Combat. Élevé par des missionnaires français, le cardinal guinéen, gardien de la liturgie et auteur de « Dieu ou rien », défend une foi pétrie de rigueur.
Il bénéficie de l’une des plus belles vues sur la basilique Saint-Pierre. À l’image des colonnes du Bernin qui, sous les fenêtres de son bureau, enserrent la grande place du Vatican, le cardinal Robert Sarah est un pilier du catholicisme. Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (ouf !), ce prélat africain est le gardien universel de la liturgie. Et sa voix porte de plus en plus, surtout depuis que son ouvrage Dieu ou rien – écrit avec le journaliste Nicolas Diat –, qui sort ces jours-ci en poche (Pluriel/Fayard), est un best-seller inattendu – vendu à 250 000 exemplaires, et paru dans douze traductions. « Ce livre m’inspire », aurait confié le pape François à son auteur. « Mgr Sarah est un don de Dieu », aurait glissé à des religieuses françaises le 7 décembre Benoît XVI – qui l’a nommé à son poste. Un double imprimatur qui fait du cardinal guinéen l’un despapabili favoris, à savoir un candidat sérieux à la succession de François.
Aux sources de sa foi, des spiritains
Pourtant, si tous les chemins mènent à Rome, celui qu’a emprunté ce septuagénaire ne fut pas des plus aisés. Si Robert Sarah, né dans une famille modeste de cultivateurs animistes de Guinée, est devenu ce qu’il est, c’est grâce à des missionnaires français, des spiritains, qui lui ont transmis une foi viscérale, dont il se fait l’ardent défenseur aujourd’hui. Une foi en Jésus-Christ, mais aussi… en la France, qui, pour lui, « reste la fille aînée de l’Église, même s’il s’y passe des choses étonnantes, avec ce mariage pour tous… »
Quand il aborde ces questions, l’affable prélat sort les griffes. Très soucieux de l’effritement du « rempart » que constitue pour lui la famille face aux mutations du monde, l’homme va jusqu’à qualifier dans son livre le divorce de scandale et le remariage d’adultère. De quoi faire bondir nombre de catholiques bon teint, et pas seulement les plus progressistes. « Mais je ne fais qu’user du langage de Dieu qui, trahi par son peuple, le traite d’adultère, rétorque le cardinal. Rompre une union, c’est un mal, au même titre que le vol. » Lors du dernier synode sur la famille, à Rome, Mgr Sarah n’a pas hésité à placer sur le même pied l’« idéologie du genre » et l’État islamique, « les deux bêtes de l’Apocalypse ». Il confirme : « Quand on nie qu’il n’existe aucune différence entre un homme et une femme, quand on affirme qu’il est normal que des personnes de même sexe s’unissent, bref, quand on résiste à la volonté de Dieu, il ne peut y avoir que la main du diable. » Et c’est ainsi qu’au Vatican l’Africain est devenu l’un des hérauts de ceux qui rêvent de restauration morale. « Je n’ai ni honte ni peur de passer pour un conservateur, mais je ne suis pas un réactionnaire, affirme l’intéressé. Je suis simplement un croyant qui exprime de manière forte, ferme, juste ce que Dieu pense sur les questions qui engagent l’homme. »
Protéger le message de l’Évangile
Dès qu’on attaque le coeur de sa foi, Mgr Sarah sort le fer, « pour protéger le trésor reçu des missionnaires, à savoir le message de l’Évangile ». Il vient d’un continent sur lequel islam et christianisme s’affrontent, et dont les prêtres, par un étonnant retour de l’Histoire, deviennent missionnaires en Europe pour pallier la déchristianisation et la crise des vocations. « Mgr Sarah fait partie de ces évêques africains qui se sont donné beaucoup de mal pour imposer le mariage monogame dans des sociétés polygames et qui vivent d’autant plus mal les ouvertures sur ces questions d’un Occident qu’ils jugent décadent », décode le subtil vaticaniste de l’AFP Jean-Louis de La Vaissière.
Il faut ainsi entendre le cardinal charger contre les missionnaires « touristes », se souvenant de ceux de son enfance, « qui restaient toute leur vie plantés à un endroit ». S’emporter contre les évêques occidentaux, allemands en particulier, « qui aspirent à diriger l’Eglise alors qu’ils sont en pleine crise spirituelle chez eux ». Dénoncer certains prélats romains « qui, quand ils travaillent à leur propre promotion, précipitent la ruine de l’Église ». Et même s’indigner « des photographes qui désacralisent les cérémonies »… L’homme vit son sacerdoce comme une lutte contre tout ce qui égare de l’essence du catholicisme. « Dieu vomit les tièdes comme il est dit dans Le Livre de l’Apocalypse », lance ce guerrier spirituel : « Si nous redonnons à la liturgie sa beauté originelle, l’homme retrouvera la foi qui le lie naturellement à Dieu. »
Le modèle Ratzinger
« Mgr Sarah fait penser à un Benoît XVI africain », remarque Jean-Louis de La Vaissière. « Il est plus Ratzinger que Benoît XVI, précise Michel Roy, secrétaire général de Caritas internationalis. C’est un point de repère pour ceux qui se raccrochent à une doctrine classique, et un homme de prière convaincu de la nécessité de résister à une société dominée par la sécularisation, le matérialisme, le consumérisme. » Un nouveau Joseph Ratzinger ? « Slogan réducteur, tranche Nicolas Diat. Le cardinal a une forte admiration pour le pape émérite, mais son vrai modèle reste Paul VI. » Cette filiation spirituelle convient à l’intéressé. « J’ai beaucoup reçu du cardinal Ratzinger, souligne Mgr Sarah. Pour moi, il est un guide, une référence d’humilité, de profondeur spirituelle. » Moins timide que le théologien allemand, le cardinal africain pourfend l’« affaiblissement de la foi », « cette tiédeur qui nous assaille », comme il le souligne avec une moue de dégoût. « Les musulmans sont aussi zélés parce qu’ils croient au Coran, parce qu’ils n’ont pas honte d’être musulmans, de prier publiquement, de porter les signes de leur foi, martèle le cardinal Sarah. Nous devons retrouver cette Lumière qui nous guide, celle de l’Évangile. » Jusqu’où ?
Par Jérôme Cordelier