Il y a quelque chose de paradoxal dans la liberté de la presse dans notre pays : Si on peut se réjouir que la parole s’est libérée dans les médias, en même temps une censure insidieuse, parfois une autocensure s’exerce sur nos médias, notamment par le fait du pouvoir économique par ricochet du pouvoir politique et de la société elle-même. On est finalement dans un pays où les journalistes peuvent parler de ce qu’ils veulent, mais pas toujours de la façon dont ils veulent le dire.
De mon point de vue, la liberté est limitée. De là découle un élément fondamental qui est une quête fondamentale pour la presse : la crédibilité. Et ce n’est pas sûr que les guinéens aient une confiance absolue aux professionnels des médias puisque c’est souvent qu’on les qualifie de « journalistes alimentaires ». Mais de quelle marge de manœuvre dispose le journaliste dans une société fracturée, divisée en obédience politique et en appartenance ethnique ?
Dans notre pays, tout le monde veut que les médias soient libres et indépendants, mais en même temps tout le monde veut qu’ils prennent position en sa faveur. Chacun veut que les journalistes critiquent l’adversaire et nous épargne, pire nous encense. Son objectivité est jugée à l’aune de qui ils attaquent et qui ils épargnent. La liberté du journaliste s’analyse, se commente, s’accepte ou se refuse dans sa propension à critiquer les uns et à caresser les autres. Où est donc la liberté lorsqu’elle est surveillée, si elle est jugée, non pas dans sa volonté d’objectivité, mais dans sa tentation de subjectivité ? Dans le même temps, que font les journalistes pour être à l’abri des suspicions de rouler pour un camp et contre un autre ?
Les médias guinéens sont d’une certaine façon responsables de ces jugements. Les rédactions sont truffées de journalistes mal formés, malhonnêtes, sans compter que les médias sont devenus des dépotoirs de tous les déchets académiques. Si par le passé souvent quand on avait raté sa scolarité on s’enrôlait dans l’armée, aujourd’hui, on devient journaliste. On se trouve un carnet et un stylo et peut-être un dictaphone… et on écume les ateliers de formation et autres conférences de presse. Et pour ne rien arranger, Internet est venu fabriquer des sites d’informations aussi amateurs que prostitués.
L’autre élément est le fait que nos médias se sont de plus en plus écartés des genres journalistiques de base pour se concentrer dans les genres d’opinion. Même l’information au sens strict du terme est souvent émaillée d’opinions de journalistes. Dans un pays où on ne sait pas forcément faire la différence entre un article d’opinion où la liberté est donnée au journaliste d’exprimer son sentiment, les chroniques, éditos et autres Talk shows devraient être produits avec modération, à mon avis.
Il faut donc dire que dans notre pays, tout le monde veut que les médias soient libres, mais personne ne travaille vraiment pour qu’ils se qualifient et qu’ils soient indépendants. Tout le monde veut qu’ils rendent comptent des faits, uniquement des faits, mais tout le monde leur donne « le transport » lorsqu’ils viennent couvrir les événements. Tout le monde veut qu’ils critiquent mais seulement l’adversaire et personne ne s’astreint à ne pas leur graisser la patte parce que tout le monde sait que c’est impoli de parler quand on a la bouche pleine.
Par ailleurs, combien de journalistes ont-ils été traînés devant la justice, pis en prison, malgré la loi sur la dépénalisation des délits de presse ? Qu’en est-il de l’accès à l’information publique ? Quid du statut particulier des journalistes ? Et la justice pour les journalistes disparus comme Chérif Diallo ou tués comme Mohamed Koula Diallo ? Dans le dernier cas par exemple, j’ai personnellement fait l’objet d’une condamnation à perpétuité, même si l’agent judiciaire s’est défaussé devant la cour de justice de la CEDEAO. Dans le cas de Koula, beaucoup de personnes ont pointé, au-delà de mon appartenance politique, mes dénonciations dans les fameuses Tranchantes de Thiâ’nguel. S’il y a une part de vérité dans ses soupçons, on a voulu ainsi bâillonner ma liberté. En attendant que je sois rétabli dans mes droits dans l’audience à venir, la justice guinéenne s’est livrée à un exercice parodique qui n’a toujours pas permis de faire la lumière sur l’assassinat de notre confrère. Et sa famille et l’ensemble des confrères attendent que se révèle la vérité dans cette affaire d’un confrère tombé la plume à la main.
La question essentielle qu’il faille se poser est : peut-on dire la liberté de presse est garantie en Guinée ? Certainement. Mais, une liberté surveillée, bien surveillée. La presse pointe tous les jours devant le juge politique et pire… ethnique. C’est l’indépendance économique et l’appartenance politique qui sont les baromètres de sa crédibilité et donc de sa liberté.
Soulay Thiâ’nguel