« Il y a beaucoup d’argent, de véhicules et de matériels qui sont utilisés tantôt pour la sensibilisation contre Ébola tantôt pour la réélection d’Alpha Condé…», Cellou Dalein Diallo.
Dans une interview conjointe qu’ils ont accordée à Guinéenews©, depuis la capitale française, il y a quelques semaines de cela, Cellou Dalein Diallo et Bah Oury, respectivement président et vice-président de l’union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) ont fait parler de leur actualité. L’assassinat de Thierno Aliou Diaouné, la tournée américaine et française du chef de file de l’opposition, la prochaine présidentielle, l’exil, les violences survenues à Labé, la gestion d’Ébola sont entres autres des sujets abordés par les deux têtes pensantes de la première force politique du pays.
Guinéenews© : La Guinée s’est réveillée avec l’annonce de la mort tragique de Thierno Aliou Diaouné, ex-ministre de la jeunesse.
Cellou Dalein Diallo : Nous déplorons ce crime, monsieur Diaouné, c’est quelqu’un qui a participé à tous les combats qui ont été menés pour l’avènement de la démocratie dans notre pays. C’est un cadre brillant qui, jusqu’à sa mort, travaillait pour les nations unies dans le cadre de la consolidation de la paix. On ne peut pas rester sans se poser des questions sur le motif de ce crime. Monsieur Diaouné, j’ai eu le privilège de le recevoir il y a un mois. A cette occasion, il m’a dit qu’il se sent menacé pour ses prises de positions, pour le travail objectif qu’il fait, que ça gêne des gens. Donc, je suis surpris que ça lui arrive parce que, je ne prenais pas cela au sérieux. Mais aujourd’hui, je suis en train de m’interroger. Car ce n’est pas la première fois qu’il y ait un crime odieux de cadres guinéens. Avant lui, il y a eu madame Boiro, directrice du trésor et tout récemment Adama Oury Diallo, le président de la section motard de l’UFDG. Au lendemain de tous ces crimes, le gouvernement s’est engagé à faire toute la lumière, et à identifier les responsables de tous ces crimes avant de les déférer devant les tribunaux, mais on n’a jamais eu de résultats. Je ne sais pas s’il y a une volonté réelle de faire la lumière sur ces crimes-là. Ça nous amène à nous poser des questions sur l’origine, sur les motivations des criminels, parce qu’ils bénéficient toujours de l’impunité. On dirait que ce sont des gens qui sont couverts par une force qu’on ne voit pas. Il y a des gens qui sont responsables de la sécurité, c’est l’État ! C’est le gouvernement ! S’il n’y a rien, on ne peut que ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des citoyens guinéens, ils ont failli à leur devoir.
A quoi répond votre présence à Paris ?
Cellou Dalein Diallo : J’ai effectué une tournée pour prendre contact avec les militants et les responsables du parti afin de les sensibiliser sur la nécessité de rester mobiliser pour la lutte que nous menons pour l’avènement d’une société démocratique dans notre pays, pour l’organisation d’élections transparentes en Guinée. Et partout où je passe, j’en profite pour rencontrer les autorités du pays. J’ai notamment rencontré les autorités américaines et même, ici, les autorités françaises pour attirer leur attention sur les conséquences liées à une mauvaise organisation des prochaines élections et la décision de monsieur Alpha Condé de refuser toute assistance technique et tout financement de l’union européenne. Au départ, il est revenu sur cette décision, mais elle était déjà suspecte, parce qu’on ne peut pas comprendre que la Guinée, confrontée à une crise économique et financière sévères, refuse un financement extérieur pour ces élections. Il y a également le doute qu’on avait sur sa volonté d’accepter même une observation internationale pour ces élections. Alors, il faut attirer l’attention des gens sur ce qui est lié à l’organisation d’une mascarade électorale en Guinée dans un contexte marqué par une forte tension liée à la violation des droits humains, à l’insécurité, au refus d’ouvrir un dialogue de bonne foi, au refus de la CENI (ndlr, commission électorale nationale indépendante) d’associer les partis politiques à la préparation des élections, car comme vous le savez, la transparence des élections, ce n’est pas seulement le jour du scrutin. C’est dans tout le processus de préparation. Il fallait attirer l’attention de la France qui est un partenaire privilégié de la Guinée, qui participe au développement socio-économique et qui fait ce qu’elle peut pour améliorer les conditions de vie des guinéens. Particulièrement, ils sont intervenus efficacement dans la riposte contre Ébola. Il faut leur exprimer notre gratitude, mais aussi attirer leur attention sur les risques liés à une mascarade électorale en Guinée.
