«Papa Bilivogui, papa Bilivogui, viens vite à la gendarmerie de Bambéto, tes neveux Georges et Gobou viennent d’être enfermés, viens vite». Je reçois l’appel téléphonique d’une voisine de concession samedi 30 juillet 2016 vers 22h, je me précipite sur les lieux.
La voisine qui m’a appelé me reçoit et me relate brièvement ce qui s’est passé. Ma nièce Gobou aurait reçu dans son bar sis au marché de kaporo-Rails son fiancé André avec qui elle vit en séparation de corps, le gars aurait tenté de récupérer de force sa fillette de deux ans, une dispute s’en serait suivie au cours de laquelle Gobou aurait reçu des coups ; elle aurait alors appelé au secours Georges son jeune frère, celui-ci aurait croisé dans la rue le fiancé, les deux se seraient pris au collet et roulés par terre. Georges, plus petit et plus faible, se serait défendu à l’aide d’un projectile et André a écopé d’une blessure à la figure.
Gobou porte son enfant au dos, elle partage le même violon avec quatre jeunes gens dont Georges qui a les mains menottées au dos. Le condamnant et ses adjoints étant déjà rentrés, je tente de négocier une liberté provisoire avec l’agent de garde, peine perdue, je réussis juste à récupérer l’enfant. Je reviens le lendemain perdre toute la journée à attendre le commandant de poste qui ne vient pas. L’époux de la sœur aînée d’André m’informe qu’il a passé la nuit à Donka où son beau-frère aurait été admis au bloc opératoire pour une intervention d’urgence. Il ajoute : « André a la tête enflée, il ne parle pas, il est entre la vie et la mort ». Je lui demande de m’accompagner voir le blessé, ce dernier se trouve sur un lit d’hospitalisation département ORL à l’intérieur du camp Camayenne qui héberge présentement tous les malades du CHU Donka.
Le malade, me voyant entrer dans sa salle, se lève et s’assied, je lui tends la main, lui souhaite prompt rétablissement. Je constate que son état n’est pas aussi alarment qu’on me l’a décrit. Nous restons quelques minutes puis nous nous retirons.
La famille d’André, la mienne et moi-même nous nous retrouvons à la gendarmerie lundi matin pour débattre du problème avec les assistants du commandant du poste qui lui-même se tient à l’écart dans son bureau. L’officier de police judiciaire avance qu’aucune discussion n’est possible tant que le blessé n’a pas retrouvé sa santé et que par conséquent Gobou et son frère resteront au violon. Un agent voudrait savoir si nous sommes tous parents, la sœur aînée et le jeune frère d’André protestent vigoureusement pour écarter tout lien de parenté, pour eux c’est une affaire criminelle et c’est la loi seule qui doit prévaloir.
Je repars le jour suivant voir André, je suis accompagné par deux sages représentant respectivement les villages du malade et de mes neveux, un parent médecin de Donka est du groupe. Mes compagnons prennent la parole à tour de rôle pour amener André et les siens à retirer l’affaire de la gendarmerie pour la régler en famille ; le médecin ajoute qu’il est prêt à le recevoir et continuer le traitement dans sa clinique privée, André et sa famille opposent un refus catégorique à toutes ces propositions. Je reviens seul le lendemain honorer l’ordonnance du jour pour 43 000 FG.
Une autre voisine de concession me conseille de recourir à un parent gendarme, officier de police judiciaire en service à la brigade de gendarmerie de Kaporo-Rails. Contacté, celui-ci accepte de s’impliquer, il négocie avec ses camarades de Bambéto la relaxe de Gobou, il me dit qu’il n’approuve pas du tout le fait qu’elle soit interpelée, pour lui c’est Georges seul qui doit payer pour avoir versé du sang. Gobou recouvre sa liberté le 3 août 2016 à la fin de son cinquième jour de violon. Mais quelques heures avant sa mise en liberté, excédé par le problème, je rencontre Madame Moussa Yéro Bah, journaliste à Espace FM et responsable d’une ONG de défense des filles et femmes victimes de violences. Au bout d’un bref entretien elle prend mon contact, seulement pour la suite mes appels téléphoniques restent sans réponse.
Lors de la première assisse à la gendarmerie je suis sommé de prendre en charge les frais de traitement du blessé à compter du jour de l’assisse, les frais déjà supportés par sa famille devraient faire l’objet de discussions après la guérison. C’est dans cette lancée que j’honore une deuxième ordonnance de 182 000 FG le sixième jour d’hospitalisation, je confie en plus au malade les frais liés au lit qu’il occupe pour le prix officiel de 190 000 FG. André me téléphone pendant que je rentre à la maison à 19h pour me dire que le médecin traitant est venu après moi exiger de payer une facture 1 850 000 FG correspondant à l’intervention chirurgicale et les premiers soins à lui prodigués ; il poursuit que le médecin, très en colère, a intimé aux infirmiers de garde de ne pas toucher aux produits achetés et de l’isoler jusqu’à nouvel ordre.
Mon parent médecin téléphone à son collègue pour demander des explications autour de la facture, celui-ci lui répond qu’il n’a de compte à rendre à personne d’autre qu’au blessé et sa famille. Suite à cette impasse, je cours solliciter l’assistance d’un colonel gendarme à la retraite, il se met volontiers à ma disposition le 8 août 2016 pour rendre visite à André avec qui il s’entretient, écoute longuement par téléphone le médecin traitant, part avec moi rencontrer les deux brigades de gendarmerie de Kaporo-Rails et de Bambéto ; il plaide pour qu’on ne défère pas Georges en justice parce que, selon lui, l’inculpé pourrait encourir par moins de cinq ans de prison. Il ajoute que n’eut été le sang versé, André a tort de battre sa femme et de vouloir disposer par la force de son enfant.
Au lendemain de cet entretien l’OPJ de Bambéto me fait signer un engagement pour payer dans une semaine au plus tard 3 158 000 FG totalisant la facture du médecin traitant et les dépenses effectuées par la famille d’André. Je suis contraint en plus de payer 2 500 000 FG avant 24h si je ne veux pas voir déféré mon neveu à la sûreté. Je réussis à m’acquitter un jour après du premier montant (3 158 000 FG) puis de 1 000 000 de FG pour le second montant. C’est enfin que Georges recouvre une liberté dite provisoire en attendant que le malade, bien que sorti de l’hôpital, soit totalement rétabli à mes frais.
Ainsi s’achèvent deux semaines de privation de liberté pour mes neveux, de tracasseries et d’insomnies pour moi. Mais au moment où je me retire abattu de la gendarmerie de Bambéto, une affaire de vol de bétail en provenance de la préfecture de Gaoual est sur le tapis. Il est demandé au prévenu la somme de 30 000 000 de FG, celui-ci plaide qu’on laisse à 10 000 000FG. Toutes ces tractations m’amènent à croire aisément que les postes de gendarmerie ou de police ne sont rien moins que des tribunaux bis où l’argent coule à flot, les agents qui y travaillent peuvent se la couler douce. Quand j’entends parler de reforme dans le secteur de la défense et de la sécurité, je ne peux que pouffer de rire car c’est beaucoup plus des effets d’annonce que de la réalité.