Lorsqu’il passe par Paris, qu’il connaît comme le fond de la poche de son boubou, Alpha Condé descend invariablement à l’hôtel Raphael, un cinq-étoiles passablement suranné du « triangle d’or » qui n’est ni le plus chic ni le plus cher des palaces, et le seul de la capitale française à demeurer encore sous pavillon tricolore.
Dans cet établissement très vintage, hanté par le souvenir de Serge Gainsbourg et d’une pléiade de stars américaines des années 1950, le président guinéen, Alpha Condé, a ses habitudes. Il y reçoit en jean et chemise Pathé’O, sandales aux pieds et pieds sur la table basse du salon, ses téléphones à portée de main.
Le soir, tout aussi invariablement, cet homme qui déteste dîner seul invite au restaurant – chinois, français, algérien, c’est selon – une petite tribu de vieux amis des années Sciences-Po, de journalistes et de fidèles, triés sur le volet. Tutoiement de rigueur, cravate proscrite et coups de fil incessants du chef, qui picore plus qu’il ne mange et ne perd pas un mot de ce qui se dit.
Cet Alpha Condé-là, simple, convivial, taquin, réactif, militant, étonnamment jeune pour ses 78 ans, ne changera jamais. Ainsi était-il lorsqu’il usait ses pantalons pattes d’eph’ sur les bancs de la Sorbonne. Ainsi demeurera-t-il jusqu’à son dernier jour.
L’autre Alpha, chef d’État élu et réélu de la Guinée, doit et va changer. Lui qui a passé le plus clair de son premier mandat à tout décider, tout contrôler, parer à toutes les urgences politiques, économiques, sociales et sanitaires, bref, à se mêler de ce qui, pensait-il, le regardait – c’est-à-dire tout ou presque – jusqu’à l’excès et à l’épuisement, ne pourra ni ne devra rester le même.
Continuer ainsi sonnerait d’ailleurs comme un constat d’échec : cela signifierait qu’Alpha Condé n’est toujours pas parvenu à doter son pays d’institutions fiables et d’une classe de gestionnaires capables de prendre leurs responsabilités. Fort heureusement, tout indique le contraire : le gouvernement formé à l’issue de la présidentielle d’octobre 2015 est composé de femmes et d’hommes compétents et désireux de faire leurs preuves.
La place d’Alpha II est donc, désormais, ailleurs que sur la chaîne des OS de la politique, les mains maculées de cambouis. Il a d’ores et déjà pris de la hauteur et de la distance par rapport à la gestion quotidienne, appris à déléguer et à faire confiance. On le sent plus arbitre, plus investi dans le contrôle de l’action que dans l’action elle-même, moins politicien en état d’urgence et plus agrégateur de la nation au-dessus de la mêlée.
Lui manque encore, faute d’avoir trouvé le temps nécessaire pour l’acquérir, une vraie dimension continentale. Ce ne devrait pas être trop difficile. Militant anticolonial, puis antidictatures, partie prenante des luttes de libération africaines, démocrate passé par la case prison et par deux scrutins présidentiels pluralistes : qui d’autre que lui peut se prévaloir d’un tel pedigree ?
Avec Jeune Afrique