des situations que nous avons déplorées. Il est important que l’ensemble des efforts de la réforme de la justice soient concentrés sur la détention, l’application correcte des décisions de justice en générale et l’amélioration des conditions de détention en particulier.