Ce jeune leader fait partie des rares dirigeants de formations politiques nouvellement créées qui se distinguent par un mode opératoire fondé sur la présentation de preuves pour dénoncer les pratiques de corruption, de mauvaise gouvernance et de détournement de deniers publics . Cet entretien accordé à L’observateur, le vendredi 6 mars à Conakry, est axé en grande partie sur le scandale de la gestion frauduleuse de la fibre optique et la faillite de la Sotelgui par le ministre Oyé Guilavogui. Deux sujets d’actualité que Mohamed Lamine Kaba évoque d’emblée. Il répond aussi volontiers à nos questions ayant trait au retour aux affaires du général Bouréma Condé ancien tortionnaire des militants de l’actuel parti au pouvoir, la réduction du prix du litre du carburant à la pompe et le triomphe du Syli national à la CAN U-17 à Niamey. Tout en réitérant les raisons qui le poussent dans chacune de ses sorties médiatiques, à dénoncer les dérives du régime actuel mais aussi à proposer que des enquêtes appropriées soient menées afin de remettre la Guinée dans le train du changement au nom et pour lequel beaucoup de Guinéens sont tombés en martyrs.
L’observateur La semaine dernière vous êtes monté au créneau pour dénoncer la gestion frauduleuse des télécoms, notamment la part de responsabilité du ministre Oyé Guilavogui. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Mohamed Lamine Kaba : En fait, notre parti est une formation politique qui ne s’attaque pas à l’homme mais plutôt au système. C’est ainsi que plusieurs fois nous avons fait des investigations au niveau de plusieurs départements, dont entre autres, le Fonds d’entretien routier, le ministère des Travaux publics, l’EDG. Cette fois-ci nous avons fait un regard au niveau de télécoms. Vous savez dans certains pays, on appelle le ministère de télécoms, ministère de l’économie numérique tellement que la manne financière est importante. A cet effet, nous nous sommes rendu compte qu’à ce niveau il y a une gestion calamiteuse et mafieuse. Il y a deux secteurs qui nous ont motivés : le premier, c’est la Sotelgui. A ce niveau, on s’est rendu compte des Malaisiens, la Sotelgui avait un chiffre d’affaires de 150 milliards de FG. En 2007, il y avait eu une croissance à 300 milliards de que lorsque les Malaisiens sont partis, la Sotelgui se portait aussi bien jusqu’en 2007. Au départ FG. Après la transition, on s’est retrouvé vers 177 milliards de FG. Finalement, sous la gouvernance du président Alpha Condé en 2012, c’était maintenant 100 milliards de FG de dettes. Le gouvernement a mis en place un Comité de gestion et de trésorerie coprésidé par Moustapha Mamy Diaby, directeur général de l’ARPT et Mamady Keita, conseillé du Premier ministre dans le domaine des télécoms. Le premier comité qui avait été mis en place s’est heurté à la résistance des anciens travailleurs qui ont terrassé cette entreprise. Mais un deuxième comité a été mis en place et qui a réduit les directions parce qu’au départ des Malaisiens, il y avait 30 directions. Finalement, cela a été réduit à 6. Parmi les 6 directions, il y en a une qu’on appelle la direction technique ou de réseaux. Celle-ci a fait une proposition qui peut permettre à la Sotelgui de se relancer. Comme vous le savez déjà, en 2012, la carte Nafa ne marchait plus, parce que les pilonnes n’étaient plus alimentées. Alors, l’opérateur historique a deux réseaux. Le premier, c’est le réseau GSM qui ne fonctionnait pas. Mais un second réseau que seule la Sotelgui détient qu’est le câble souterrain. Alors, la Sotelgui a voulu utiliser son câble souterrain pour permettre à la société de se relancer. Quand la proposition a été faite, le directeur des réseaux a fait une demande au directeur de la logistique. Lorsque le ministre Oyé Guilavogui a su cela, il a envoyé une lettre de mise en demeure, dont nous avons la copie, pour dire à la Sotelgui de ne pas toucher le matériel de la Sotelgui. C’était curieux ! Parce que ce comité avait pour mission de relancer la Sotelgui. Donc, ils ont mené des enquêtes sur le terrain, ils se sont rendus compte que Sodiacom était en train de travailler en connivence avec ETI. ETI, si vous voulez, c’est l’agent commercial de cette mafia. Il cherche des clients pour leur faire une proposition de connexion sur le réseau. Je voudrais souligner d’abord que la