Lors de l’inauguration d’une cité d’envergure à Conakry, le président de la République a clamé qu’il gagnera, sans tricher, la prochaine présidentielle dès le premier tour. Un commentaire ?
Cellou Dalein Diallo : Je pense que, personne n’accorde du crédit à cette déclaration. Ceux qui connaissent la situation réelle, aujourd’hui, de la Guinée, de la déception des guinéens face à la gouvernance d’Alpha Condé qui est caractérisée par la corruption, la prolifération des marchés de gré à gré à des amis, à des proches de la famille, la misère noire à laquelle est confrontée, aujourd’hui, les guinéens qui n’arrivent plus à assurer, pour certains, même un repas par jour. Avec l’insécurité grandissante qui est là, les guinéens ne sont pas prêts à faire réélire Alpha Condé qui, au terme de cinq ans, n’a présenté aucun résultat tangible. Demandez aujourd’hui, que ce soit sur le plan de la démocratie, il a fallu à l’opposition deux ans de bataille, avec des pertes en vies humaines énormes. Cinquante sept militants ont été tués à bout portant. Il a fallu à l’opposition deux ans de combat pour organiser des législatives, des élections législatives truquées. Les élections communales pour lesquelles il a pris un engagement devant la communauté internationale lors du dialogue de juin 2013 ne sont toujours pas organisées. Les droits humains sont violés, l’impunité est garantie aux criminels. Le niveau de vie des citoyens a drastiquement baissé. Est-ce qu’on peut raisonnablement, objectivement penser que les guinéens sont encore prêts à faire réélire Alpha Condé? Non! Je pense que, sa déclaration rentre dans le cadre de la stratégie de préparation d’un hold-up électoral auquel il veut procéder lors des élections. Ce n’est pas possible! Il ne peut pas gagner ni au premier ni au second tour ! S’il y a un second tour, moi, je suis convaincu qu’Alpha Condé ne pourrait pas le gagner. Si jamais (il tire sur le mot), il était qualifié pour le second tour.
A un certain moment, il se disait que les rapports entre vous Cellou Dalein étaient tendus. Qu’en est-il en ce moment ?
Bah Oury : Vous savez, depuis la rencontre de Dakar, on a décidé de laver le linge sale en famille et de tourner la page. Et depuis lors, le processus de recréation d’un climat de confiance, au delà de nos deux personnes, mais sur une base plus large au niveau de l’ensemble des responsables du parti, cette recréation de confiance est en train d’évoluer positivement. Et puis, la situation réelle du pays nous oblige, dans le contexte tragique dans lequel nous sommes aujourd’hui, à se donner la main pour que monsieur Alpha Condé abrège sa gouvernance. Il y va de l’intérêt du pays tout entier et, bien entendu, de l’intérêt de l’UFDG. Donc, ce que je peux dire par rapport à cette question, l’UFDG a montré sa maturité, sa capacité à transcender toutes les difficultés qui sont inhérentes à toute organisation, à toute institution. Cette épreuve a renforcé le processus de crédibilisation de tous les responsables du parti. Je pense que, c’est une bonne issue qui préfigure l’arrivée de l’UFDG au pouvoir d’ici peu de temps par la grâce de Dieu.
Je reprends la même question que j’avais posée au président de l’UFDG. Que répondez-vous au président en exercice qui clame qu’il gagnera la prochaine présidentielle dès le premier tour sans même tricher ?
Bah Oury : Déjà, il y a un de nos responsables qui a répondu avec un certain humour. S’il dit que ce sera sans triche, cela veut dire que les précédentes élections, il avait triché pour les gagner. Donc, c’est une confirmation de sa part que, les élections de 2010, il ne les avait pas gagnées, qu’elles n’ont pas été transparentes. Deuxièmement, comme l’a dit El hadj Cellou, il prépare l’opinion par rapport à ce qu’il veut faire. Il veut rassurer aussi certains de ces soutiens qui s’inquiètent et qui s’interrogent. Donc, c’est une manière de rassembler sa troupe de dire que, quoi qu’il en soit, ne vous inquiétez pas, je gagnerai dès le premier tour. Mais déjà, c’est un aveu de faiblesse de la part de monsieur Alpha Condé et au fond de lui-même, il s’inquiète. Le bilan est largement négatif, sa popularité est au plus bas. Et au delà d’une popularité conjoncturelle, les guinéens, dans leur grande majorité, ne lui font plus confiance pour être en mesure de présider aux destinées du pays.
Peut-être la dernière question vous concernant. Cela fait près de trois ans que vous vivez un exil forcé en France. Comment est que vous vivez cet exil ?
