COMMENT SE LIBERER DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE AU PLAN ÉCONOMIQUE?
Dans beaucoup de nos publications, plusieurs mots sont récurrents : servitude volontaire, se prendre en charge pour spécifier de véritables modèles adaptés à la structure de nos économies, repenser nos façons de comprendre l’économie, etc.
Dans la dernière publication également, nos propos étaient axés aussi sur la question de savoir comment l’État peut procéder pour relancer l’économie ?
Commençons par définir ces concepts, le but de cet exercice pédagogique est de se faire suffisamment comprendre par les lecteurs et surtout, les non spécialistes.
1) la servitude volontaire par définition, est le manque de politiques endogènes de développement de la part des cadres aux commandes des gouvernails économiques africains, elle est caractérisée par deux faits stylisés : la répression monétaire et la répression financière (Pr Kako NUBUKPO, économiste togolais actuellement directeur de l’économie numérique á l’OIF);
2) la répression monétaire est l’incapacité des autorités monétaires à financer les économies ;
3) la répression financière est aussi le manque de spécification de politique pour rendre compétitif les économies.
Pour rendre la relance budgétaire maximale, il faut que les pouvoirs publics mènent une politique monétaire d’accompagnement, ceci est une lecture keynésienne de la courbe de W.Phillips par deux célèbres économistes américains tous prix Nobel de l’économie, Paul Antony Samuelson et ROBERT Merton Solow,(1960)
Cette lecture impose un arbitrage inflation-chômage, croissance-inflation.
La spécification de modèles adaptés à la structure de nos économies, implique le choix des instituions bancaires capables de financer les économies, capable de mobiliser fortement l’épargne nationale et effectuer des crédits, donc financer l’économie, ce qui n’a rien à voir avec les politiques monétaires de pays riches qui ont les infrastructures, la croissance, qui ont pu vaincre l’ignorance, la pauvreté relative, la précarité et la déchéance des revenus.
Aujourd’hui, nous centrons nos propos sur la fiscalité comme levier de développement économique pour notre pays. À l’heure actuelle, et face à la mondialisation et à cette grande ouverture économique, et compte tenu de l’insuffisance des ressources financières, tous les pays et plus particulièrement les pays en développement doivent chercher un montage financier adéquat pour financer leur développement économique. En plus des ressources clés de financement qui différent d’une région à l’autre et d’un pays à l’autre, la fiscalité constitue un levier aussi important en matière de financement du développement.
L’efficacité d’une telle source de financement nécessite une gestion rigoureuse de ses composantes, telles que le recouvrement des contributions fiscales, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, la modernisation de l’administration fiscale, etc. (le Gouvernail budgétaire actuel de la Guinée fait actuellement des efforts en ce sens).
Les recettes fiscales constituent une source importante pour le financement du développement d’un pays. Cependant, par rapport aux autres ressources clés du financement du développement tels que les hydrocarbures, le commerce, l’aide internationale et la dette, la fiscalité n’a fait l’objet que d’un intérêt limité jusqu’à présent.
La réforme des systèmes fiscaux peut contribuer favorablement au développement en renforçant l’autonomie financière des pays (Guinée précisément) . Cela peut aussi susciter des réformes plus vastes. Taux et tranches d’imposition sont des préoccupations lointaines lorsqu’on n’a pas de quoi s’offrir un système efficace de recouvrement de l’impôt, comme c’est le cas dans beaucoup de pays en développement, notamment la Guinée. Malgré les efforts fournis pour générer des ressources de financement, les recettes fiscales restent toujours loin des objectifs souhaités, cela par la faute du manque de financement de l’économie, par une politique monétaire efficace, car si vous ne financez pas la croissance, vos recettes ne suivrons pas, les recettes sont basées sur l’activité économique et elles sont positivement corrélées avec la croissance. Dans ces conditions, il est difficile pour un État de bien fonctionner, et plus encore de fournir des services sociaux ou d’améliorer le climat des affaires par exemple.
1) L’IMPORTANCE DE LA FISCALITÉ POUR LE DÉVELOPPEMNT :
La stabilité des finances publiques constitue un élément essentiel du développement d’un pays. En effet, la couverture sociale, l’infrastructure et les services de base tels que l’éducation et les soins de santé sont déterminants en termes de développement. Pour assurer une certaine stabilité, il est essentiel que les méthodes de financement de ces biens et services publics proviennent dans la mesure du possible des propres ressources du gouvernement, à savoir les recettes fiscales, si l’on veut se libérer de la servitude volontaire. Cela explique la relation étroite entre la fiscalité et le financement du développement. Pour plusieurs raisons, les pays en développement rencontrent des difficultés lorsqu’il s’agit de recueillir leurs recettes fiscales nationales efficacement. Si notre pays étaient capable de percevoir des recettes fiscales suffisantes, il pourrait devenir financièrement plus autonome. Notre financement dépendrait alors moins du financement extérieur, ce qui réduirait notre dépendance vis-à-vis de l’étranger.