fibre optique existe déjà avant l’arrivée du câble sous-marin. Depuis 2007, la Guinée a son réseau souterrain. Donc, c’est sur cette fibre optique que la Sotelgui voulait rebondir. Ils ont mené des enquêtes sur le terrain, ils ont trouvé qu’ETI est en train de commercialiser le bien du contribuable guinéen. ETI travaillait aussi en connivence avec Sodiacom qui constitue le bras ouvrier. C’est lui qui fait le travail de génie civil. Il creuse la terre et connecte les clients de l’ETI. Quand cela a été fait, les travailleurs de la Sotelgui ne se sont pas arrêtés-là, ils ont cherché un huissier qui a évalué les matériels qui ont été abimés parce qu’il y a des chambres souterraines qui ont été détruites. Il en a fait un rapport très clair que nous détenons. Finalement, il s’est rendu compte qu’il y a eu des dégâts importants. Ils ont fait encore le devis de ce qui a été fait parce qu’il y a toutes les sociétés de téléphonie qui sont associées. Il y a Areeba, Cellcom, Orange, Intercel. Il y a aussi la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), le ministère des Finances, Novotel et des banques privées. Une lettre a été aussi faite par la Sotelgui en avertissant ces clients d’arrêter ce qu’ils font, parce que c’est de la fraude, mais ils ont continué à le faire.
Comment vous pouvez imaginer qu’une structure de l’Etat loue le matériel de l’Etat des mains du privé ?
Donc, finalement cette évaluation, dont nous avons encore la copie, qui a été faite par la Sotelgui, est évaluée à 144 milliards de FG. Ce montant-là pouvait permettre à la Sotelgui de prendre la masse salariale au moins pour 3 ans. Une lettre a été encore faite au régulateur des télécoms qu’est l’ARPT parce que c’est lui qui devrait gérer les conflits. Nous avons aussi cette copie. Une deuxième lettre a aussi été faite pour amener l’ARPT à intervenir. Il faut retenir que ce Monsieur qu’on appelle Justin Traoré qui est le directeur général de Sodiacom qui est en même temps un travailleur de la Sotelgui, le matériel qu’il utilise pour câbler les clients de l’ETI appartenait aussi à la Sotelgui. Tous les travailleurs de Sodiacom aussi étaient des employés de la même société. Nous avons même des photos. Notre investigation est tombée encore sur Global voice Guinea (GVG) qui est une entreprise qui se trouve à l’étranger et qui gère les appels internationaux. Cette entreprise appartient au Premier ministre d’Haïti, Laurent Lamotte qui a été démis récemment. Le rôle de GVG est défini par un arrêté conjoint, dont nous avons une copie, entre Mamadou Sandé le ministre de l’Economie et de finances sous le CNDD et le ministre des Télécoms Mathurin Bangoura. GVG a financé 7 millions 500 mille dollars pour l’achat des équipements mais aussi pour son exploitation. Donc, il doit amortir son investissement dans sa quote-part. Je voudrais rappeler qu’un appel émis de l’étranger pour la Guinée est facturé à 28 cents par minute. D’ailleurs, même si vous appelez en Sierra Leone ça passe par des carrières telles que Miami, Espagne pour venir en Guinée, et cela passe par GVG. Son rôle, c’est de traquer les appels frauduleux à travers un logiciel. Les 28 cents sont repartis. 16 cents pour l’opérateur local. Finalement, il a amorti son investissement depuis les 6 premiers mois. L’accord conjoint a été signé le 28 mai 2009, et est entré en vigueur le 1er septembre du même mois. Dans le document-comptable de l’exercice 2010, dont nous avons copie, il ressort que dès le mois de mai déjà, il avait fini d’amortir son investissement. Donc, de ce jour jusqu’à maintenant, tout ce qu’il a gagné, c’est de façon illicite. Nous avons fait la comptabilité aussi, nous avons trouvé que c’est 546 milliards de FG qui ont été frauduleusement détournés des caisses de l’Etat alimentées par le contribuable guinéen. Il est bien dit dans l’arrêté que même s’il n’arrive pas à amortir son investissement, mais la période contractuelle, c’est 5 ans. Pendant les 5 ans, il forme les Guinéens et restitue le matériel à la Guinée. 1er septembre 2009, 1er septembre 2014. Cela fait 5 ans ! Jusqu’à présent GVG est là. Voilà ce qui est aberrant. Pourtant, on s’est battu pour la transparence dans la gestion des affaires publiques, pour le changement en Guinée, mais nous avons l’absurde impression que nous sommes en train de vivre encore la continuité.