Bah Oury : Comme tout être, on est bien lorsqu’on peut rentrer chez soi. Ce n’est pas facile. Mais je dois dire que, par rapport à l’exil que d’autres ont connu il y a vingt ans, l’exil que je vis est beaucoup plus soft. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui, je suis en phase avec ce qui se passe au pays, je suis suffisamment bien informé. Les systèmes d’information font que, partout dans le monde, on est présent. Bien sûr, physiquement, on ne l’est pas. Mais on est en phase, on participe au débat même à distance à travers les radios, Internet… La communication a fait un très grand progrès, ce qui fait, aujourd’hui, que l’exil est relatif.
Certains affirment que le président Cellou ne fait pas de votre retour en Guinée sa priorité. Par exemple, lors du dialogue politique, le dossier de votre retour n’a pas été mis sur la table. Conjuguez-vous le même verbe que ceux qui pensent ainsi ?
Bah Oury : De toutes les façons, dans ce contexte actuel, il y a ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Ceux qui peuvent agir par rapport à cette question sont de tous les côtés. Par exemple, quand monsieur Alpha Condé avait été incarcéré, c’était beaucoup plus le vieux Biro (ndlr, Aboubacar Biro Diallo, ex- Président de l’Assemblée nationale) qui s’est décarcassé en tant que président de l’Assemblée nationale pour faire libérer monsieur Alpha Condé et faire adopter une loi d’amnistie à son égard. Monsieur Biro était de la même mouvance politique que le général Lansana Conté. Donc, ça relativise les positions. Ce qu’on peut demander, c’est par rapport à ceux qui sont incarcérés au pays, qu’il y ait une plus grande présence, qu’il y ait de ce point de vue, une conjugaison de tous les efforts pour que ceux qui sont emprisonnés puissent être libérés le plus rapidement possible pour abréger leur difficulté et leur souffrance.
Revenons à vous. Avant la France, vous étiez aux États-Unis. De quoi a t-il été question au pays de l’oncle Sam ?
Cellou Dalein Diallo : C’est la même chose! Il fallait prendre, là aussi, des contacts avec les responsables du parti ensuite avec les autorités américaines qui sont chargées de la gestion des relations avec l’Afrique. Là aussi, nous n’avons pas manqué d’attirer leur attention sur les réalités que vit le peuple de Guinée ainsi que les préoccupations de l’opposition guinéenne par rapport au respect des dispositions des accords du 3 juillet, par rapport à la sécurité des citoyens, au respect des droits humains et naturellement par rapport à l’organisation d’élections libres et transparentes. Nous avons expliqué toutes nos préoccupations, le message a été bien compris.
En votre absence, du côté de Labé, ville qui est considérée comme votre fief, il y a eu des troubles durant lesquelles, on a dénombré plusieurs blessés qui ont reçu des chevrotines. Quel est votre état d’âme face à cette situation, surtout à l’approche des élections ?
Cellou Dalein Diallo : Il faut rappeler que la manifestation pacifique de Labé était organisée pour protester contre les abus des responsables de l’éducation à Labé, qui sont aussi des responsables du RPG dans la zone. Ces derniers temps, ils se sont mis à démettre et à affecter arbitrairement tous les enseignants qui avaient des responsabilités au sein de l’UFDG. Vous vous souviendrez, il y a deux ans de cela, on a démis Tata Baldé de sa fonction de proviseur de lycée, alors qu’elle avait fait de très bons résultats au BAC, simplement parce qu’elle était membre du bureau fédéral de l’UFDG. On a affecté plusieurs cadres qui étaient membres du bureau fédéral qui travaillaient dans le secteur de l’éducation dans d’autres préfectures telles que : Koubia, Mali, Tougué et récemment, le secrétaire fédéral de la jeunesse de Labé a été affecté dans un village éloigné. La population de Labé a décidé d’attirer l’attention sur cette réalité. Lorsqu’on dit que le RPG est un parti-État, c’est vrai. L’inspecteur régional de l’éducation, qui est le coordinateur général du RPG dans la région, prend la décision pour mener le combat du RPG contre les membres de l’UFDG en violation flagrante de la constitution. La manifestation a été annoncée et autorisée par les autorités communales, l’itinéraire a été défini, et les gens, dans le calme, ont commencé par marcher. Après, les forces de l’ordre sont sortis avec le mandat de réprimer sauvagement ces jeunes manifestants. Alors, ils les ont gazés, ils ont tiré à balles réelles, il y a eu des blessés. Toute la nuit, ils ont procédé à des arrestations. Ils ont arrêté jusqu’à cent personnes qui ont été emprisonnés arbitrairement. Et beaucoup ont été arrêtés dans leur résidence, principalement des responsables du parti. Le lendemain, ils sont allés dans l’enceinte de l’hôpital où ils ont tiré, cassé les vitres de l’hôpital, extrait des malades pour les faire arrêter avant de les envoyer en prison alors que ces personnes étaient sous traitement à tel point que, le personnel médical de Labé a organisé une journée de grève suite à la violation du domaine hospitalier.
