Qu’est-ce qui fait qu’un couple dure toute une vie ? Qu’est-ce qui fait qu’un homme et une femme vieilliront ensemble, alors que d’autres se seront séparés, certains très tôt, quelques-un sur le tard, beaucoup en plein chemin ? Hasard de loterie, alchimie amoureuse, harmonie sexuelle, foi dans le couple, tempérament fidèle, croyance religieuse… chacun de ces facteurs joue son rôle, sans qu’il ne soit possible de dresser le portrait-robot du couple durable. Les raisons de rester ensemble sont une chose, le mystère d’un lien intime une autre, incomparable.
On sait seulement que, pour personne, n’existe aujourd’hui de garantie absolue que ça dure toute une vie. Ni le mariage, pourtant précieux comme soutien, ni le serment d’amour, pourtant de bon augure, ne sont pas une assurance tous risques. La preuve ? On se marie et on se démarie, on s’aime et on ne s’aime plus. Le divorce et le désamour sont les signes majeurs du mal-être conjugal. Ils ne sont pas les seuls. Il y a aussi les ménages dans l’ennui, les amours en monotonie, les maisons en tristesse ou en violence sourde. Au pays des amants, se côtoient le meilleur et le pire, la merveille et l’horreur, la grâce et la pesanteur.
Les jeunes continuent pourtant de croire en l’amour et de se marier. Leur engagement est seulement plus tardif et assorti d’un discours généralisé d’incertitude concernant l’avenir. Plus que les anciens, pétris du sentiment et de l’obligation d’un amour éternel, ils voient la vie de couple comme une aventure à l’issue incertaine. « On ne peut pas savoir », disent-ils, honnêtes et lucides. De l’histoire de leurs parents et grands parents ils ont appris que le lien conjugal est fragile. Est-ce à dire que durer ensemble n’est que loterie ou arrangement incertain ? Que, selon les circonstances, ça passe ou ça casse ? Une autre option est heureusement possible. Dans l’absence de garantie absolue que ça dure, il est possible d’utiliser le temps comme un allié pour construire le lien et pour le reconstruire quand il s’effiloche. L’absence de garantie est le plus vif stimulant pour s’impliquer et s’engager dans la durée. Il n’y a pas d’autre façon de durer ensemble que de tirer profit du temps pour faire travailler l’amour, pour vivre une histoire, pour oser le bonheur d’un vivre ensemble.
Un couple qui n’est pas chahuté par le travail amoureux est un couple qui se meurt. Au commencement, le chahut est immense : ivresse, passion, agrippement, comblement. Ces le temps des minuscules attentions, des pensées devinées, des désirs accordés. Encore faut-il ne pas craindre cet embrasement des corps et des cœurs. Il en est déjà là qui fuient et d’autres qui se brûlent. Pour beaucoup, le plus délicat sera d’entretenir le feu sacré, alors que les passions se seront apaisées et que de minuscules déceptions se seront infiltrées dans les corps et dans les cœurs.
Ce sera le moment de faire travailler l’amour. Il y a le travaille de la pensée amoureuse qui met l’être aimé en soi, aussi intime à soi-même que soi-même, si différent et si étrange pourtant. Il y a le travail du désir si changeant dans ses formes et ses méformes, mais toujours actif, à un moment, dans le manque éprouvé de celui ou celle que l’on aime. Il y a le travail amoureux des gestes, une main qui se tend, des bras qui s’ouvrent, une caresse qui s’esquisse, une oreille qui se prête à l’écoute. Pour autant qu’il est vivant, un amour est créatif à l’infini.
Vivant il fait reculer les forces de mort toujours à l’affût. Et d’abord la plus résistante de toutes, la haine, increvable associée de l’amour. Durer ensemble c’est utiliser le temps donné pour lui tordre le cou et la débusquer sous toutes ses formes, du mépris à l’ennui, de l’intolérance à l’indifférence. Parce que le travail de mort ne désarme jamais totalement, le travail amoureux est tous les jours d’actualité.
Durer c’est aussi faire histoire commune. Les saisons d’un couple se suivent et ne se ressemblent pas, pas plus que les jours, les années et les âges de la vie. Les espoirs paisibles d’un matin de printemps butent un jour sur les pertes irréparables de l’automne. Les ardeurs des jours d’été débouchent sur d’obscures nuits d’hiver. D’une saison à l’autre, l’amour est à la joie et à la peine, à la maison pleine d’enfants et à la maison vide, à l’insouciance et à la douleur, à la vie et à la mort.
A travers les saisons qui passent, s’opèrent les métamorphoses du couple. Autre saison, autre couple ! L’important, si l’on veut durer ensemble, est que des liens se tissent, que des événements soient partagés, qu’une œuvre humaine s’accomplisse, que des complicités se creusent. Des liens tel que la rupture deviennent impensables. Des événements qui font trace d’histoire. Une œuvre qui soit fécondité de l’amour. Des complicités qui permettent de dépasser conflits et crises. Durer ensemble : traverser des saisons en s’ouvrant des chemins jusque-là encore inconnus.
Durer, ces oser le bonheur d’un vivre ensemble jusqu’à la fin. Le pari n’est pas aisé à tenir. La préférence moderne va au jetable et au remplaçable, à la nouveauté et au dernier cri. Si l’économie y trouve son compte, le couple pas vraiment. Car il faut de la permanence et de la lenteur pour construire un bonheur humain. Un bonheur à deux n’est pas la béatitude. Il est recherche patiente de plaisir partagés, de déplaisirs assumés, de rendez-vous manqués et de rendez-vous réussis. A ses heures, il est tendresse et de repos, comme à d’autres heures il est conflits et colère, désolation et silence. L’intermittence est le creuset du bonheur conjugal durable.
Homme et femme, toute une vie ensemble ? Pourquoi pas ? Le bonheur peut-être dans le pré, à condition de faire travailler l’amour amoureux pour qu’il devienne lien et histoire.