Comme vous parlez de changement pour lequel vous vous êtes battu. On sait que vous avez été le métronome de la victoire d’Alpha Condé dans la zone Sénégal, Gambie, Mauritanie, Cap Vert, aux présidentielles. Quelle analyse faites-vous aujourd’hui de l’arrivée de certains anciens barons qui ont dénudés publiquement et fouetté à sang certains militants du RPG-Arc-en-ciel durant les années de braises sous Conté ?
Ce qu’il faut reconnaitre, ce n’est pas le RPG-Arc-en ciel qui est au pouvoir ou même le RPG originel. C’est un clan mafieux qui est au pouvoir. La preuve en est que ce ministre Bouréma Condé qu’on vient de nommer au ministère de l’Administration du territoire. Ce dernier est l’un des bourreaux du RPG. J’ai personnellement subi les répressions de ce Monsieur. C’était à Banankoro en 1999. Le président Alpha Condé a été arrêté en 1998. A l’intérieur du pays, dans les sections, c’étaient des journaux qu’on lisait dans les sièges pour rassurer les gens qu’il y a un élan de solidarité international autour du RPG pour la libération du professeur Alpha Condé. C’était une manière de persuader les militants. On était en pleine lecture, on a vu Bouréma Condé qui est militaire, venir avec ses hommes. A l’époque, il était sous-préfet de Banankoro. Il nous a malmenés, frappés et blessés. Le responsable qui était en train de lire le journal, un certain Mamady Traoré qui était le secrétaire politique, a été trainé au sol, tiré jusqu’au carrefour de Banankoro qu’on appelle Dabanani. Bouréma Condé l’a déshabillé nu.
Lui, le sous-préfet, en personne ?
Mamady Traoré portait un caleçon rouge, même celui-là, il le lui a enlevé. Il a été exposé pendant des heures comme une bête de foire. On l’attache et on le met dans une fourgonnette. Il a été envoyé à une destination qu’on n’a pas connue à temps. Quelques temps après sa libération, il a rendu l’âme. C’était un père de famille. Il avait trois femmes et des enfants. C’était une humiliation, une humiliation choquante. Moi, je suis un ancien militant du RPG. Pas seulement militant, parce que j’ai été le directeur de campagne du président Alpha Condé au Sénégal, en Gambie, au Cap-Vert, et en Mauritanie. Avec mes propres moyens, en tant qu’étudiant, j’ai implanté le parti dans tous ces pays parce que je croyais que l’homme allait mettre fin à l’impunité dans notre pays et qu’il allait effectivement apporter le changement dans la manière de gérer les biens publics.
Donc, la nomination de Bouréma Condé est une sorte de revers de la médaille pour vous ?
Exactement ! C’est notre bourreau d’hier qui est appelé aux affaires pour diriger le très stratégique ministère de l’Administration du territoire… (…) On ne demande pas vengeance, mais nous ne voulons pas que le président se moque de notre souffrance. On ne souhaite pas que ce pays soit encore livré aux bourreaux d’hier.
Les habitudes ont la vie dure, c’est ça ?