Cette autonomie favoriserait la stabilité du budget du gouvernement, étant donné que les recettes fiscales sont moins incertaines et imprévisibles que l’apport d’aide. Cela pourrait également encourager le gouvernement à mettre en place des politiques, vu que le contexte des politiques économiques est généralement associé à l’aide étrangère et aux emprunts extérieurs.
Par ailleurs, l’amélioration du système de recettes fiscales pourrait renforcer l’obligation de rendre compte en démocratie et laisser la place aux baisses des taux marginaux d’imposition élevés.
2) LA FISCALITÉ, LEVIER DE DÉVELOPPEMENT :
Les reformes fiscales peuvent contribuer à favoriser le développement en renforçant l’autonomie des gouvernements (c’est pourquoi, nous partageons totalement la politique de réforme actuelle de notre système fiscal). Les pays en développement savent que pour bâtir une économie prospère, attirer les entreprises, créer des emplois et éradiquer la pauvreté, ils doivent renforcer leurs capacités, étoffer leurs infrastructures, lutter contre la corruption et instaurer des systèmes financiers transparents. ils doivent aussi, à l’échelle mondiale, combattre les flux financiers illégaux et réduire l’impact des paradis fiscaux, afin de préserver leurs ressources déjà limitées.
Les recettes fiscales jouent un rôle crucial pour atteindre ces objectifs. Un cadre budgétaire stable et prévisible favorise la croissance et, à plus long terme, réduit la dépendance envers l’aide au développement. La fiscalité est aussi liée à la « bonne gouvernance », car les systèmes fiscaux sont un vecteur d’amélioration des relations entre l’État et la société, et de renforcement de la responsabilité à l’égard des citoyens.
Le moment est opportun pour continuer une réforme fiscale. L’abandon des taxes indirectes sur les échanges au profit de la TVA (pas trop élevée) accroît la visibilité du système fiscal et favorise l’établissement de relations directes (et formelles) entre l’État et les petites entreprises.
3) FRAUDE ET ÉVASION FISCALES ET PROBLÉMATIQUE DE FINANCEMENT :
La fraude et l’évasion fiscales perpétrées par les contribuables ont des effets nocifs de loin plus importants que les détournements des fonds (cela ne veut pas dire que nous cautionnons les détournements, absolument pas), sur les économies des pays en développement.
Et si la fraude fiscale opérée par les grandes entreprises était le plus grand ennemi du développement ? C’est en tous cas la thèse défendue par une organisation internationale qui plaide pour la justice fiscale, Tax justice Network, et qui dans une enquête révèle que l’évasion fiscale est plus importante que les détournements de fonds.
4) LA MOBILISATION CONTRE L’ÉVASION FISCALE :
Le constat est simple : l’Afrique est une véritable « passoire fiscale ». Alors que les recettes fiscales des pays riches représentent environ 35% de leur produit intérieur brut (PIB), elles dépassent rarement 15% du PIB dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Les fuites fiscales interviennent à tous les niveaux : de la corruption des administrations fiscales à l’évasion organisée des capitaux en passant par les exemptions fiscales consenties pour attirer des compagnies étrangères.
Difficile à évaluer avec précision, la perte n’en est pas moins massive. Selon l’Institut Global Financial (GFI), les seules fuites illégales de capitaux en Afrique auraient dépassé les 850 milliards de dollars de 1970 à 2008.
Encore faut-il ajouter les divers manques à gagner, provenant notamment de la difficulté à collecter l’impôt dans nos pays où plus de 40% de l’économie est informelle ( nous avons déjà un papier sur la solution pour une réduction de la dimension du secteur informel en République de Guinée).
« Cette dotation aurait permis de payer toute la dette extérieure de l’Afrique et garder 600 milliards pour financer son développement, c’est énorme », souligne Sandra Kidwingira, de l’association Tax justice Network Africa (TJN-A).
CONCLUSION :
En bref, la lutte efficace contre la fraude fiscale renvoie à l’approfondissement de la réforme globale, donc un État de droit et une bonne gouvernance (une profonde moralisation de la société) reposant sur le savoir, et les entreprises compétitives devant tenir compte tant des mutations mondiales (mondialisation) que des transformations sociales, économiques et politiques internes.
Bâtir un système fiscal efficace est un travail difficile à faire. Donc, il faut transformer les mentalités et les comportements des contribuables. Les citoyens ordinaires peuvent être réticents à payer l’impôt, invoquant souvent à juste titre la corruption de l’administration ou son mauvais usage systématique des fonds publics. Quant aux élites, elles pratiquent souvent l’évasion fiscale, notamment au moyen des paradis fiscaux. Enfin, il faut dire qu’un pays qui veut bâtir un système fiscal moderne, il devra introduire des mécanismes fiscaux rationnels en matière de collecte, de justice, de fraude et d’évasion fiscales.
Par Nassirou Narena Keita
PhD Economie, en service à la BCRG
Directeur du laboratoire de Recherche Ėconomique et Conseils