A l’issue des négociations qui se sont tenues entre les responsables du parti, les fédérations et des autorités, ils ont décidé d’arrêter la répression ainsi que les manifestations pour que Labé retrouve la paix. Un communiqué conjoint a été rédigé et diffusé sur les ondes des radios locales. Le gouvernement a libéré une soixantaine de personnes, il reste maintenant une quarantaine de personnes qu’ils comptent déférer. Les gens du RPG ne respectent jamais leur engagement. D’abord, au moment où on négociait, ils se sont engagés à le faire. Par finir, on a compris que les ordres viennent de Conakry quand les gens du RPG ont dit : »de toutes les façons, quelque soit la position du gouverneur, ce sont eux qui décideront du sort des gens ».
Alors, on est dans une situation de parti-État fort qui ne veut laisser aucun espace de liberté aux autres citoyens. J’ai toujours dit qu’en Guinée, si tu n’es pas du RPG, tu perds tes droits de citoyen. C’est ce qui se passe actuellement, il n’y a pas de recours. C’est pourquoi, il faut que les gens restent mobilisés pour défendre leur droit, pour défendre leur sécurité parce qu’on ne peut pas compter sur l’État, l’État, c’est le RPG.
»Zéro cas d’Ebola en soixante jours », c’est le défi que tente de relever le gouvernement. Sur le terrain, cela ne se matérialise pas. Pour preuve, ces temps-ci, il y a une résurgence de cas. Vous ne pensez pas que la présence d’Ébola empêchera la tenue des élections à date ? Ça pourrait éventuellement être un prétexte pour les tenants du pouvoir d’ajourner les élections.
Cellou Dalein Diallo : Le gouvernement doit être conséquent. Fixer un objectif, se donner les moyens d’atteindre ces objectifs-là. Avec les moyens mis à la disposition de la Guinée par la communauté internationale, s’il y a un peu de rigueur dans la gestion, dans la riposte, je ne vois pas de raison qui empêcherait vraiment de venir à bout de la maladie. N’oublions pas que, c’est le laxisme du gouvernement et le souci de monsieur Alpha Condé de préserver l’image d’un pays d’accueil aux investisseurs et aux touristes qui a fait qu’on en est arrivé là. Ce n’est pas lui qui a envoyé Ébola, mais si on avait pris de bonnes dispositions énergiques pour lutter contre le virus Ébola comme l’ont fait le Mali, le Sénégal et le Nigéria, peut-être que le reste de la Guinée ne serait pas contaminé après l’apparition des premiers foyers à Macenta et à Guéckédou. Peut-être que les autres pays limitrophes africains ne seraient pas contaminés. Aujourd’hui, grâce à l’appui de la communauté internationale, il y a eu un progrès énorme, il y a eu un déclin depuis la fin de la deuxième semaine du mois de décembre et qui a continué pendant tout le mois de janvier. Mais il y a eu des méthodes qui ne sont pas efficaces. Ils ont utilisé la violence, le pouvoir de monsieur Alpha Condé, c’est la violence. Les citoyens de Kaback ont été réprimés. C’est l’armée qu’on a fait intervenir, il faut de la sensibilisation et non de la violence! Nous avons affaire à des êtres humains qui comprennent. L’État d’Alpha Condé, c’est la violence ! On a réprimé des gens, ils se sont cachés dans la brousse. Pourquoi ? A Forécariah, à côté, la même chose ! Alors, je crois qu’il faut changer de méthode, continuer la sensibilisation, associer tous ceux qui sont crédibles, tous ceux qui peuvent être entendus ou écoutés à cette campagne de sensibilisation. Aujourd’hui, il y a une confiscation des moyens de lutte contre Ébola. Il y a beaucoup d’argent, beaucoup de véhicules et de matériels qui sont utilisés tantôt pour la sensibilisation contre Ébola tantôt pour la réélection d’Alpha Condé. Il faut une gestion plus responsable et plus judicieuse de tous ces moyens. Je pense que, si on le fait, il n’y a pas de raison qu’on ne parvienne pas à éradiquer de notre pays cette maladie.
source guineenews