Le président sait ce que Bouréma Condé a fait parce qu’il sait que c’est un bourreau, un barbare. Il veut juste lui faire appel pour qu’il vienne jouir de sa cruauté comme par le passé sur les militants de l’opposition actuelle. Nous, nous pensons qu’un parti politique comme le RPG qui a été endeuillé, qui a enterré des morts, plus de 27 personnes ont été tuées dans les manifestations purement politiques et que toutes les grandes démocraties sont implantées sur des grandes dictatures, nous, nous avions imaginé qu’au moins à son arrivée au pouvoir en Guinée, on pouvait mettre fin à tout cela. Mais, il est en train de promouvoir encore les mauvaises pratiques.
Le général Bouréma est-il une mauvaise référence ?
Pour nous FIDEL, faire la promotion de Bouréma Condé, c’est faire la promotion de la barbarie dans ce pays.
Vous dénoncez tout cela dans le but de moraliser la gestion de l’Etat, n’est-ce pas ?
Exactement, le rôle d’un parti politique, c’est obliger le pouvoir à améliorer la gouvernance. C’est de faire en sorte que le pouvoir puisse répondre promptement à la demande sociale. Notre rôle, c’est obliger le pouvoir à accélérer la cadence des réformes.
Qu’est-ce que vous proposez alors, pour que le changement vienne à l’endroit – quand on sait qu’un vent de détournement souffle un peu partout -, ce n’est pas seulement aux Télécoms, à la Sotelgui ?
Nous avons mené des investigations. Ce n’est pas notre première fois. Lorsqu’on a mené des investigations au niveau du Fonds d’entretien routier, nous avons transmis ça à un groupe d’ONG qui a porté plainte, mais jusqu’à présent le dossier n’a pas été instruit.
C’est pourquoi, nous demandons à l’Assemblée nationale de mettre en place une commission d’enquête parlementaire en vue de statuer sur les fonds qui ont été dilapidés tels que par GVG, ETI, Sodiacom, le ministre Oyé Guilavogui, le directeur de l’ARPT, pour traduire en justice les présumés coupables.
Dans les semaines à venir, nous allons compiler avec toutes les pièces justificatives, faire un écrit là-dessus et remettre à chaque groupe parlementaire et à chaque député non-inscrit pour qu’ils puissent s’imprégner de ce dossier. Nous sommes aussi en train d’investiguer sur un autre département, mais on ne veut pas encore révéler ça pour le moment.
Il y a eu réduction du prix du carburant à la pompe. Le prix du litre est passé dans un premier temps de 10.000 à 9.000 FG. Et de 9 à 8000 FG dans un second. Qu’est-ce que cela vous inspire au niveau du parti Fidel ?
Je pense que la première organisation qu’il faut accuser, c’est bien la structure syndicale. Ses membres ont fait un accord échelonné. On ne peut pas comprendre que sur le marché international aujourd’hui le baril soit à 45 dollars ce qui constitue une réduction de plus de 70% parce que c’était à peu près 112 dollars et, que l’Etat guinéen fasse une réduction de 10% de façon mensuelle. Aujourd’hui, nous sommes à 20% de réduction. Mais nous pensons qu’il devrait suivre le cours normal si ce n’est pas dans l’esprit d’arnaquer la population. C’est la population qui achète le carburant. Le gouvernement tire profit la dessus. On ne peut pas comprendre qu’en Sierra Léone, le prix du litre soit à environ 5800 FG et qu’en Guinée il soit plus cher. Parce que, si c’est Ebola la cause, nous avons les mêmes problèmes que la Sierra Leone (…). Parlons maintenant sport. Avec plaisir, je répondrai !
Le syli national vient de se classer troisième de la CAN U-17. Comment vous avez accueilli cette victoire au sein de votre parti ?
Je crois que c’est une chose qu’il faut beaucoup apprécier. Vous savez les cadets et les juniors ont toujours brillé. Et c’est ce qui donne beaucoup d’espoir qu’on pourra remporter des coupes. Mais pourquoi l’équipe nationale ne brille pas ? C’est parce que très souvent là-bas, la sélection est tendancieuse. On sait qu’il y a beaucoup d’intérêts qui se jouent à ce niveau.
Merci de nous avoir accordé cet entretien.
Merci.
Par M. Touré